Les mots qu’on utilise ne sont jamais exempts de conséquences; mais ils peuvent aussi parfois être le véhicule de certaines oppressions. La langue française mcerplagorge de petites agressions, utilisées souvent avoir conscience de leur étymologie ou du sens véritable auxquels elles sont rattachées, notamment dans le langage de la sexualité. Un podcast diffusé par Thelma et Louise propose de se questionner sur certains archaïsmes que présente à ce jour la langue de Molière. Retour sur une prodution critique.
« Human rights » en anglais, « Menschenrechte » en allemand, « derechos humanos » en espagnol, pourquoi la langue française s’obstine-t-elle donc à dire « droits de l’Homme » ? Pour Florence Montreynaud[1] – historienne, linguiste, écrivaine et féministe engagée – le français est sexiste dans sa structure et son vocabulaire.
Florence Montreynaud
Antiquité à la mode ?
Dans le récent podcast diffusé par Thelma et Louise – podcast féministe qui circule sur les ondes de Radio Campus Paris – l’invitée d’honneur est justement Florence Montreynaud, à l’occasion de la récente sortie de son livre Le roi des cons, quand la langue française fait mal aux femmes. Et elle semble faire mal aux femmes depuis pas si longtemps, comme le met en lumière la linguiste en prenant l’exemple de la règle du masculin universel. Cette règle qui veut que le masculin prime lors d’un pluriel est en fait plutôt récente, puisqu’elle n’existe que depuis trois siècles, ce qui est relativement nouveau à l’échelle de la construction de la langue française, qui remonte au latin. Jusqu’au 16e siècle, Florence Montreynaud explique en effet que le pluriel s’accordait avec le nom le plus proche. On disait par exemple “un homme et des femmes sont belles”. Ainsi, penser hors du point de vue masculin, c’est remettre en question plusieurs termes. Elle donne un autre exemple, celui du mot “con”. Utilisé comme une insulte courante, il désigne dans son sens originel le sexe de la femme. Le détournement vulgaire du mot censé simplement désigner l’organe sexuel féminin la rabaisse et la dénigre à nouveau. Au sujet du mot con, Florence Montreynaud propose de revaloriser ce mot court, fort, et qui pourrait remplacer vagin, inventé seulement au 16e siècle et qui signifie…”fourreau”; cela en référence à l’épée qui va pénétrer le vagin, vu seulement comme un contenant. C’est donc un mot qui n’existe que par son corollaire masculin, au travers d’un rattachement au sexe masculin. Alors que “con”, lui, existe par lui-même et pour lui même!
La langue française fait l’égalité entre les femmes : toutes des putes!
Le langage sexuel, justement, est quelque chose qui préoccupe et interroge l’invitée du podcast. En écho à la vidéo de la comédienne Catherine Arditi , Thelma & Louise rappellent le glissement très machiste qui peut être fait à la féminisation de certains mots. Dans la vidéo, la comédienne montre comme la féminisation de nombreux mots amène toujours à penser la femme comme “une pute”. Par exemple, un “coureur”, un “entraîneur”, “un professionnel”, “un péripatéticien” (qui était un disciple d’Aristote). Les journalistes rappellent alors l’étymologie latine du mot “pute” signifiant puant, putride. Florence Montreynaud répond à cela : “ c’est ce qu’on appelle la double morale, c’est-à-dire que tout ce qui est sexuel ennoblit l’homme et souille la femme”. En effet, selon cette dernière, cette conception de la sexualité qui souille – c’est-à-dire salit avec une dimension morale – la femme remonte à très loin. La linguiste donne l’exemple d’une femme qui embrasse deux hommes, et est alors qualifiée de “salope”, alors qu’un homme sera vu comme un don juan, un tombeur.
D’ailleurs, les termes employés pour définir la sexualité elle-même sont centrés sur le masculin, comme le rappelle les journalistes. Florence Montreynaud parle du terme “préliminaires” dans son livre sorti récemment. Selon l’auteure, il véhicule l’idée qu’il s’agit de tout ce qui est préparatoire avant d’aboutir à l’essentiel, c’est-à-dire la pénétration et l’éjaculation. C’est une conception de la sexualité présentée uniquement du point de vue de l’homme, ce qui est quelque chose d’étonnant dans le pays de la galanterie, où l’on dit “après vous madame”. Et pourquoi ce ne serait pas le cas au lit! Les préliminaires ne se résument pas en réalité qu’aux “caresses avant la lime” [synonyme de « pénétration », ndlr.], et ne sont pas ce qui est sous-entendu comme étant les hors d’oeuvre avant le plat principal, note la linguiste. Les préliminaires peuvent être le plat principal et amener une femme à l’orgasme.
Finalement, la sexualité est l’un des domaines principaux de l’insulte, comme le conclut la première partie du podcast. “Posséder”, “conquérir”, “prendre”, le masculin sort toujours victorieux pour s’emparer du féminin. En tant que femme, “on a l’impression qu’on s’est faite avoir, qu’on s’est fait baiser, niquer”, désapprouve la féministe engagée invitée sur l’émission. Alors pourquoi ne pas tenter d’ouvrir les mots, de la sexualité notamment, pour plus d’égalité et moins de condamnation morale ? Peut-être pouvons-nous trouver des exemples plus justes dans les mots anciens…
“Après tout, en changeant les mots, on peut changer le monde” est convaincue Florence Montreynaud.
[1] Florence Montreynaud est également devenue présidente en 1999 du mouvement des Chiennes de garde et crée la Meute dans les années 2000 pour lutter contre la publicité sexiste. Elle poursuit son engagement dans les années 70 au sein du Mouvement de Libération des Femmes (MLF).