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Bad Feminist: le féminisme inclusif et imparfait de Roxane Gay

Bad Feminist: le féminisme inclusif et imparfait de Roxane Gay

Auteurice Alizée Tromme, 11 octobre 2018
Type de publication

© Image de Eva Blue

C’est sous un titre volontairement provocateur que la journaliste et romancière américaine Roxane Gay a sorti l’un de ses derniers livres.

Bad Feminist est un recueil d’articles et essais publiée par l’auteure dans différents médias. Elle y aborde des thèmes qui lui sont chers tels que le racisme, la culture LGBT+ et bien sûr, le féminisme. Elle interroge l’état de ce dernier, le remettant en cause pour en proposer une définition plus inclusive et abordable.

Paru en 2014 en Amérique, Bad Feminist est un recueil de différents articles que Roxane Gay a écrits sur des sujets variés, mais qui la concernent toujours d’un point de vue personnel. L’auteure y parle de films, séries, livres, d’actualités; mais sous un angle qui la touche directement : race, féminisme, cause LGBT+… Explicité par de nombreuses expériences vécues par Roxane Gay, le livre parle ainsi d’elle-même avant tout, et de sa démarche en tant que femme de couleurs et queer dans l’Amérique actuelle.

 

© DR – Bad Feminist

 

Moins connue dans nos contrées où elle n’a été traduite que récemment, Roxane Gay est une personnalité importante des milieux journalistiques et culturels américains. Elle publie des articles pour différents journaux et sites d’informations, dont le New-York Time, et travaille comme professeure à l’université d’Indiana. La biographie de son site précise qu’elle a également publié des romans, des scénarios pour les comics Black Panther de Marvel, et travaille sur des projets de films et pour la télévision. Elle possède un compte Twitter sur lequel elle est très active, et réagit fréquemment à des sujets d’actualités comme la défaite largement commentée de Serena William à la finale de l’U.S. Open 2018 .

Mauvaise féministe

Dans l’introduction de son livre (disponible en partie et en anglais sur Buzzfeed), l’auteure y décrit plus en détails son rapport avec le féminisme, et commence pour ce faire par parler d’elle-même. Son identité et son parcours singuliers sont une part importante de ses écrits et sous-tendent globalement sa vision d’écrivaine. Jeune femme noire née en Amérique mais aux origines haïtiennes, elle se décrit également comme queer (terme englobant utilisé pour définir toutes les sexualités et genres en dehors de l’hétérosexualité de l’identité cisgenre) et obèse. Roxane Gay s’intéresse tout particulièrement à la pop culture, déclarant sans honte regarder des émissions de télé-réalité ou des blockbusters.

Consciente de sa différence et de ses contradictions, elle s’est longtemps tenue éloignée du mouvement féministe, ne s’y retrouvant pas. Elle s’en explique: «Les femmes de couleurs, les femmes queer et les femmes transgenres devraient être mieux intégrées dans le projet féministe. Les femmes de ces groupes ont été honteusement abandonnées par le Féminisme avec un grand F et à de nombreuses reprises. C’est une vérité crue et douloureuse. Beaucoup de personnes se fondent là-dessus pour résister au mouvement, pour tenter de s’écarter de lui». Avant de tempérer, et d’expliquer pourquoi elle a changé d’avis: «Mais on ne répare pas une injustice par une autre. Les erreurs du féminisme n’impliquent pas que l’on doive le rejeter totalement».

 

© Maybel Gadot – Je suis une mauvaise féministe

 

Elle revendique désormais le droit d’être une «bad feminist», une personne humaine, pleine de contradictions et différente, loin de cette image de perfection et de respectabilité que le féminisme renvoie parfois selon elle. «J’adopte publiquement l’étiquette de mauvaise féministe. Je le fais parce que je suis un être humain et, en tant que tel, imparfait. Je ne suis pas une experte en histoire du féminisme. Je n’ai pas l’érudition que j’aimerais avoir en matière de textes féministes clés. J’ai certains… centres d’intérêt, des traits de personnalité et des opinions qui ne coïncident pas nécessairement avec les courants majoritaires du mouvement, mais je suis quand même féministe». Un féminisme personnel, déculpabilisant, plus accessible et inclusif, avec lequel elle aborde l’actualité et la culture dans les différents essais regroupés dans son livre.

Féminisme, Homophobie, Racisme, Politique, Moi

Un mot pourrait décrire le travail de Roxane Gay: intersectionnalité. Cette «convergence des dominations» qui rassemble «racisme, sexisme, homophobie», comme l’explique Cécile Daumas dans un article de Libération. Tous ces sujets sont liés, et abordés dans les différents essais de Bad Feminist, toujours en lien avec l’expérience personnelle de l’auteure en tant que femme racisée et queer. La structure de son livre est ainsi divisée en plusieurs parties: Moi, Genre & Sexualité, Race & Divertissement, Politique, Genre & Race, Encore Moi.

A la lumière de ces différents angles, Roxane Gay analyse l’actualité, ainsi que plusieurs œuvres culturelles comme des films, des livres, des séries. Elle parle également de sa vie en général, les deux se mélangeant toujours, inséparables pour comprendre le ressenti de l’auteure, et dont elle se sert pour expliquer son point de vue.

Elle y critique par exemple la représentation des personnages de couleurs, et en particulier des femmes noires, dans des films comme La couleur des sentiments, Django Unchained ou Twelve Years a Slave. Pour elle, «[…] le vécu des Noirs, particulièrement au cinéma, passe par le prisme d’écrivains et de réalisateurs blancs […] Leur prisme, sa pérennité et sa mauvaise qualité commencent à devenir lassants».

D’autres sujets sont ainsi traités par Roxane Gay: l’humour, l’amitié féminine, la représentation des femmes queer ou noires dans des séries comme Orange Is The New Black. L’avis parfois très tranché de l’auteure est toujours expliqué par des anecdotes personnelles, et l’on en apprend finalement tout autant sur elle que sur le sujet qu’elle traite. Cela rend son écriture très personnelle, et parfois poignante. A l’instar de son article sur la saga Hunger Games et ses adaptations cinématographiques. Pour pour y parler de sa fascination des personnages féminins complexes, forts mais faillibles, Roxane Gay y aborde le viol collectif qu’elle a subi durant son adolescence. Et à quel point des héroïnes littéraire comme celle de cette série de livres et de films lui parlent, et sont importantes pour les victimes de traumatismes. Elle conclut: «Bien sûr que j’aime Hunger Games. Cette trilogie nous offre l’espoir inébranlable dont ont faim ceux qui ont survécu à l’insupportable».

Féminisme imparfait et humain

On peut ou non partager les avis de Roxane Gay sur les différents sujets qu’elle aborde. L’apport personnel qu’elle donne à ses arguments, basés sur son vécu, ne laisse toutefois pas indifférent et interroge sur l’état actuel du féminisme, en Amérique et dans le reste du monde. Tout comme son livre apporte un regard concerné sur les autres luttes qu’elle aborde. Dans par son appellation «mauvaise féministe», l’auteure prône un féminisme plus inclusif et humain, qui n’exclut pas les minorités ni le droit à l’erreur et à l’imperfection. Un féminisme dans lequel chacunE peut se retrouver, peu importe son genre, son orientation sexuelle, sa couleur de peau ou son origine sociale.

Car, malgré les reproches qu’elle peut adresser au mouvement, Roxane Gay n’en continue pas moins à le soutenir, comme elle le rappelle dans la conclusion de son livre: «Quels que soient mes problèmes avec le féminisme, je suis une féministe. Je ne peux pas et ne veux pas nier l’importance et l’absolue nécessité du féminisme. Comme la plupart des gens, je suis pleine de contradictions, mais je ne veux pas non plus qu’on me traite comme de la merde sous prétexte que je suis une femme. Je suis une mauvaise féministe. Je préfère être une mauvaise féministe que ne pas être une féministe du tout».

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