Le bureau des questions importantes: une permanence activement bienveillante
Auteurice Nina Rast, 26 novembre 2020Illustrateurice
Au coeur de la ville de Nyon, le Bureau des Questions Importantes (BDQI) reprenait place à l’espace eeeeh du 4 au 20 septembre dernier. Chloé Démétriades, directrice de ce projet, co-fondatrice du collectif et de l’espace eeeeh, artiste et militante, raconte ses ambitions, ses questionnements autour de cette permanence si particulière.
Il y a 3 ans, au cœur de la Ville de Nyon, se déroulait la première édition du Bureau des Questions Importantes. Ce «petit truc bricolé», comme l’appelle Chloé,c’est deux semaines de permanence rassemblant de multiples projets, ainsi que des repas conviviaux et des activités pour les plus jeunes. Entre projections de films, conférences, ateliers, performances et soirées sonores, Chloé Démétriades rassemble des artistes-x à qui elle laisse une grande liberté de projet, dans le but de leur donner une plus grande visibilité, dans un espace bienveillant et inclusif. Des repas conviviaux et des activités pour les enfants sont aussi organisées pour accueillir un plus large public.
Ulrike Kiessling, Sahadatou Ami Touré et Anita Maïmouna Neuhaus en pleine performance
«Beaucoup d’humanité. On y avance, on y fait des trucs, on y rit, on y fait des erreurs. On est là.» Anita Maïmouna Neuhaus, membre du collectif de danse Amifusion, performait cette année ZOMBIE-TRANSFORMATION Laboratoire n° 3. Comment une cyborg peut libérer une archiviste néolibérale de son existence de zombie dans un capitalisme avancé? C’est ce que cette performance raconte! Selon Anita, la permanence proposée par le BDQI représente un lieu bienveillant, grâce au travail actif et constant fourni par Chloé pour faire de cet espace un endroit le plus doux et respectueux possible. En effet, la directrice de ce festival raconte qu’elle « est en perpétuel questionnement autour de l’accessibilité”. Et c’est en écoutant et proposant un terrain d’exploration aux femmes artistes et aux artistes lié-e-x-s à des minorités discriminées qu’elle tente de répondre concrètement à ces interrogations. Féministe et intersectionnelle, la programmation prend forme en liant les artistes-x, chercheuses-x-eurs et militant-x-es engagé-x-es, libres d’expérimenter sous un seul mot d’ordre: «réflechir à comment rencontrer le public».
Un lieu de création et de partage
Une permanence, selon Chloé, est un endroit spécial de par ses horaires d’ouverture: 7/7 jours, dès 10 heures du matin. Celle-ci veut s’approprier l’espace public, qui est si peu occupé par les femmes, comme le documente Lauren Bastide dans son livre Présentes. Le BDQI a pour but d’être un lieu où peut se côtoyer une population plus diverse, «pas seulement les bourgeois» ! Cette diversité que propose le Bureau des Questions Importantes donne également l’occasion de faire de la politique d’une autre manière, non-institutionnelle, en alliant art et militantisme, pour lutter contre le patriarcat, le capitalisme, le stress et les normes. Et, selon Chloé, “pour créer un espace bienveillant, pour éviter des situations violentes, et pour avancer, la mixité choisie est une évidence.” Cette mixité choisie, Chloé la définit comme “une forme d’organisation et de solidarité qui permet de se retrouver entre pair-e-x-s et entre personnes concernées par une ou des mêmes oppressions” dans le lexique à l’attention du public du BDQI, regroupant différents termes importants dans les milieux militants et artistiques. Ce lexique, créé en collaboration avec le Collectif Amani et d’autres personnes concernées par des projets, représente un des nombreux travaux entrepris par Chloé pour éviter de recréer des situations violentes
C’est avec un petit budget, mais énormément d’ingéniosité et de créativité que la directrice bricole, avec l’aide de toutes les petites mains disposées à l’aider.
Lecture du manifeste premier numéro de la revue réalisée collectivement avec des femmes et personnes non-binaires latines ayant émigré en Suisse par Cecilia Moya Riviera et Valeska Neuhaus
La bienveillance et la déconstruction au centre
Ces petites mains, elle y tient beaucoup et le répète : «Le BDQI, il est possible parce qu’il y a tellement de personnes qui font des projets tellement intéressants et tellement importants. Si l’identité de cette chose est belle aujourd’hui, c’est essentiellement grâce aux projets des personnes!» Chloé Démétriades explique que : «Ça ne sort pas de moi». Syndrome de l’impostrice? Peut-être. Quoi qu’il en soit, toustes s’accordent pour dire que le lieu, où chacun-e met la main à la pâte, hors du système hiérarchique capitaliste, n’existerait pas sans elle. C’est d’ailleurs pour rappeler l’importance du travail de Chloé que j’utilise le terme, bien qu’elle ait elle-même de la peine à s’y identifier.
Pour la soirée d’ouverture, l’artiste Jonas Van invite le public à un barbecue pour brûler les fantasmes coloniaux.
En effet, elle dirige cette permanence de façon à ce que les artistes-x puissent travailler dans des conditions agréables et inspirantes et à ce que le public s’y sente accueilli. Tout comme Anita Maïmouna Neuhaus, Faye Corthésy, organisatrice de la série de projections TROUBLES VOIX, souligne que “le travail actif de Chloé pour rendre cet espace bienveillant est énormément apprécié et il porte ses fruits”. Pour Cecilia Moya Riviera et Valeska Romero, responsables de l’atelier L’Amérique latine n’est-elle pas une ville au sud des Etats-Unis?, cette permanence leur a permis d’aborder les questions de décolonisation avec une communauté différente de celle à laquelle elles sont habituées. Quant au public, c’est très clair: le Bureau des Questions Importantes est un espace bienveillant d’apprentissage où l’on peut se retrouver entre personnes diverses et ouvertes au dialogue pour discuter et débattre de sujets importants. Selon Justine Daverio, fidèle spectatrice et auditrice, «le BDQI est là pour nous rappeler qu’il faut se questionner encore et encore. Que même si la vie nous pousse aux routines, à la petite vie rangée et à joindre le moule du capitalisme « anti-diversité de réflexions et de formes de connaissance et de savoirs », le BDQI nous invite à considérer les caractéristiques du monde qui nous entoure et de ceux que nous préférons ne pas voir, et cela de façon sublime!»
En attendant la prochaine et quatrième édition de ce festival, l’espace eeeeh continue de proposer des expositions, performances et autres projets. Malgré les restrictions actuelles, l’exposition d’Alexia Turin, Willi Woo, est visible en vitrine tous les jours jusqu’au 30 novembre!
Image de titre: Conférence publique : Pour une histoire globale – L’histoire coloniale de la Suisse, donnée par Izabel Barros, Marianne Naeff et Timo Righetti