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Ursula Le Guin : entre genre, féminisme et science-fiction

Ursula Le Guin : entre genre, féminisme et science-fiction

Auteurice Alizé Tromme, 18 février 2017
Illustrateurice

Le 22 janvier dernier, l’autrice de science-fiction et de fantasy Ursula K. Le Guin s’est éteinte à l’âge de 88 ans. Rare femme à avoir été reconnue dans ces domaines littéraires très masculins, Le Guin laisse derrière elle une œuvre empreinte de thématiques féministes, mais également humanistes, écologiques et de questionnement sur le genre en général.

Née en 1929 à Berkeley en Californie, Ursula Le Guin a écrit de nombreux livres en fantasy et science-fiction, mais également de la poésie et des livres pour enfants. Elle est sans doute l’autrice de SF/fantasy la plus (re)connue, que ce soit au sein du cercle des passionnés de ces genres littéraires qu’en dehors.l La main gauche de la nuit et le cycle de Terremer sont sans doute ses livres les plus marquants ou appréciés. Dès l’annonce de son décès le 22 janvier 2018, de nombreux témoignages se sont succédés pour célébrer cette grande dame de la littérature. Pourtant, un constat s’impose très vite : ces personnalités sont, pour les plus connues et en grande majorité, des hommes. Et le fait est que, même si des progrès ont été faits ces dernières années, les littératures de l’imaginaire restent un milieu très masculin. Critique qu’Ursula Le Guin avait déjà émise il y a plusieurs décennies et qui est également devenue l’un de ses grands chevaux de bataille.

Une oeuvre influente

Ses livres se distinguent par un langage lyrique, et des thèmes qui dépassent largement ceux de la fantasy ou de la science-fiction : l’écologie, l’humanité, la sexualité… Des ouvrages qui ont influencé bon nombre d’auteursTRICES. Stephen King, Neil Gaiman, Margaret Atwood, Kim Stanley Robinson ou encore NK Jeminsin ; la liste impressionnante des personnes qui se sont exprimées à la suite de son décès pour louer son travail ou sa personnalité le prouve. Un article du Point transmet également l’hommage de personnalités francophones, auteursTRICES ou spécialistes du monde de l’édition.

L’œuvre d’Ursula Le Guina a été prolifique, et s’est vue récompensée par des prix littéraires prestigieux. Son palmarès est impressionnant : cinq prix Hugo -l’un des plus importants en SF/Fantasy-, six prix Nebula et dix-neuf prix Locus. Son cas fait cependant figure d’exception, car, en dehors d’elle, tous les grands noms connus dans ce milieu sont des hommes : JRR Tolkien, Isaac Asimov, Philip K. Dick…

C’est donc une figure importante de la littérature qui nous a quittéEs. Une figure qui aura également marqué par son empreinte personnelle- un intérêt pour le taoïsme et l’anarchie, entre autres-, ainsi que par ses combats pour les droits des femmes.

 

Féminisme et Littérature

L’absence des femmes dans la littérature a ainsi fait partie de son discours lors d’un événement en 1986 qui imaginait la place des femmes en l’an 2000[1]. Elle a ainsi rappelé les nombreuses oppressions et dénigrements qu’ont connus de tout temps les femmes autrices de la part des enseignantsTES et des critiques littéraires des deux sexes. Et, même si nous étudions  toujours aussi peu d’autrices sur les bancs d’école (voir notre article Femmes et Littérature), Le Guin était malgré tout optimiste. Après tout, les femmes sont aussi des lectrices et peuvent ainsi, selon elle, encourager leurs paires.

De même, elle ne songeait pas qu’aux autrices, mais également aux personnages féminins. Dans son essai paru en 1975 La Science-Fiction Américaine et l’Autre, elle s’en explique : «Un des premiers grands socialistes avait noté que la situation des femmes dans une société donnée était un signe assez fiable du niveau de civilisation de cette société. Si cela est vrai, alors la situation déplorable des femmes dans la science-fiction devrait nous faire réfléchir, et nous devrions nous demander si la science-fiction peut être civilisée.»[2]. Avant d’élargir, dans la suite de cet article, cette absence de femmes à d’autres manques : ceux de personnages racisés ou de milieux sociaux et culturels différents. Une vision inclusive et d’avant-garde.

D’un point de vue personnel, elle s’est aussi prononcée pour la défense de l’avortement, déclarant lors d’un discours que ses opposants ne voulait pas préserver la vie, mais « […] avoir de l’emprise sur les femmes. »[3]. Une problématique toujours actuelle, de même que l’égalité salariale qu’elle défendait déjà en 1983[4].

 

Une réflexion sur le genre

Les inégalités de genre ont très rapidement été une partie intégrante des œuvres de Le Guin. Durant les révolutions féministes des années 60-70, elle décide d’apporter sa pierre à l’édifice. Son roman La main gauche de la nuit présente ainsi une planète où les protagonistes ne sont ni hommes ni femmes. Simplement des êtres humains. Un envoyé de la terre, venu pour convaincre ce peuple de s’allier à une organisation regroupant plusieurs planètes, passe ainsi pour un monstre et une anormalité, lui qui est perpétuellement du genre masculin.

Par cette démarche, Le Guin a ainsi essayé d’imaginer ce que serait une société libérée de ses contraintes liées au genre, ainsi qu’aux rôles et stéréotypes que nous lui attribuons. Elle explique plus globalement son propos : «Si nous étions socialement ambigenrés, si les hommes et les femmes étaient vraiment égaux dans leurs rôles sociaux, égaux légalement et économiquement, égaux en liberté, en responsabilité et en estime de soi; alors la société serait totalement différente. Quels seraient alors nos problèmes, Dieu seul le sait et je sais seulement qu’on en aurait. Mais il semble probable que notre problème principal ne serait pas celui que l’on a maintenant: le problème de l’exploitation des femmes, des défavorisés, de la terre [Notre traduction ndlr].»[5]. Un ouvrage ambitieux, récompensé par le prix Hugo en 1970.

Même si l’autrice a par la suite reconnu quelques maladresses[6], le livre reste une lecture fascinante et troublante, qui nous interroge sur nos rapports aux genres et sur notre société bigenrées. De son aveu, Le Guin cherchait, en gommant les différences entre les hommes et les femmes, à atteindre l’être humain lui-même, avec un équilibre entre les genres.

 

Humanisme et optimisme

Mais elle a également été l’une des premières à prôner l’importance de l’écologie et de revoir le rapport qu’à l’être humain avec la nature. L’humanité a également compté parmi ses thèmes de prédilection, cherchant à supprimer les inégalités de notre monde. Son œuvre dépasse ainsi largement les domaines de la science-fiction ou de la Fantasy, et est simplement humaniste. Et, si les nombreux combats qu’elle a mené sont loin d’être encore gagnés, ses livres resteront et permettront de poursuivre ce qu’elle a débuté, il y a déjà plusieurs décennies.

En 1982, elle disait déjà en parlant de l’avortement et de l’oppression des femmes ou des minorités: «Il y a de grandes forces, en dehors et dans le gouvernement, qui essaie de légiférer le retour des ténèbres. Nous ne sommes pas de grandes forces. Mais nous sommes la lumière. Personne ne peut nous éteindre. Puissiez-vous briller avec puissance et continuité, aujourd’hui et toujours [Notre traduction ndlr].»[7]  Des paroles toujours d’actualité, dans un monde où le combat contre les inégalités est une lutte permanente. Et il est important de savoir que des femmes se sont battues et se battent toujours, aussi dans la Littérature. Un soutien précieux, que souligne Margaret Atwood, autrice de la Servante Écarlate, dans l’un de ses hommages à Le Guin: «[…] elle nous a heureusement laissé son œuvre multifacette, sa sagesse durement gagnée et son fondamentale optimisme. Sa voix rassurante, intelligente, soignée et lyrique est plus que jamais nécessaire [Notre traduction ndlr].»


[1] Prospects for Women in Writing, In : Dream must explain themselves : the selected non-fiction of Ursula K. Leguin, Gollanz, 2018

[2] In : Le langage de la nuit, Ursula Le Guin, Aux forges de Vulcain, 2016

[3]] The Princess, In : Dream must explain themselves : the selected non-fiction of Ursula K. Leguin, Gollanz, 2018

[4] A left-handed Commencement Address, In : Dream must explain themselves : the selected non-fiction of Ursula K. Leguin, Gollanz, 2018

[5] Is Gender necessary? In : Dream must explain themselves : the selected non-fiction of Ursula K. Leguin, Gollanz, 2018

[6] L’absence de pronom neutre et l’utilisation par défaut du pronom masculin, par exemple.

[7] The Princess, In : Dream must explain themselves : the selected non-fiction of Ursula K. Leguin, Gollanz, 2018

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