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Inégalités entre femmes et hommes: la révolution est-elle en marche?

Inégalités entre femmes et hommes: la révolution est-elle en marche?

Auteurice Paloma Lopez, 30 décembre 2018
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En Suisse, plus de 75% des femmes entre 15 et 64 ans travaillaient en 2017. Ce chiffre propulse la Suisse deuxième du classement européen proposé par la Commission Européenne, derrière la Suède et devant le Danemark. Cependant, l’écart salarial entre les femmes et les hommes est d’environ 17%, ce qui fait chuter la Suisse à la 18ème place du classement européen, loin derrière l’Italie qui est à la deuxième place, la Hongrie qui est à la 10ème place ou encore la Suède, qui elle est à la 7ème position du classement.

Cet écart de salaire est le plus souvent expliqué par le temps alloué au travail rémunéré. En effet, 6 femmes sur 10 travaillent à temps partiel, ce qui représente 59% des femmes actives, contrairement aux hommes, dont 1,7 sur 10 organisent leur temps de travail de cette façon.

Afin de mieux comprendre les enjeux derrière cet écart salarial et l’égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail en Suisse, Quentin Delval, adjoint scientifique à l’égalité et la diversité à la HES-SO depuis 2015, nous propose aujourd’hui des pistes de réflexion. Cet adjoint scientifique travaille pour le rectorat de la HES-SO, l’organe qui regroupe l’ensemble des 28 hautes écoles spécialisées de Suisse occidentale, de Suisse romande et les écoles spécialisées des cantons bilingues, Valais et Berne. Son travail au quotidien consiste à coordonner des projets qui promeuvent l’égalité et luttent contre les discriminations au sein des hautes écoles.

A qui la faute?

Un grand nombre de facteurs se conjuguent dans la perpétuation des inégalités, explique Quentin Delval. Pourtant il est tout de même possible de les classer en deux catégories: les facteurs expliqués, qui représentent 60% des inégalités et les facteurs non-expliqués, qui représentent les 40% restants: «Le facteur explicable c’est les différences objectives de formation. Donc les métiers dits féminins, où le niveau moyen de formations des femmes est entre guillemets plus bas que le niveau moyen des hommes».  Dès lors, la part de la masse salariale générée qui va aux femmes est plus basse.

Les autres facteurs explicables très souvent évoqués sont le temps partiel et la problématique du plafond de verre. Selon notre expert, on «perd les femmes en court de route pour la création des familles» ce qui rendrait impossible leur retour rapide sur le marché du travail les cantonnant à des emplois plus précaires ou moins bien rémunérés. Celles qui retournent sur le marché du travail, travaillent le plus souvent à temps partiel et cotisent alors moins pour leur retraite mais sont aussi moins susceptible de recevoir des promotions car les femmes seraient alors perçues par leur supérieurEs comme étant moins investies: «Avec le temps, il y une différence qui se crée entre les hommes et les femmes parce que les femmes font moins carrière, elles montent moins les échelons, gagnent alors moins d’argent».

Les facteurs non-expliqués, qui représentent 40% des inégalités sont, quant à eux, attribués au sexisme. Cependant, même en étant conscient de ses facteurs d’inégalités, il est tout de même complexe de faire changer rapidement toute la société car ces processus sont largement inscrits dans l’inconscient collectif et la culture propre d’un pays. Ils ne sont alors que trop peu remis en question par les citoyens, qui perçoivent très souvent ces pratiques inégalitaires comme normales ou impossibles à transformer. Pointer du doigt les hommes et les tenir seuls responsables serait trop simple car il ne faut pas oublier, qu’eux aussi sont pris dans ces logiques sociétales. Comme le souligne Quentin Delval: «On récompense les hommes qui passent plus de temps au travail qu’à la maison. Donc même eux perpétuent cette situation», et ce très souvent sans même se poser la question, car «c’est comme ça dans nos sociétés».

 

De même, accuser le monde du travail ou les entreprises n’est pas suffisant pour régler les inégalités. En effet, selon Quentin Delval, les entreprises sont «juste une interface entre le mode de production et les structures sociales. Donc elles sont un lieu où se visibilise les inégalités de salaire, où se concrétisent les difficultés de conciliation, mais on ne peut pas non plus dire qu’elles sont volontairement responsables de l’origine de cette situation».

Ce sont les structures sociales et économiques qui doivent être remises en question afin de faire émerger ces problématiques largement inconscientes et les redéfinir d’une nouvelle manière, plus égalitaire.

 

Le changement par la loi

L’égalité est définie par le Larousse comme une « qualité de ce qui est égal ou une équivalence ». Ou encore comme une « absence de toute discrimination entre les êtres humains, sur le plan de leurs droits ». En Suisse, dès 1996, toute discrimination est interdite par la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes: « Il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse ». Cette reconnaissance est le socle pour que des actions concrètes puissent ensuite être entreprises.

Selon Quentin Delval, cette définition de l’égalité peut et doit être peaufinée afin qu’une action soit cohérente en fonction du public touché. Par exemple, au niveau estudiantin dans les hautes écoles, la problématique majeure est le recrutement étudiant, « c’est-à-dire promouvoir la présence de femmes dans les filières où il n’y en a pas, dans les milieux dits masculins ou la présence d’hommes dans les milieux dits féminins ». Au niveau des institutions liées à la HES-SO, « l’égalité se définit par l’inclusion des sexes dans différents endroits et/ou dans différents rôles » et les enjeux peuvent porter sur le harcèlement au travail par exemple ou encore sur les critères d’évaluation des collaborateurs, afin qu’aucune discrimination sexiste soit à l’œuvre.

Ce type de réflexions peut aussi se faire pour des mesures qui touchent l’ensemble de la société.  Notamment, toutes les initiatives populaires ou motions visant des changements de loi, sont «un signal culturel très fort qui risque de faire réfléchir». En effet, comme le précise à juste titre l’adjoint scientifique, ce processus est cyclique: il faut questionner les structures afin de les faire changer pour que d’autres réflexions visant des modifications soient possibles. Une manière forte de faire bouger les choses est l’entrée en vigueur de lois visant l’égalité. Cependant les choses sont rarement aussi simples et changer les lois n’amène pas toujours plus d’égalité.

Il serait tentant de croire qu’il est facile d’introduire un salaire pour un travail égal. Cependant, comme le soulève Quentin Delval, «il est difficile de définir ce qu’est le salaire égal. Parce qu’il faut aussi définir ce qu’est un travail égal» et là, les choses se corsent. Selon lui, il est très rare que deux postes similaires soient évalués de la même manière, et ce même si le travail à fournir ou le niveau de formation requis est le même. Ce qui a pour conséquence des salaires inégaux et une reconnaissance de la hiérarchie différente, qui à terme façonne des carrières très diverses.

De plus, il n’est pas rare que certaines mesures visant l’égalité n’aient pas non plus les effets escomptés. Prenons par exemple, les crèches, ou plus généralement l’accueil de jours de enfants, souvent proposées comme solution miracle pour rendre la participation des femmes au monde du travail possible.

En Suisse, la Confédération soutient depuis une quinzaine d’année la création de places d’accueil pour les enfants. Au total 57’000 places d’accueils ont été créées et le projet a coûté 370 millions de francs suisses. La Confédération prévoit aussi de donner prochainement la possibilité aux parents de déduire du revenu soumis à l’impôt fédéral direct non plus 10’100 CHF mais 25’000 CHF par enfant et par année. Pour Quentin Delval, ces aides ne sont pas suffisantes mais peuvent en plus s’avérer être contre productives. D’après lui, la mise en place de ces structures «rendent juste possible à participation aux femmes au monde du travail. Ce qui n’est pas une forme d’égalité. Elles permettent une plus grande indépendance financière. Mais elle a un coup en santé, en liberté». De plus, elles n’enlèvent en rien la responsabilité du foyer aux femmes, qui se retrouvent à faire «une double journée»: sous prétexte qu’il y a les crèches, les hommes ne s’occuperaient pas du travail domestique, ce qui renforcerait encore un peu plus la dévalorisation du travail non–rémunéré, toujours selon l’adjoint scientifique.

 

L’égalité c’est pour bientôt?

Si aujourd’hui certains pays sont très actifs afin d’éradiquer des inégalités femmes-hommes, comme l’Angleterre, «qui ont des guidelines très précises sur comment comparer les postes à travers toutes les industries», en Suisse, les premières manifestations d’une action sur l’égalité commencent tout juste à éclore.

En septembre 2018, le Conseil National a décidé qu’un contrôle des salaires dans les entreprises de plus de 100 employés est nécessaire, et ce, tous les quatre ans. De plus, ce contrôle sera audité par une entreprise externe.  Quentin Delval,  reste sceptique. Effectivement, cette mesure ne touchera que 0,85 % des entreprises et 45% des employés, ce qui est peu mais pourrait suffire à donner une impulsion nécessaire: les entreprises seront obligées de publier les résultats des analyses. Suite à cela, l’adjoint scientifique  imagine que les commissions du personnel pourraient reprendre ces conclusions et poser des exigences à la direction. Il déplore cependant deux choses. Une fois l’audit réalisé et si aucune irrégularité n’a été démontrée, l’entreprise ne fera plus aucun contrôle. Dans le cas contraire, un deuxième contrôle aura lieu quatre ans plus tard mais aucune sanction n’est prévue, ce qui amenuise la portée de cette mesure et constitue «une solution soft pour la Suisse». Selon l’adjoint scientifique, cela est malgré tout, un premier pas vers la définition de nouveaux modèles d’entreprises, car «aller trop fortement contre la culture d’un endroit sur des thèmes sensibles, c’est aussi s’assurer que rien ne se passe».

Selon Quentin Delval, la Suisse est encore bien loin de franchir le cap de l’égalité femmes-hommes, car la société n’est pas encore à ce stade de la réflexion. Après tout le congé maternité de 14 semaines n’a pas été mis en place avant 2005.

Encore aujourd’hui des initiatives pouvant permettre à la Suisse d’accéder à plus d’égalité ont de la peine à prendre racine. Une initiative populaire demandant un congé paternité de 20 jours a été proposée par le peuple cette année. Pourtant, le Parlement a choisi de proposer un contre-projet diminuant de deux semaines le temps de ce congé.

Par des initiatives comme celle-ci, qui avait récolté 107’106 signatures, le peuple semble donner un signal fort annonçant un changement de perspective de la société. Reste à savoir quand il pourra effectivement avoir lieu.

 

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