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Détrôner Queen Bee… Oui, la solidarité entre femmes est possible!

Détrôner Queen Bee… Oui, la solidarité entre femmes est possible!

Auteurice Marie Winzap, 6 décembre 2018
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Les femmes seraient-elles plus méchantes entre elles qu’avec les hommes dans le monde du travail? Le Syndrome Queen Bee est-il un cliché, une réalité ou quelque chose de bien plus complexe? Décryptage.

«Le diable s’habille en Prada», la série «Damages» ou encore le film «Lolita malgré moi» et ses protagonistes mauvaises une fois qu’elles sont au sommet:  l’image véhiculée par l’industrie télévisuelle de la femme qui réussit brillamment dans son entreprise ou sa carrière, est souvent marquée par l’autoritarisme, les coups bas, et va de pair avec l’échec de toute vie familiale ou amoureuse: ambitieuse, elle est décrite comme bossy, dépeinte comme tyrannique, et ne vit que pour gravir les échelons en écrasant ses congénères avec une paire de Louboutin.

Sexisme ordinaire? Certainement. La jalousie de voir la réussite des femmes dans des milieux jusqu’ici animés par des hommes? Peut-être. Ou alors un système professionnel tout entier à repenser, conséquence inévitable d’une société patriarcale où les femmes se sentent obligées d’adopter des comportements souvent attribués aux hommes pour survivre et se faire respecter. La métaphore peu flatteuse de la reine des abeilles posée en maîtresse dans sa ruche, seule fertile de la colonie et défendue farouchement par ses filles, est utilisée pour décrire le genre d’attitude que peuvent avoir les femmes envers leurs cadettes. Elle porte le nom de Syndrome Queen Bee.

 

 

Ce phénomène a été étudié pour la première fois dans les années 1970 par des chercheurEs de l’Université de Cornell, qui ont voulu mettre en évidence les ressentis des salariéEs des femmes managers dans leur entreprise. Cette étude, qui n’avait pas d’intentions malveillantes envers les femmes, a dès lors souffert de récupérations misogynes: il n’est en effet pas rare de voir des médias utiliser des gros titres tels que «Les femmes sont plus méchantes entre elles qu’avec les hommes» alors qu’en réalité, le Syndrome Queen Bee est beaucoup plus complexe qu’une simple question binaire de gentillesse/méchanceté.

Klea Faniko, chercheuse à l’Université de Genève et chargée de cours en psychologie sociale, a accepté de nous éclairer sur plusieurs questions pour déconstruire le malentendu autour du phénomène Queen Bee. Tout d’abord, elle précise que «c’est un terme assez agressif. Aujourd’hui, dans la littérature, on préfère parler de distancement que les femmes au pouvoir ont par rapport aux jeunes femmes». A ce distancement s’ajoute une attitude hostile envers leurs cadettes, surtout celles qui bénéficient de mesures positives comme les quotas. Or, les mesures de quotas, nous rappelle Klea Faniko, sont souvent elles-mêmes véhiculaires de malentendus n’épargnant pas les plus âgées : «ce n’est pas parce que l’on va mettre des quotas que l’on va engager des femmes moins compétentes: une femme sélectionnée avec une mesure de quota est une femme qui a un parcours et un CV excellents, mais qui n’a pas pu avoir le poste qu’elle mérite».

 

© Geralt – Les Queen Bee ont tendance à avoir des attitudes hostiles face à leur cadettes

 

Contrairement aux images alimentées par les médias des coups bas constants entre femmes, les études sur le sujet montrent que si les femmes ont le même niveau hiérarchique au sein d’une entreprise, elles se montrent solidaires entre elles. La raison est simple : en s’identifiant à des femmes qui ont peut-être eu le même parcours professionnel, elles partent du principe que ces dernières ont fait des sacrifices similaires aux leurs pour parvenir au niveau où elles sont. En somme, qu’elles sont plus méritantes que les nouvelles arrivantes.  Il s’agit également de préciser que les femmes n’évoluent pas dans une logique de compétition entre elles en vertu de leur sexe, préjugé sexiste qui va pourtant bon train: «le phénomène Queen Bee, malgré son nom, n’est pas un phénomène qui ne concerne que les femmes: il concerne d’autres groupes vulnérables ou stigmatisés quand ils souhaitent faire carrière dans des milieux qui leurs sont étrangers», analyse Klea Faniko. De quoi remettre sérieusement en question les images de la femme dragon et autoritaire comme caractéristique inhérente à son genre.

Quelles sont les solutions? Comment briser le plafond de verre que certaines femmes, prises dans cette société patriarcale, renforcent parfois sans s’en rendre compte? Klea Faniko insiste sur le fait qu’il est possible de renverser cette tendance, que le Syndrome Queen Bee n’est pas une caractéristique innée du genre féminin mais bien une conséquence de tout un système conçu par et pour les hommes. Changer les conditions de travail des femmes (créer des environnements plus friendly) envers les personnes issues de groupes discriminés, donner la possibilité de concilier vie professionnelle et vie de famille pour que les femmes ne doivent pas constamment sacrifier l’un ou l’autre: pour exemple, le droit au congé paternité n’est toujours pas en vigueur en Suisse et commence timidement à être pris au sérieux par la scène politique. Nous sommes encore loin d’un partage équitable des obligations familiales, qui amènerait à terme plus d’égalité dans le milieu professionnel.

Klea Faniko préconise également les programmes de mentorat entre des femmes seniors et leurs cadettes, «une autresolution pour mettre en évidence des femmes qui servent la cause des femmes, en soutenant leurs carrières». Ces programmes favoriseraient un échange indispensable à une prise de conscience de la difficulté que les femmes, seniors oujuniors, peuvent rencontrer durant leur vie professionnelle ou leur carrière académique.
A titre d’exemple, l’Université de Genève propose ce type de mentorat depuis quelques années avec le programme Mentorat Relève académique, programmeauquel une dizaine de Professeures de la faculté participent afin d’aider leurs collègues plus jeunes à se faire une place dans le milieu académique.

 

Si le phénomène Queen Bee est maintenant connu et n’est plus remis en question, il est surtout possible de le déconstruire et de ne pas se laisser aveugler par sa récupération sexiste. Et finalement, mettre son énergie à réorganiser la ruche entière.

 

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