Avec un tournage débutant à peine quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, « Le ciel attendra » est un film plus que jamais d’actualité. Réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, ce drame qui traite du recrutement de jeunes françaises au Djihad oscille par moment entre documentaire et fiction. Acclamé pour sa justesse et son réalisme, il est pourtant controversé par les spécialistes qui étudient cette thématique.
Publié le 17.10.2016 par Valentine Cachelin
Mélanie et Sonia sont âgées de 16 et 17 ans. La première est en voie de radicalisation. Étapes par étapes, on suit son embrigadement psychologique qui commence par un contact sur les réseaux sociaux. Quant à la deuxième, après une tentative infructueuse de départ pour la Syrie, elle se fait arrêter par la police, accusée d’avoir été en contact avec des terroristes. Sa famille la pousse alors à se déradicaliser. De l’autre côté du fossé, creusé par l’incompréhension entre ces adolescentes et leurs parents, on retrouve un troisième personnage : Sylvie. Désemparée par le départ de sa fille pour la Syrie, elle tente de continuer à vivre.
« Le ciel attendra » a le mérite de transmettre parfaitement le désespoir et l’impuissance des parents et surtout celui des mères. En effet, le film se base principalement sur les personnages féminins. Contrairement aux long-métrages sur le terrorisme, celui-ci se concentre exclusivement sur l’évolution psychologique des personnages. Une thématique risquée et difficile qui est abordée d’une façon très neutre par la réalisatrice. « Le ciel attendra » ne cherche ni à condamner, ni à excuser mais simplement à comprendre.
Bien qu’encensé par les critiques il est pourtant nécessaire de nuancer un peu cette éloge. En effet, pour un film ultra-documenté il comprend plusieurs scènes irréalistes selon la doctorante en sociologie des religions à l’Université de Fribourg et à l’EHESS à Paris, Géraldine Casutt, qui prépare une thèse sur la composante féminine du Djihad contemporain. La façon dont Mélanie est abordée sur les réseaux sociaux, par exemple, est peu vraisemblable. Intéressée par l’humanitaire et désireuse de faire de ce monde quelque chose de meilleur, Mélanie reçoit des messages d’un recruteur sur son profil Facebook. On ne sait pas vraiment comment la conversation commence et pourquoi elle est approchée. Or, pour Géraldine Casutt, la réalité est tout autre : « Les recruteurs sont représentés comme des prédateurs tapis dans l’ombre qui arrivent sans que l’on comprenne pourquoi. Si vous ne cherchez pas à vous informer ou à entrer en contact, ils ne viendront pas vers vous. »
Cette façon de présenter les recruteurs comme des manipulateurs contribue à dépeindre les adolescentes comme de simples victimes, des jeunes filles naïves qui n’auraient pas choisi cette voie de façon rationnelle. Cette vision très occidentale est également sexiste, puisqu’elle renvoie à l’incapacité de nos cultures à penser le choix délibéré de jeunes filles à faire le Djihad.
Au lieu de chercher quel pourrait réellement être leurs motivations, le film laisse à penser que les adolescentes sont manipulées par des hommes dont elles tomberaient amoureuses. Bien que cela puisse arriver, il ne s’agit pas des motifs principaux d’une radicalisation. Pour Géraldine Casutt, c’est tout le contraire : « Les femmes qui se radicalisent valident les codes sociétaux du Djihadisme. Elles savent parfaitement quelle est la place des femmes dans l’Etat islamique et lorsqu’elles partent pour la Syrie, elle savent qu’elles vont là-bas pour devenir principalement des épouses. »
Dans le film, bien que Mélanie finisse par valider ces même codes, elle apparaît comme ayant été manipulée pour y parvenir. Elle est infantilisée dans son rôle d’adolescente, d’où la présence assez omniprésente de ses peluches. Représentée comme incapable d’avoir un esprit critique et particulièrement naïve, elle ressemble plus à une enfant qu’à une jeune femme proche de la maturité. Le personnage de Sonia est également emprunt d’une irrationalité totale. Déjà radicalisée dès le début du film, elle apparaît comme à la limite de la folie. Elle se tape la tête contre les murs et croit voire des choses qui ne sont pas réelles.
« Le ciel attendra » a l’intérêt de mettre en avant des rôles féminins très bien interprétés. Malheureusement, il les confine à des rôles passifs et victimaires. Ces représentations en disent long sur une société qui, malgré ses critiques d’une religion islamique liberticide pour les femmes, reste profondément patriarcale. En effet, dans l’imaginaire collectif, les femmes sont libres en Occident et parfaitement égales aux hommes. Il est donc difficile d’envisager que des femmes nées « libres » dans une société occidentale choisissent rationnellement de la quitter pour subir une régression de leurs droits.