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Bénédicte: la “première” caricaturiste romande

Bénédicte: la “première” caricaturiste romande

Auteurice Erica Berazategui, 9 octobre 2021
Illustrateurice

Née en 1972 à Lausanne, la dessinatrice de presse Bénédicte est aujourd’hui connue et reconnue dans le domaine en Romandie: après avoir dessiné pour quelques satiriques et périodiques, elle produit des illustrations et caricatures pour le journal local 24 heures. Retour sur la construction d’une carrière encore pleine d’avenir, et sur les obstacles rencontrés en cours de route dans le monde de la BD et du dessin de presse. 

Bénédicte commence sa carrière «comme tout le monde» dit-elle en riant: en dessinant dans les marges des cahiers. Son engouement pour l’art la pousse à réaliser ses premiers dessins humoristiques très jeune, à 14 ans, pour une psychopédagogue, Martine Bovay, avec qui elle collabore encore de temps en temps. Ado, elle se rend également régulièrement au Festival de Bande Dessinée de Sierre. Un détail la marque à l’une des éditions: du côté des dessinateurs, aucune femme n’est présente. Un détail en apparence insignifiant, qui a pourtant été l’une de ses motivations à étudier cet art: «Je voyais la BD comme la face d’une montagne qu’[aucune femme] n’avait gravi, c’était presque un défi.» Sans comprendre pourquoi ce monde était – et est toujours – dominé par des hommes, elle s’y accroche et entreprend des études dans le domaine, à Bruxelles.

Diplômée en 1996, elle rentre en Suisse et se nourrit de jobs alimentaires. «J’ai toujours réussi à faire des trucs chouettes, un peu créatifs et intéressants», se souvient-elle. L’éducation est presque toujours au centre de ces boulots ponctuels: prof de dessin dans une école suédoise, aide en bibliothèque… Elle s’amuse au gré de ses différents gagnes-pains mais confie que: «Parfois, c’était un vrai défi d’avoir la tête partout!»

Et le dessin?

Comme le monde de la BD, le dessin de presse a longuement été – et est aussi encore, soyons honnête-x-s !- très masculin. Pour Bénédicte, c’était un univers lointain et repoussant: «Je me pensais incapable de trouver une idée par jour, ça me paraissait insurmontable. Je pense que le fait de n’avoir eu aucun modèle féminin ne m’a pas aidée à m’y projeter.» Et pourtant, elle a percé dans le domaine, après avoir tenté de s’attaquer au dessin pour enfant, qui lui paraissait bien plus atteignable: «sans doute parce qu’il est largement dominé par des femmes!», remarque-t-elle. C’est après quelques tentatives vaines d’illustrations qu’elle réalise que ses dessins «fonctionnent» lorsqu’ils sont à caractère humoristique.

Toutefois,  la caricaturiste se retrouve face à une porte verrouillée à double tour: milieu artistique oblige, le dessin de presse est à l’époque totalement clos et inatteignable. Et puis un jour, fondé par Arianne Dayer (Ariane Dayer — Wikipédia (wikipedia.org)), apparaît le satirique Saturne, pour qui Bénédicte collabore  régulièrement, le temps de l’existence du journal, qui cesse de paraître en 2006 (Le journal Saturne cesse de paraître – rts.ch – Suisse).

Elle rencontre petit à petit les grands noms (uniquement masculins, rappelons-le !) du dessin de presse: Mix et Remix, Plantu, Herrmann, Barrigue… et collabore régulièrement pour le blog de Mix et Remix, «le plus drôle, le plus génial» aux yeux pétillants de Bénédicte. Après que Saturne se soit cassé la figure, elle se retrouve avec pour seul salaire «les encouragements de son dessinateur favori.» Quelque temps après, en été 2009, Barrigue (Barrigue — Wikipédia (wikipedia.org))lui soumet son projet de monter un nouveau périodique satirique: Vigousse. Elle n’ose pas réellement croire à cet autre projet, et pourtant! Vigousse démarre doucement mais s’emballe rapidement, ouvrant une brèche pour beaucoup de jeunes talents.

La brèche s’ouvre également pour Bénédicte, qui, après quelques premières et vaines tentatives, soumet ses dessins au quotidien Le Courrier (Le Courrier – L’essentiel autrement), chez qui elle travaille quelques années. Gros changement: «on ne me demandait plus de faire un dessin parmi d’autres, non, là, c’était le dessin en deuxième page!» La pression augmente, le rythme accélère et la manière de travailler change: elle quitte alors ses jobs alimentaires pour se consacrer uniquement au dessin. «C’était épuisant de se disperser comme ça, c’est pour ça qu’à un moment, j’ai dû tout arrêter pour faire du dessin, c’est devenu bien plus confortable! Et puis ça fait partie de la vie d’artiste.» Une prise de risque? «Oui mais calculée et nécessaire…» Très bien calculée puisqu’elle collabore en parallèle durant une année à l’Hebdo et ainsi que quelque temps pour Mieux choisir.

Fin 2013, elle reçoit une proposition de Thierry Meyer, rédacteur en chef du quotidien vaudois 24 Heures. «On m’a proposé de reprendre la place de Burki. C’était absolument incroyable qu’on vienne me chercher!»  Elle quitte ses anciens postes, avec émotion, pour remplacer Burki Raymond Burki — Wikipédia (wikipedia.org)– celui qui paraissait irremplaçable, après 20 ans de carrière dans le journal: «Oui, c’était difficile de prendre sa place, une partie du lectorat a mis du temps à accepter mes dessins. Mais en vérité, le plus difficile, c’était clairement d’arriver au moment où on m’a proposé de remplacer ce dessinateur!»

Dessinateur…rice?

Très tôt dans son parcours de dessinatrice de presse Bénédicte a été confrontée au fait d’être une femme: «quand j’ai commencé dans le domaine, la question de la visibilité des femmes dans les médias pointait le bout de son nez.» Sa parole était alors très recherchée en tant que dessinatrice de presse. Elle avait alors très vite  choisi de répondre à ces requêtes par un dessin:

Légende du dessin: «Les femmes caricaturistes font le même boulot que les hommes… on ne fait pas de la broderie!»

Au niveau de cette distinction entre les genres, une expérience particulière l’a marquée: «Un jour, j’ai participé à un concours de dessin de presse, uniquement destiné à des dessinatrices. Je ne comprenais pas pourquoi: on bosse dans la même catégorie, ce n’est pas de l’athlétisme. Alors pourquoi je ne peux pas participer à un concours avec des hommes et gagner si je le mérite?»

Admettant comprendre qu’il s’agit d’un moyen de mettre en avant les quelques dessinatrices de presse reconnues, elle affirme que le domaine de l’illustration satirique reste un domaine difficile, autant pour les hommes que pour les femmes. Ce qu’elle ne dément toutefois pas, c’est l’accès probablement plus difficile aux femmes au monde de l’humour:«Le dessin de presse doit être féroce et drôle. Dans les modèles d’éducation actuels, on n’apprend pas aux petites filles à être méchantes, à attaquer. On ne leur apprend pas non plus à faire rire, c’est une réalité encore actuelle. Les petites filles n’apprennent pas à être satiriques.»

Cependant, selon elle, les choses évoluent. On peut commencer à observer une forme de discrimination positive dans le domaine du dessin de presse actuellement. Puisqu’il s’agit d’un domaine justement dominé par les hommes, les médias auraient tendance à engager des femmes si possible, face aux nombreux hommes déjà présents dans le domaine.

Depuis ses débuts, Bénédicte suit un but simple à travers ses dessins: «Toucher tout le monde, en faisant rire et réfléchir.» Alors bien sûr, ses dessins ne plaisent pas toujours mais la dessinatrice est consciente que «s’ils plaisent à tout le monde, c’est sans doute qu’[elle] n’[a] pas bien fait [son] travail!» Loin de se prétendre journaliste, elle se voit comme une artiste, «plutôt que quelqu’un qui va changer le monde.»

Si elle ne change pas, selon elle, le monde avec ses dessins, Bénédicte résonne peut-être plutôt comme la première d’une longue série de dessinatrices romandes. Affaire à suivre.

Petit choix d’illustrations de Bénédicte:

Bibliographie:

Recueils de dessins de presse

– 101 dessins de presse de Bénédicte, Genève, Nouvelle association du Courrier, avril 2014, dessins publiés dans Le Courrier de 2011 à 2014.Le premier album de Bénédicte – Le Courrier

– Bénédicte 1, Lausanne, 24 heures,  novembre 2015 : dessins publiés dans 24 heures de 2014 à 2015.

– Bénédicte, Du lourd! 10 ans de Vigousse, Saint-Imier, Editions du Roc, avril 2019 : dessins publiés dans Vigousse de 2009 à 2019

– Bénédicte 2, Lausanne, Éditions Cabédita et 24 heures, novembre 2020 : dessins publiés dans 24 heures de 2016 à 2020

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