Menu de l'institut
Menu du LAB

LE LAB

La lutte féministe au masculin

La lutte féministe au masculin

Auteurice Marion Marchetti, 6 juin 2019
Illustrateurice

Le combat pour l’égalité de genre appartient-il également aux hommes? Peuvent-ils lutter aux côtés de leurs homologues féminins? Un aperçu des enjeux masculins dans les revendications féministes.

Un homme est-il légitime de revendiquer son appartenance au mouvement féministe? Au sein des débats sur les participations masculines dans le cadre de la grève des femmes du 14 juin, cette question continue de faire couler beaucoup d’encre, et pour de bonnes raisons.

Car oui, les hommes ont assurément des privilèges à perdre dans le combat vers une société égalitaire. Selon Sébastien Chauvin, professeur en sciences sociales à l’Université de Lausanne, «il faudra qu’ils travaillent plus à la maison et qu’ils renoncent aux avantages dont ils bénéficient dans leurs carrières». Par ailleurs, se déclarer solidaire de la lutte féministe n’annule en rien les privilèges dont ils jouissent: «c’est comme le privilège blanc, il n’y a pas besoin d’être sexiste pour en bénéficier», ajoute le spécialiste.
En effet, la nouvelle forme dominante de la représentation de la masculinité, appelée «masculinité hégémonique» au sein des études sur le sujet, intègre peu à peu une forme de modernité, de douceur, ainsi qu’une certaine ouverture à l’égalité de genre. Cette nouvelle modélisation permet en apparence de distinguer les hommes dits «sophistiqués», de ceux que l’on pourrait qualifier de «beaufs», mais elle ne renverse pas pour autant la hiérarchisation des genres dans l’organisation de la société.
«S’il y a toujours le même pourcentage d’hommes dirigeants par rapport aux femmes, ça nous fera une belle jambe qu’ils soient gentils» ironise Sébastien Chauvin. L’égalité de genre implique donc que les hommes renoncent à certains privilèges dans les faits plutôt que dans le discours. Cela dit, ces changements concrets peuvent également leur être bénéfiques.

Les maux majoritairement masculins liés à l’inégalité de genre sont multiples. À commencer par la liberté de construction culturelle autour des vêtements, dont le choix est très limité pour les hommes, en raison d’une masculinité hégémonique rejetant de manière phobique tout ce qui s’apparente au féminin. Cette même crainte sert également de fondement aux violences homophobes visant à dévaloriser l’homme dont la sexualité est interprétée comme une remise en question de sa masculinité. Si certaines micro-agressions de ce type se limitent à des moqueries en apparence sans conséquences, elles appartiennent au même système de valeur qui conduit des individus à faire preuve de violences morales ou physiques envers la communauté LGBTQI+.
L’éducation est également touchée, les échecs scolaires concernant majoritairement les garçons, ce qui pourrait s’expliquer par leur appartenance à un milieu où la virilité est synonyme d’une résistance à l’autorité. La valorisation des hommes dans la sphère professionnelle, quant à elle, est accompagnée d’une dévalorisation de leur rôle de parent: en témoigne le rejet de l’initiative pour un congé paternité par le Conseil Fédéral la semaine passée, négligeant ainsi une part importante de leur humanité.
Enfin, plusieurs études, dont «The Gender Paradox in Suicide» de la chercheuse en psychologie Silvia Sara Canetto, démontrent que si les femmes sont plus nombreuses à tenter de mettre fin à leur jour, les hommes y trouvent plus souvent la mort. «L’agressivité et l’accès aux armes étant traditionnellement associés à la masculinité, leurs tentatives sont plus violentes» explique Sébastien Chauvin. Il semblerait donc que les hommes subissent également les inégalités de genre à plusieurs niveaux, de manière parfois dramatique. Comment peuvent-ils alors agir pour que femmes et hommes soient traités de manière égale par la société?

 

 

La question du rayon d’action est complexe, car les individus à eux seuls ne représentent pas l’entièreté du problème: il s’agit ici d’un système de valeur ancré dans l’inconscient de chaque personne, femmes y compris.

Selon l’avis de Sébastien Chauvin, une mesure conséquente consisterait à ériger des lois cultivant l’égalité salariale et établissant un congé paternité. Dans la vidéo sur les plafonds de verre réalisée par les Nouvelles Universitaires Lausannoises, la sociologue Farinaz Fassaz Recrosio suggère également un système de quota pour minimiser la discrimination à l’emploi dans les postes à hautes responsabilités.

Si ces changements dépendent avant tout des politiques, les individus masculins peuvent également agir à leur propre niveau: par exemple, adopter une écriture épicène diminue la transparence des femmes dans les textes et les consciences collectives. Il est aussi recommandé aux hommes hétérosexuels de s’investir dans les tâches ménagères de manière active, sans attendre que leur partenaire les y invite ou leur indique de quelle façon ils peuvent les «aider». Laisser la responsabilité de l’organisation du travail domestique à la femme revient à leur incomber une charge mentale, raison pour laquelle il est important que la division des tâches se fasse de manière collective.

Par ailleurs, l’écoute masculine active constitue un excellent moyen de militer pour l’égalité des genres. En effet, l’étude «Gender Inequality in Deliberative Participation» de Christopher F. Karpowitz révèle que le temps de parole des femmes est de 75% inférieur à celui des hommes dans les réunions de travail. Ce qui peut entre autres s’expliquer par le phénomène de «manterrupting», déséquilibre entre le nombre d’interruptions des femmes et celui des hommes. Enfin, le «mansplaining» («mecsplication» en français), réflexe masculin consistant à expliquer à une femme un phénomène qu’elle connaît déjà et par lequel elle est souvent plus concernée que son homologue masculin, contribue également au problème.

La compréhension et l’empathie, traditionnellement associées à la féminité, permettraient aux hommes qui les pratiquent d’explorer la dose d’humanité dont la masculinité hégémonique continue de les priver. Un militantisme à travers une compassion sincère associée à une honnête remise en question des privilèges masculins: le début du chemin vers une égalité bénéfique à toutes et à tous.

 

Image de titre: © Ryan Mc Guire

 

Restez au courant de nos actualités:

S'inscrire à la newsletter

Recevez nos outils contenus media:

S'abonner à la boîte-à-outils