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Petite histoire de la violence gynécologique

Petite histoire de la violence gynécologique

Auteurice Marie Winzap, 28 février 2019

Les violences gynécologiques: un problème passé et disparu? Des pratiques antiques n’ayant plus cours aujourd’hui? Pas tout à fait.
Petit tour de la question.

Le 20 novembre 2018 paraissait sur la RTS une interview de la Conseillère Nationale socialiste (VD) Rebecca Ruiz et du médecin Martin Winkler  concernant l’état des violences gynécologiques en Suisse. Six mois auparavant, la statue de J.Marion Sims, considéré par beaucoup comme le «père de la gynécologie», aux pratiques se rapprochant pourtant plus de la torture, était retirée à New-York. Les interviews de Konbini sur les victimes des violences gynécologiques, la visibilisation des patientes souffrant d’endométriose ou encore le site internet «AdopteUnEgynéco» sont autant de signes montrant que le monde entier semble se réveiller et se mobiliser sur les violences gynécologiques dites «modernes». Et pourtant, leur existence ne date pas de notre siècle, ni même de celui de J.Marion Sims. Ces violences s’inscrivent dans la continuité d’un processus de déshumanisation du corps de la femme et d’accaparement de son sexe par la classe masculine dominante. Petit retour historique sur des millénaires d’assujettissement.

© Creative Commons – Pancarte à la Women’s March de Frankfort 2017

Une vision Antique du corps féminin ?

Plusieurs siècles avant notre ère, les auteurs influents de l’Antiquité avaient déjà tous leur mot à dire sur le corps des femmes. Aux douleurs gynécologiques, ils donnèrent comme solution le mariage, et donc les rapports sexuels.

L’idée selon laquelle le sexe féminin serait inférieur à celui de l’homme est déjà présente: certains auteurs, comme Soranos D’Ephèse (env. -200 avant J-C), écrivent «le féminin diffère naturellement du masculin, (…) la femelle est imparfaite et le mâle parfait». Tout ce qui concerne le sexe de la femme est pensé en fonction du sexe de l’homme, selon un modèle de miroir, mais pourtant toujours inférieur. Mystérieux car invisibles, causes de tous les maux et humeurs, les organes génitaux féminins sont l’objet de tous les fantasmes projetés par les hommes qui ne s’en approchent pourtant jamais. En effet, l’accouchement reste et restera une affaire de femmes jusqu’au 17ème siècle, car s’il est considéré comme de l’ordre de l’intime, il est surtout question de souillure et de fluides impropres. Or, avec l’essor de la médecine et la grande mode des dissections, les hommes prennent conscience de la complexité et surtout de la différence du système génital de la femme: le modèle du miroir disparaît, la croyance de la nécessité d’un orgasme féminin pour la conception également.

En parallèle, les hommes, les seuls ayant accès aux études médicales, remplacent petit à petit les accoucheuses par de médecins qui, à coups de jargon médical savant, écartent ces dernières. Cette différenciation sexuelle donnera le coup de grâce à l’exclusion des femmes de la sphère politique et les renverra à un rôle unique de procréation. Car dans les esprits, la différence sexuelle implique la différence mentale : les menstruations rendent soudain la femme psychiquement inapte à assumer des devoirs civiques.

La triste ironie de la situation réside dans le fait que si les hommes médecins sont désormais les seuls habilités à s’approcher du sexe féminin, ils n’ont pas le droit de le regarder. Les examens se font donc à l’aveugle, quand ils se font; car le dégoût des hommes à toucher cet endroit considéré comme sale s’ajoute à leur négligence. Tout est désormais pensé en fonction de leur confort. La position allongée pour l’accouchement, par exemple, est instaurée pour faciliter le travail du médecin, et non celui de la femme. La domination masculine dans le domaine médical se cristallise même sur la table d’accouchement.

De « l’hystérie » à l’endométriose

Si Hippocrate invente le terme d’hystérie (dérivé directement d’utérus) quatre siècles avant notre ère, il subsiste encore aujourd’hui dans la prise en charge des douleurs gynécologiques, et notamment dans celle de l’endométriose. Galien, médecin grec de l’Antiquité (env.-200 av. J-C)  avait également mentionné le lien entre troubles psychiques et utérus. Il le décrivit comme un «vase renversé» se baladant dans le corps de la femme faute de procréation, créant ainsi des sautes d’humeurs

Au Moyen-Âge, la chasse aux sorcières donne l’occasion aux médecins d’entériner leur position dominante auprès de l’Eglise en désignant comme sorcières les femmes souffrant de manifestations dites hystériques, alors qu’on sait aujourd’hui qu’elles étaient certainement liées à des symptômes gynécologiques non-traités.

©  General Collections – Charcot traitant une hystérique

Mais c’est au 19e siècle que la notion d’hystérie est reprise et définie comme une maladie exclusivement féminine par un certain docteur Charcot. Celui-ci provoque l’hystérie sur des patientes inconscientes, hypnotisées, en leur appuyant sur les ovaires, et affirme ensuite que seule sa «ceinture de compression ovarienne» peut arrêter la crise. Ces démonstrations vont influencer les tenants de la psychanalyse, et évidemment Sigmund Freud, pour qui les douleurs gynécologiques seraient des traumatismes refoulés. Il les considère comme des affabulations ou comme un problème psychologique dont la solution est la masturbation violente des patientes… par leurs médecins, des hommes, évidemment.

Et aujourd’hui ?  

Les termes sont anciens mais les répercussions sont bien actuelles. Aujourd’hui, si l’utilisation de ces pratiques n’est plus légale, le mépris du consentement persiste toujours. Attouchements génitaux lors d’opérations sous anesthésie générale ou encore «le point du mari», technique qui consiste à recoudre le vagin plus serré après une déchirure due à l’accouchement, occasionnant des douleurs terribles à celle qui le subit.

 

A cela s’ajoutent des violences ordinaires, dont témoignent les patientes: palpation soudaine et brutale, refus de prescrire un moyen de contraception sans raisons médicales valables, propos discriminants liés au genre, au poids ou à l’origine ethnique, ou encore parfois un refus de communication de la part de certains médecins qui veulent garder leur savoir médical à tout prix, cherchant à conserver une élite bien gardée depuis plusieurs centaines d’années.

A ces violences psychologiques s’en ajoute une nouvelle, économique cette fois-ci: les coûts liés au contrôle de son corps. En 2013, le peuple suisse a été appelé à voter sur une initiative populaire visant à stopper le financement public de l’IVG, remettant en question les droits acquis. Les moyens de contraceptions ne sont toujours pas remboursés par l’assurance-maladie, le congé paternité reste inexistant à l’heure qu’il est. Certaines assurances maladies refusent même de couvrir les coûts d’une fausse couche survenant avant la treizième semaine, alors qu’une femme sur cinq en moyenne en subira une au cours de sa vie. Autant de manières modernes de garder la femme esclave d’une médecine qui s’est construite en opposition à son corps et qui l’a aliénée, la privant de son droit à disposer d’elle-même.

© Creative Commons – My body my choice Women’s march Chicago

Ainsi, la perception des organes génitaux féminins depuis l’Antiquité a réduit la femme tantôt à une pathologisation de sa grossesse, de son corps, tantôt à un déni de ses souffrances. Que ce soit en médecine, en psychanalyse ou encore en littérature, l’image véhiculée de la femme, de ses organes génitaux ou des manifestations gynécologiques a été, depuis toujours, corrélée à la souillure, au diable, ou réduite à un symptôme «psychologique». Le fait que la profession de gynécologue se féminise pourrait, à première vue, changer les choses, mais en réalité le problème vient de plus haut: dans l’enseignement des techniques gynécologiques, c’est toujours le club des «Old white men» qui tient les rênes. En France, les hommes, représentent 90% des membres du Conseil national de l’Ordre des médecins, selon le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes. Or en Suisse, il n’existe pas encore de rapport de ce type. Espérons que l’interpellation au Conseil fédéral concernant les violences gynécologiques, déposée par Rebecca Ruiz le 14 février dernier, permette de faire le point sur l’état exact de ces violences en Suisse et ainsi, faire bouger un peu les choses.

Image de titre: ©Thomas Hawk

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