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Heartstopper: analyse d’un phénomène

Heartstopper: analyse d’un phénomène

Elizabeth M, 19 mai 2022

Si vous avez utilisé les réseaux sociaux Twitter ou Instagram ces dernières semaines, vous avez sans doute entendu parler de Heartstopper, la nouvelle série pour ados de Netflix. La romance entre les jeunes anglais Nick et Charlie semble avoir captivé non seulement son public cible, mais également une tranche d’âge plus adulte. Retour sur ce buzz inédit. 

Heartstopper, c’est une histoire qui se dévore en huit épisodes d’une trentaine de minutes chacun. La série suit Charlie, le seul enfant ouvertement gay dans son école pour garçons, et Nick, membre de l’équipe de rugby de l’institut, à priori on ne peut plus hétérosexuel. Assis par hasard l’un à côté de l’autre en cours, leur amitié improbable voit le jour, et peu à peu se développent leurs sentiments l’un pour l’autre. L’histoire est racontée dans un ton bienveillant sans être guimauve, réaliste sans être pessimiste, et instructif sans être moralisateur. Cependant, de nos jours, on peut trouver au moins un personnage ou une relation ayant trait à la communauté LGBT+ dans une grande partie des films et séries télévision qui sont tournées. Pourquoi Heartstopper se démarque-t-il alors autant du lot?

Parce que c’est plus qu’une série

Alors que beaucoup découvrent l’univers de Heartstopper pour la première fois, il est important de noter que les personnages et les intrigues ne datent pas d’hier. En effet, la série est adaptée du webcomic du même nom, et les deux œuvres ont la même personne aux manettes. Alice Oseman, autrice britannique de romans Young Adult, commence à publier Heartstopper en ligne en 2016, racontant l’histoire de deux personnages secondaires de son premier livre, Solitaire (L’année Solitaire en français, éditions Nathan). La bande dessinée est ensuite officiellement publiée par les éditions Hachette, et sort sous forme de roman graphique, en anglais ainsi qu’en français. Ainsi, tandis que les fans de longue date retrouvent les protagonistes sous un autre jour (et en couleur qui plus est), le reste du monde peut découvrir directement la suite de l’intrigue en lisant le webcomic, qui reste disponible gratuitement en ligne.

Les traces du webcomic restent bien visibles dans la série. Les moments forts sont accompagnés par de petites animations dessinées en 2D, qui expriment de façon graphique le ressenti des personnages : par exemple, quand Nick rapproche sa main de celle de Charlie pour la première fois, on voit des étincelles jaillir littéralement au contact. Ainsi, la série se place dans un espace narratif entre l’exagéré et le réaliste, une juxtaposition qui rappellerait presque le graphisme de Scott Pilgrim, autre adaptation à l’écran de bande dessinée. Dans les deux cas, ce clin d’œil au format original enrichit l’expérience visuelle.

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Parce qu’on a besoin de représentation

Si l’adaptation est fidèle à l’œuvre originale, elle n’en est pas pour autant une copie conforme: d’après Oseman, il s’agirait d’une version «élargie» de la bande dessinée. En effet, plusieurs scènes phares de la série sont des ajouts qui ne figurent pas du tout dans le format papier, et leur présence rend l’œuvre plus riche: notamment, dans le troisième épisode figure un baiser échangé par deux filles, Tara et Darcy, au milieu d’une soirée. Quand la caméra bascule vers Nick qui les regarde, le public comprend l’importance de voir des relations non-hétérosexuelles pour ce protagoniste qui se découvre encore.

Cet environnement positif ne favorise pas uniquement Nick et Charlie. En plus de ces deux protagonistes cisgenres* et blancs, nous faisons face à un éventail de personnages divers et variés comme Elle, jeune fille transgenre** qui, suite à son coming out, fréquente l’école pour filles où elle noue des liens d’amitié avec Tara et Darcy, susmentionnées. Au lieu de s’attarder exclusivement sur la difficulté de son parcours et les préjugés auxquels font face les jeunes filles transgenres racisées, comme c’est le cas si souvent au cinéma, elle a droit à une histoire d’amour naissante avec Tao, ami d’enfance de Charlie.

Bien que la série baigne dans une atmosphère fondamentale positive, nos protagonistes ne vivent pas non plus dans un univers de bisounours. L’homophobie et la transphobie*** existent, ainsi que le harcèlement scolaire dont sont victimes nombreuses personnes de la communauté LGBT+ dans la vie réelle. Cependant, le fait de montrer ces thématiques à l’écran contribue non seulement à les maintenir d’actualité , mais aussi à contraster davantage avec la nature purement bienveillante des relations d’amitié et d’amour, aspect que l’on retrouve aussi dans cette communauté, que l’on soit adolescent-e-x ou non.

Parce que ça met du baume au cœur

En plus de plaire à la tranche d’âge visée, soit un public adolescent qui peut se retrouver dans le vécu des personnages, la série a également reçu moult éloges d’un public majeur. Dans The Guardian, le journaliste Owen Jones explique: «Des gens queer qui vivent, qui aiment, qui sont accepté-e-x-s et oui, qui font face à des problèmes, comme tout le monde, et qui passent au-delà: c’est exactement ce qui manquait.» Il ajoute que le fait de voir des relations LGBT+ positives, cependant, a mis en abîme sa propre expérience, et explique qu’il y a également une part d’amertume dans la réalisation que son vécu, en tant que millenial, ne correspond pas au niveau d’acceptation actuel chez les plus jeunes. Nous y voyons donc une évolution, autant dans le domaine des séries pour ados que dans la vie réelle : les jeunes personnes LGBT+ ont leur happy ending.

Car en effet, dans les films et séries contemporaines, ce n’est pas toujours une garantie: au contraire, les personnages LGBT+ ont plus de chance de connaître une fin triste ou même de mourir, cliché si vaste qu’il est connu sous l’appellation «bury your gays». Cette tragédie dont sont victimes de façon disproportionnée les personnages LGBT+ serait une conséquence du «code Hays» des années du vieil Hollywood, qui interdisait entre autres de montrer des relations homosexuelles à l’écran. Bien qu’il ne soit plus d’actualité, ce code de production fait des dégâts encore aujourd’hui, d’où l’importance pour beaucoup de personnes LGBT+ de voir des personnages qui leur ressemblent connaître une histoire heureuse.

C’est donc avec ce cocktail de facteurs que Heartstopper a su conquérir son large public: un délicat mélange d’une histoire où des personnages LGBT+ trouvent le bonheur des premiers amours, un public déjà enthousiaste grâce à la notoriété de l’œuvre originale, le tout en surfant sur la vague des séries ado telles que Sex Education et Euphoria. On lui souhaite déjà une deuxième saison qui suivrait les chapitres plus récents du webcomic, mais en attendant, beaucoup se plaisent à voir et revoir la série, courte et sucrée comme un petit bonbon.

 

Définitions:

*Cisgenre: ici, utilisé pour désigner une personne dont l’identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance (Source: Le Robert)

**Transgenre: désigne une personne dont le genre ne correspond pas à celui qui a été assigné à la naissance (Source: Le Robert)

***Transphobie: ici, attitude d’hostilité envers les personnes transgenres (Source: Le Robert)

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