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L’introduction du consentement en droit pénal sexuel: consentir n’est pas désirer

L’introduction du consentement en droit pénal sexuel: consentir n’est pas désirer

Auteurice Sofia Balzaretti, 9 septembre 2021
Illustrateurice
Type de publication SuisseViolenceInternational

En 2021, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a proposé une réforme du code pénal suisse concernant les infractions sexuelles. Cette révision n’est pas suffisante selon une coalition de groupements féministes: il faudrait introduire la notion de consentement dans la définition juridique du viol, comme l’ont déjà fait plusieurs autres États. Mais que signifie consentir à une relation sexuelle dans une société patriarcale? Selon certaines théories féministes, la notion de consentement peut être dangereuse et ne doit pas être trop idéalisée.

La notion de consentement crée des désaccords connus parmi les féministes et il apparaît depuis quelques années dans le contexte du droit pénal des infractions sexuelles. Dans plusieurs États, les revendications féministes accusent le retard du droit qui protège contre le viol, estimant qu’il est dépassé. C’est l’exemple du droit pénal suisse, où le viol est défini comme «le fait d’un homme qui, en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, contraint une femme à subir l’acte sexuel». Cette définition est restreinte. Elle considère que seule une femme cisgenre peut en être la victime (et que seul un homme cisgenre peut en être l’auteur). Elle estime aussi et surtout que les actes non consentis de nature sexuelle qui ne consistent pas en un acte sexuel – une tournure archaïque pour signifier pénétration péno-vaginale – ou pour lesquels il n’a pas été usé de force ou de contrainte, ne constituent pas un viol. Une coalition de diverses ONGs et groupements féministes suisses, poussés par la grève féministe suisse du 14 juin 2019, considère cette définition comme stéréotypée et demande une réforme.

En 2021, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a proposé deux révisions importantes du Code pénal. Premièrement, le projet prévoit de créer une nouvelle infraction, celle d’«atteintes à la liberté sexuelle», couvrant les actes d’ordre sexuel au sens large qui sont commis «contre la volonté de  la personne». Deuxièmement, il prévoit d’étendre la définition du «viol» à tout acte sexuel forcé commis sur toute victime, indépendamment de son sexe. Mais cette révision reste insatisfaisante pour les groupements féministes suisses car elle n’inclut pas la notion de consentement.

Le consentement comme notion juridique

Le consentement est une notion sujette à interprétation, qui pose des questions particulièrement intéressantes, dans le sillage des mouvements féministes: que signifie consentir dans un monde patriarcal? À qui consent-on? Et pour quelles raisons?

Aujourd’hui, 13 États européens caractérisent le viol par l’absence de consentement de la victime. La quantité chiffrable de femmes victimes de viol est alarmante, d’autant plus qu’énormément de violences sexuelles passent sous le radar des statistiques, les procédures de plainte étant psychologiquement et matériellement compliquées pour les victimes. Le consentement mutuel devrait être la condition sine qua non préalable à tout rapport sexuel, à savoir la condition sans laquelle une relation sexuelle ne peut s’accomplir. Il existe cependant des dangers à l’évoquer dans ce contexte, selon certaines féministes.

Qui peut consentir et à quoi?

La notion de consentement est connotée dans le jargon juridique. Dans le droit des contrats, le consentement est la promesse d’une renonciation à une part de sa liberté et oblige qui le donne. En ce sens, consentir c’est restreindre ou nier sa propre capacité d’action. Consentir signifie, en réalité, accepter que d’autres personnes peuvent faire ce qu’elles veulent à ou sur ou à la place de la personne qui consent. Cette notion connotée du consentement se transpose ensuite dans le domaine des relations sexuelles. Il y a, dans l’imaginaire collectif occidental hétéronormatif, la pensée que l’homme est le performateur principal de l’acte sexuel et que la femme le subit.  En d’autres termes, la nature du viol est genrée.  Cela signifie que les hommes sont sociabilisés à faire fi de l’accord de l’autre ou à ne pas le prendre en compte. La notion de consentement devient alors dangereuse pour les femmes car elle suppose leur simple acceptation de ou concession à l’acte sexuel.

On a ainsi tendance à qualifier le viol de comportement «criminel» et à requérir qu’il soit puni plus sévérement (ce qui d’ailleurs est incompatible avec la pensée féministe dite anti-carcérale), alors qu’il s’insère dans un contexte social et culturel bien spécifique ; celui de la domination masculine. Ce contexte véhicule de nombreux mythes liés à la sexualité et à l’hétérosexualité. Deux mythes principaux sont à souligner : le premier veut que seule la pénétration péno-vaginale constitue un acte sexuel. Le second que le viol est forcément une agression requérant l’usage de la force physique de l’auteur et l’incapacité de se défendre de la part de la victime. Or, on commence tout juste à évoquer que la majorité des viols sont commis par un partenaire, ex-partenaire ou proche de la victime. Dans une société qui ne cesse de sexualiser les femmes, leur «non» à un rapport sexuel est constamment pris pour un «continuez à essayer», voire pour un «oui». Ainsi, les hommes peuvent prétendre avoir mal compris le refus des femmes et ces dernières peuvent être accusées de ne pas avoir exprimé leur refus de manière assez claire.

 

Source: Reddit.

Ces conséquences sont illustrées par certaines affaires, très médiatisées ces derniers mois. Citons par exemple l’affaire du devoir conjugal qui est montée jusqu’à la Cour européennes des droits de l’homme et dans laquelle une femme de 66 ans a été pénalisée dans son divorce au motif qu’elle refusait des relations sexuelles avec son époux. De manière analogue, dans une affaire portée devant la Cour d’appel bâloise, une peine de viol a été réduite «grâce» (à cause) du comportement «débridé» et provocateur de la victime. C’est significatif d’une culture patriarcale qui a tendance à envisager les femmes comme se trouvant dans un état de consentement sexuel par défaut.

Consentir n’est pas désirer

Les femmes peuvent être dans une situation de forte dépendance affective, économique et psychologique à l’égard de leur partenaire sexuel. Comment imaginer alors que le critère du consentement ne se retournerait pas contre celles qu’il est censé protéger? Le fait de nier cet état de dépendance conduirait à les déclarer responsables de ce qui leur arrive car elles y ont consenti. Pour citer la juriste Fabre-Magnan : «la vraie question de justice n’est pas de savoir si elles le veulent – et donc si elles consentent – mais si elles ont le choix. Le consentement n’a pas de sens dès lors que ceux dont il émane n’ont pas d’autre choix possible». Dans les relations sexuelles en particulier, cela signifie qu’on peut consentir à un acte qui implique une perte progressive de notre capacité à consentir, à tel point qu’il n’est plus donné à la personne de révoquer son consentement. C’est ce qui a été fortement critiqué d’un point de vue féministe dans la fameuse romance «érotique» de E. L. James, Cinquante Nuances de Grey où le protagoniste, Christian Grey, fait signer à Anastasia Steele un contrat écrit, obligeant cette dernière à satisfaire tous ses désirs, même les plus déshumanisants.

source: Voices in the Dark

Il ne faut ni mettre trop d’importance sur le terme de consentement, ni l’idéaliser. En effet, consentir «librement» ne signifie pas encore être totalement actif ou active, ni construire les normes de sa propre sexualité. Consentir n’est pas désirer. Si l’introduction de la notion de consentement dans le droit pénal est un intéressant exemple de la mobilisation du droit pour répondre à des problèmes de société et si une réforme du droit pénal en matière d’infractions sexuelles est certes nécessaire, elle ne suffit pas. Ces critiques nous incitent à réfléchir à une réforme plus globale des relations de pouvoir et de domination dans lesquels le viol se produit et qui s’immiscent aussi bien dans la sphère privée que dans les sphères étatique et décisionnelle.

Références et pour aller plus loin

Brooks, Victoria, ‘Why the legal definition of consent fails victims’, The Conversation, 25 octobre 2019.

Brown, Freya, Le consentement: un concept piégé’, Révolution Féministe, 14 juillet 2016.

Fabre-Magnan, Muriel, L’institution de la liberté, PUF, 2018.

Fraisse, Geneviève, Du consentement, Seuil, 2017.

MacKinnon, Catharine, ‘Feminism, Marxism, Method, and the State: An Agenda for Theory’ Signs 7, no. 3 (1982).

Roman, Diane, ‘Cinquante nuances de droit. Le mummy porn et l’analyse féministe du droit’, e-legal, Revue de droit et de criminologie de l’ULB, Faculté de droit et de criminologie de l’Université libre de Bruxelles (ULB), 2019.

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