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Un imaginaire sous contrôle: le problème des pubs sexistes

Un imaginaire sous contrôle: le problème des pubs sexistes

Auteurice Nadia Héritier Da Silva, 27 mai 2021
Illustrateurice /

Moulinex libère la femme ! Publicité sexiste des années 1960

La publicité est partout: sur internet, sur les réseaux sociaux, dans la rue, à la télévision… personne ne peut y échapper. Supposément, elle reprendrait les codes et les normes sociales pour les appliquer dans ses messages, mais, c’est plus compliqué que cela.

 

Une lente évolution

Dès le début des pratiques publicitaires telles que nous les connaissons aujourd’hui, dans les années 1850, des images de femmes sont utilisées dans les annonces afin de séduire le public. Selon les époques, les canons de beautés varient et le message n’est pas le même : de la femme au foyer à la pin-up, le corps des femmes et leurs rôles sociaux sont consciemment utilisés pour faire acheter, mais aussi, inconsciemment, pour imposer et renforcer des comportements genrés (et prétendument naturels) aux femmes.

En effet, les publicités influencent les femmes en leur dictant comment se comporter pour être « féminines » et à quoi elles devraient ressembler. Et, quelle aubaine pour les marques, c’est grâce aux produits mis en avant dans leurs publicités que les femmes seraient censées y arriver! Cependant, dans un premier temps, ce sont les hommes qui sont ciblés comme acheteurs potentiels et les images de femmes sont là pour susciter le désir. Ce dernier sera ensuite transposé à l’objet ou au service proposé par la publicité afin de faire naître une envie d’acheter.

Les modèles de femmes

La première «catégorie» de femmes mobilisée dans les annonces est celle de la femme au foyer en relation de dépendance avec son mari. Ce type de réclame met en avant les différents produits ménagers que la femme devrait utiliser pour rendre son foyer heureux. Les années passent et le corset est la pièce à la mode. Ainsi, les femmes aux tailles de guêpes et à la poitrine saillante deviennent l’image phare des pubs de sprays pour vitre et autres bouteilles d’anti-calcaire. Puis, les femmes apparaissent de plus en plus dénudées et érotisées, de la Pin-Up aux formes exagérées et aux corps irréalistes, à la playmate, en passant par le porno chic : on peut commencer à se demander ce qui est vendu par les publicitaires…

Dès les années 70, Ervin Goffman, sociologue américain, démontre dans La Ritualisation de La Féminité que peu importe que les femmes soient dénudées ou non, elles se trouvent toujours en posture physique de soumission dans les publicités. La tête baissée, effacée, le sourire doux, la bouche entre ouverte… la femme est passive et ingénue ; tout le contraire de l’homme! Le fond du message reste identique : les femmes doivent toujours être disponibles, surtout sexuellement. D’ailleurs, dans les publicités, les sous-entendus sexuels passent rapidement aux codes de la pornographie, notamment pour les marques de luxe. On y voit des femmes-exhibitionnistes avides de sexes qui seraient « tentatrices » depuis Eve.

Un retard qui s’accumule

Or, malgré une lente évolution sociale, le message central des publicités a très peu changé. La femme devrait à la fois s’occuper de sa famille, être sexuellement désirable et disponible en tout temps pour les hommes, inutile de le préciser. La publicité leur dit donc que, pour plaire, elles se doivent de prendre soin d’elles (injonction utilisée par la suite pour se moquer des femmes qui ne pensent qu’à leur apparence).

De manière générale, dans la publicité, les femmes sont sous-représentées à des postes de pouvoir ou d’autorité. En fait, lorsqu’elles sont mobilisées, c’est pour leurs qualités « naturelles » par exemple le domaine du care, comme l’illustre très bien cette publicité pour un produit Vicks :

En effet, les 3 rôles « naturels » – épouse, mère, putain – de la femme sont omniprésents dans les messages publicitaires. Pour leur faire avaler la pilule, on rend leurs tâches positives, on montre à quel point elles sont indispensables car elles ont toute la charge mentale de leur foyer. Selon les chercheurs et chercheuses le discours est devenu «bienveillant»; en opposition à «hostile», bien qu’il reste sexiste .

En tout cas, les stéréotypes sont plus subtils et moins choquants d’un point de vue de la sexualisation des femmes. Mais le monde publicitaire a de la peine à s’ajuster à l’évolution sociale. Il nous montre toujours majoritairement un monde binaire, stéréotypé et hétéronormé mis en scène par des personnes blanches, minces et valides.

Bienveillance et paternalisme 

Déjà en 1970, l’Unesco s’inquiète de la place des femmes dans les publicités: elles apparaissent uniquement dans des positions subalternes, dépendantes et épanouies uniquement en tant que mères. De plus, les femmes représentées correspondent toujours aux standards dominants de beauté, afin qu’elles restent désirables.

Actuellement, les publicitaires contrebalancent le discours avec de la bienveillance et un ton paternaliste. On dira que les femmes sont moins compétentes mais plus amicales, on les montrera en train de conduire un SUV mais parce qu’il a un grand coffre pour leur shopping et qu’elles l’utilisent pour véhiculer leurs enfants… Un combiné d’évolution dans laquelle la femme conduit un SUV et de messages stéréotypés, parce que c’est une mère de famille, tout en subtilité.

Notons encore que les rares publicités qui inversent ou modifient les rôles sociaux sont toujours mises en avant comme des exceptions.

Et alors ?

Le problème de ces représentations erronées est qu’elles légitimisent et banalisent des comportements discriminatoires, sexistes et dégradants envers les femmes. Celles-ci finissent aussi par assimiler l’idée qu’elles seraient inférieures et, par essence, destinées à s’épanouir uniquement dans le rôle de mère qui prend soin des autres et d’objet sexuellement désirable pour le regard masculin.

En effet, une étude montre que les personnes exposées à des publicités, clips vidéos, images etc. dans lesquelles les femmes sont montrées comme des objets, sont plus sujettes à penser que les femmes sont coupables si elles se font agresser ou harceler. Ces images renforcent donc la culture du viol et banalisent le harcèlement sexuel.

Il existe plusieurs explications au décalage constaté entre les représentations médiatiques et la réalité; en voici une: Les agences publicitaires, la communication et les médias sont des mondes dominés par les hommes, on y retrouve ainsi un entre-soi masculin et une reproduction du monde patriarcal. En France,  la ligue du lol en est un bon exemple. Il y a en effet peu de femmes à des postes clés dans ces secteurs; et malheureusement, celles qui s’y trouvent sont poussées à adopter des comportements considérés comme «masculins» pour se faire accepter.

Il semblerait de plus les publicitaires ne voient pas le problème : une étude montre que 90% des publicitaires estiment que les femmes sont représentées de manière positive dans les pubs. -…positive pour la reproduction du système hétéro-patriarcal, sûrement…!. Il existe visiblement un énorme décalage ! Car 45% des consommateurs et consommatrices considèrent à l’inverse que les femmes sont mal représentées et 82% des femmes se disent complexées par ces images.

Pas si naturel 

Les images que les publicités renvoient aux consommateur-ice-s ont un effet néfaste sur les représentations mentales et les comportements. Pourtant le monde publicitaire prétend que ces stéréotypes ont un fondement scientifique : les femmes correspondraient par nature à la manière dont elles sont mises en scène dans les publicités. Or, les qualités considérées comme naturellement féminines sont en fait dérivées de préjugés sexistes. L’idée même d’une division sexuée du travail au paléolithique est aujourd’hui remise en cause. Par exemple, les femmes chassaient aussi. Il s’avère que certains passages de l’histoire ont été interprétés de manière biaisée à une époque où les scientifiques étaient exclusivement des hommes. Ainsi non seulement, les représentations sexistes ont un impact négatif sur l’inconscient collectif, mais elles n’ont en plus aucun fondement réel !

Cependant, ces images permettent de renforcer les rôles sociaux, la binarité de genre et donc le système patriarcal. Les médias et les publicités deviennent ainsi des porte-voix de l’ordre établi. Il est urgent de remettre en question notre manière de communiquer et de réfléchir à l’impact des images des publicités. Il est possible de susciter l’envie d’achat par d’autres moyens que les représentations sexistes! Surtout qu’il est risqué pour les marques, à une époque où le boycott devient un outil puissant de militantisme, de relayer une vision misogyne des femmes dans leurs publicités.

La prochaine fois que vous vous trouvez face à une publicité observez les symboles, les rôles des personnages, leurs positions… et vous pourrez voir par vous-mêmes si les choses ont évolué ou non… (vous pouvez aussi évaluer directement sur notre site si une publicité est sexiste grâce à notre quizz).

Pour en savoir plus : 

  • PIETRUCCI, S. & VENTIANE, C. & VINCENT, A. (2012). Contre les publicités sexistes. Edition l’Echappée.
  • 5 Image, rôle et condition sociale de la femme dans les médias, recueil et analyse des documents de recherche, in : n° 84, Etudes et documents d’information, Unesco, 1979.
  • Presse féminine et publicité : le corps de la femme, à écouter sur France Inter
  • La valeur du corps (4 épisodes), épisode 2 : Nos corps stéréotypés, une série à découvrir sur France Culture
  • Un rapport du CSA dénonce les clichés sexistes dans les pubs, une vidéo de Brut 
  • La place de la femme dans la publicité montrée en vidéo 

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