Boulevard du Village noir: Quand la justice se confronte au racisme
Série racisme ordinaire 1/3
Auteurice Sarah Mokbil, 5 octobre 2023
En Suisse, le racisme ordinaire est intégré dans la société depuis des siècles. Shyaka Kagame raconte dans son podcast Boulevard du Village noir comment il a subi une agression raciste dans un bar et le déroulement de son procès. Cet article est le premier chapitre d’une série en trois parties consacrée au racisme ordinaire en Suisse.
Boulevard du Village noir est un podcast dans lequel Shyaka Kagame raconte comment il a subi une agression raciale en 2020 dans un bar du boulevard Carl-Vogt, dans le quartier genevois où il habite. Alors que Shyaka Kagame voulait juste boire un verre d’eau et un café, il se retrouva traité de singe. Pour donner suite à cette agression, Shyaka Kagame porta plainte. Pourtant, l’agresseur n’a pas été condamné pour discrimination raciale. Le Ministère public le déclare coupable d’injure et de voie de fait, mais la discrimination raciale n’a pas été retenue. Dans l’épisode 2 de Boulevard du Village noir, son avocat explique que la justice reconnaît pourtant qu’il y a eu une agression raciste, mais elle n’a pas été le motif de la condamnation.

En prenant connaissance de cet événement et de l’histoire du racisme en Suisse via le podcast de Shyaka Kagame, très vite il m’apparut primordial de donner de la visibilité à ce podcast en vous encourageant à l’écouter. Celui-ci est composé de 6 épisodes, dans lesquels nous découvrons la place du racisme en Suisse du 19ème siècle à nos jours. L’épisode 4 présente par exemple le témoignage des parents de Shyaka Kagame, qui ont dû faire face, dans les années 80, à de la haine envers la population africaine réfugiée en Suisse. On y entend également l’interdiction de consommer de l’alcool dans les bars et les difficultés pour les personnes racisées à trouver du travail ainsi que l’origine du nom du Boulevard Carl-Vogt.

La Suisse lors de la période coloniale
Dans l’épisode 3 de Boulevard du Village noir consacré à la période coloniale, nous pouvons écouter un extrait d’un cours se déroulant en avril 2023. C’est Noémi Michel qui donne ce cours consacré à la théorie critique de la race et de la postcolonialité, à l’Université de Genève. Lors de sa leçon, elle aborde la période de la colonisation en Suisse. Elle explique que la Suisse a choisi de ne pas devenir un empire colonial, car son gouvernement souhaitait rester «neutre». Cependant, des discours racistes et raciaux ont circulé depuis le 19ème siècle dans la nation Suisse jusqu’à aujourd’hui. «Des institutions, des personnes ont participé au colonialisme et à la traite négrière», explique Noémi Michel. Lors de la décolonisation, la Suisse, qui était auparavant solidaire envers les forces coloniales, a fait le choix de réutiliser à son avantage la neutralité pour se repositionner face aux nouvelles nations indépendantes. «Puisque la Suisse n’a pas de colonie, il leur est possible de faire commerce avec elle», précise-t-elle. Mais depuis, la population suisse semble ne pas vouloir se souvenir de ce qui s’est passé lors de la colonisation.
La polémique du bâtiment universitaire Carl Vogt

Le boulevard Carl-Vogt était au cœur de l’Exposition nationale de 1896 et abritait notamment le «village nègre», exhibant à la vue des visiteureuses 200 personnes de couleur de peau noire. D’ailleurs, Carl Vogt, le nom du boulevard, est également le nom d’un célèbre naturaliste qui prônait la hiérarchie raciale.
Pour cette raison, en septembre 2022, l’Université a pris la décision de supprimer son nom attribué à l’un de ses bâtiments. «August Christoph Carl Vogt était un éminent naturaliste et médecin Suisse, qui a marqué l’histoire de l’Université de Genève par ses nombreuses contributions scientifiques et pour avoir modernisé l’institution. Mais derrière cet illustre héritage se cache une face plus sombre: Carl Vogt voulait classer les êtres vivants et était partisan de l’idée d’une hiérarchie des races et de l’infériorité du sexe féminin», explique Mohamed Musadak au micro de Forum, l’émission de la RTS du 30 septembre 2022. À ce jour, le nouveau nom ne semble pas avoir été trouvé, puisque dans le cadre de mon milieu professionnel, j’ai pu lire une annonce d’un poste intégré ¹ disponible dans plusieurs bâtiments de l’Université de Genève, le bâtiment Carl Vogt inclus.
Pour conclure cet article, je dois avouer qu’il m’a fallu écouter ce podcast progressivement, car il inclut à la fois des informations intéressantes sur l’histoire du racisme en Suisse et le témoignage poignant d’un homme qui a subi de nos jours le racisme. La pratique des discriminations me touche profondément, et la seule chose qu’il m’est possible d’exprimer, c’est que je souhaite qu’un jour, la Suisse mettra en application une loi qui protège sa population du racisme.
Notes:
(1) Un poste intégré est un emploi adapté à une personne en situation de handicap au sein d’une entreprise. L’objectif étant de permettre à la personne concernée d’intégrer le milieu professionnel extérieur d’un atelier protégé.