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La contraception d’urgence en Suisse: où en est-on?

La contraception d’urgence en Suisse: où en est-on?

Auteurice Céline Hürzeler, 11 mai 2023
Illustrateurice Elizabeth M
Pour obtenir la pilule de la Ste Lendemain, tu dois : terrasser le dragon féroce, trouver l’opale bleue, résoudre l’énigme du troll des montagnes, marcher sur de la lave, voler tel un oiseau, et ainsi de suite …

En Suisse, la contraception d’urgence est payante et soumise à une discussion avec un-e-x professionnel-le-x dans une pharmacie ou dans un centre de santé sexuelle. Pratique émancipatrice ou envahissante? Éléments de réponse avec deux spécialistes de la santé.

Remarques désobligeantes, personnel de pharmacie mal à l’aise, locaux peu adaptés à une conversation privée ou partenaire exclu de la conversation, certaines de mes incursions en pharmacie pour me procurer la «pilule du lendemain» m’ont laissé un goût amer. Le sentiment de perdre mon temps alors que je maîtrise ma sexualité. En Suisse, la contraception d’urgence est obtenue après un entretien documenté dans une pharmacie ou dans un centre de santé sexuel. Pourquoi n’est-elle pas en vente libre, comme dans la plupart des pays européens? 

Disons-le clairement, je pense que ça devrait être le cas! Mais je souhaite confronter mon opinion à celle de spécialistes dans le but d’approfondir ma réflexion et de mieux comprendre les enjeux liés à la contraception d’urgence. 

Commençons par quelques rappels. Actuellement, en Europe, la Suisse est le seul pays avec l’Angleterre qui impose un entretien conseil obligatoire. Délivrée sur ordonnance jusqu’en 2002, la contraception d’urgence s’obtient désormais en pharmacie (prix variant entre CHF 25.- et CHF 60.-), dans un centre de santé sexuelle (environ CHF 15.-, la gratuité pouvant être envisagée selon la situation financière de la personne*) ou auprès d’un-e-x médecin. Avant de la remettre, les professionnel-le-x-s remplissent un protocole avec les bénéficiaires pour déterminer la pilule la plus adaptée (il existe deux contraceptifs hormonaux oraux différents: le lévonorgestrel et l’ulipristal) en répondant à des questions. Par exemple, le nombre d’heures écoulées depuis le rapport sexuel, le début des dernières règles, l’indice de masse corporelle (IMC) ou encore la prise d’autres médicaments. 

Des conseils pour la contraception

Si la pilule était en vente libre, le nombre de grossesses non désirées augmenterait-il? Pour y voir plus clair, j’ai interrogé Esther Spinatsch, pharmacienne et membre du groupe interdisciplinaire d’expertes et experts en contraception d’urgence (IENK), qui contribue au droit et à l’accès à la contraception d’urgence. De manière générale, «une femme** qui n’est pas en surpoids, qui ne prend pas d’autre contraceptif hormonal, qui n’est pas épileptique, qui ne prend pas d’autres médicaments et qui vient dans les quelques heures suivant le rapport sexuel non protégé, pourra plus ou moins prendre les deux principes actifs.» Pour résumer, les deux produits se prennent avec la même efficacité dans de nombreuses situations.

Mais alors, à quoi sert l’entretien? Pour Esther Spinatsch, s’il est bien mené, il est utile pour informer et conseiller afin de permettre aux bénéficiaires de mieux comprendre leur cycle et le fonctionnement de la contraception d’urgence. Elle me rappelle que «selon la contraception d’urgence, les femmes qui prennent une pilule contraceptive ne doivent pas poursuivre cette prise tout de suite sinon il y aurait une réduction de l’efficacité. Elles doivent donc faire cinq jours de pause.» L’entretien conseil permet alors d’accompagner la personne dans la continuation de sa contraception. Esther Spinatsch poursuit: «dans les situations complexes, identifier le produit optimal ainsi que la marche à suivre pour la contraception des jours suivants est un défi, même pour les professionnel-le-x-s de la santé. L’accompagnement des femmes me paraît primordial dans ces situations.»

Elle déplore les expériences négatives de certaines personnes lors d’entretiens en pharmacie. Mais ces mauvais traitements sont également, selon elle, le reflet d’un tabou autour de la sexualité féminine dans notre société.

Oui, mais…

Je discute de ce thème avec une amie, qui pointe, elle aussi, le temps pris pour aller chercher la contraception d’urgence, son coût financier, le manque de discrétion dans certaines pharmacies, et le fait que l’entretien soit parfois compris dans le prix du médicament. Elle me parle d’une pratique d’un autre âge: «a-t-on encore besoin de prouver aux politiques que la contraception d’urgence ne remplace pas les moyens contraceptifs habituels?» Elle fait ici référence à la crainte initiale qu’en autorisant la vente de la contraception d’urgence sans ordonnance, ce moyen soit privilégié au détriment des méthodes contraceptives régulières (Personnellement, cette peur me semble absurde. Pourquoi aurait-on systématiquement envie de recourir à une contraception d’urgence quand d’autres moyens semblent plus appropriés à prévenir une grossesse?). La mise en place d’entretiens conseil était destinée à prévenir d’éventuels abus, ce qui illustre à mon avis la volonté initiale de contrôler le comportement des bénéficiaires.

Un accompagnement bienveillant

Pour approfondir le sujet, je contacte Manuelle Fracheboud, conseillère en santé sexuelle au centre SIPE (Sexualité-Information-Prévention-Éducation) de Monthey. J’ai envie de savoir comment se déroule un entretien dans un centre de consultation en santé sexuelle. Permet-il une discussion ouverte sur sa sexualité? 

Manuelle Fracheboud me rappelle que les conseiller-ère-x-s suivent une formation postgrade en santé sexuelle. Les futur-e-x-s mentors sont formé-e-x-s au non-jugement des personnes, à respecter la confidentialité et à parler d’intimité. Ces compétences acquises leur permettent sans doute de favoriser un accueil bienveillant et de créer un climat de confiance propice à la discussion sur des sujets parfois délicats.

Les conseiller-ère-x-s remplissent le même protocole qu’en pharmacie, mais poussent l’entretien plus loin selon les situations. Manuelle Fracheboud me précise alors les différentes situations d’aide qu’elle et ses collègues peuvent apporter (le plus souvent avec un public qui démarre dans sa sexualité, mais pas seulement!):

  • Mettre des mots sur une (première) expérience sexuelle
  • Dédramatiser, comprendre le déroulement du rapport sexuel non protégé
  • Expliquer l’importance du consentement
  • Déconstruire les fausses croyances (par exemple, «je peux devenir stérile si je prends trop souvent la pilule du lendemain»)
  • Comprendre avec la personne pourquoi elle vient régulièrement chercher la contraception d’urgence au lieu de privilégier un autre moyen contraceptif
  • Accueillir le témoignage d’une personne ayant subi une agression sexuelle
  • Faire de la prévention au sujet des infections sexuellement transmissibles

Je lui pose la question qui me brûle les lèvres: Pourquoi la contraception d’urgence n’est-elle pas en vente libre en Suisse? Précisant qu’il s’agit d’un avis personnel, elle mentionne que selon elle ce n’est qu’une question de temps: «ça viendra un jour en Suisse, les tests de grossesse c’était pareil. De nos jours, on peut faire des tests VIH à la maison… C’est comme si dans un premier temps, il y avait un besoin de prendre des précautions.» Avant de conclure en regrettant que le système actuel «n’accorde pas plus d’autonomie et de confiance aux personnes devant recourir à la contraception d’urgence.»

Si je reviens à mon cas personnel, ces avis m’ont fait réfléchir. Plus jeune, j’aurais parfois aimé bénéficier de conseils, dans un cadre bienveillant comme il semble que ce soit le cas dans un centre de santé sexuelle. Mais si je me base sur mon expérience, aucun des entretiens que j’ai pu vivre en pharmacie ne m’a donné l’impression d’en apprendre davantage sur le fonctionnement de mon corps, de mon cycle ou de ma sexualité. Ils me font plutôt l’effet d’une entrave dans mon autonomie, pour les raisons évoquées au début de mon article, alors qu’il s’agit d’accidents. C’est pourquoi je suis perplexe lorsqu’on m’oblige à consulter un-e-x professionnel-le-x de santé pour une prestation qui me semble être un droit. Cependant, je suis aussi bien consciente de ne représenter qu’une partie des femmes qui viennent acheter la pilule, et que mon expérience n’est pas forcément représentative.

* Les fourchettes de prix mentionnées ont été fournies par Esther Spinatsch et Manuelle Fracheboud, dont les interviews figurent dans la suite de cet article.

** À noter que le terme «femme» est utilisé pour rester fidèle aux mots des personnes interviewées. De manière générale, mon article vise à englober toute personne susceptible de nécessiter l’utilisation de la pilule du lendemain, même si je peux seulement témoigner depuis la perspective de mon expérience de «femme cisgenre». 

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