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L’herbe est-elle plus verte de l’autre côté du lac de Constance?/Is the grass greener on the other side of Lake Constance?

L’herbe est-elle plus verte de l’autre côté du lac de Constance?/Is the grass greener on the other side of Lake Constance?

Auteurice Natacha de Santignac, 30 novembre 2023
© Natacha de Santignac - 2023

De passage à Berlin pour des recherches historiques pour son prochain roman, Natacha de Santignac a rencontré Elisabeth Kern, directrice de FidAR, une organisation active dans le combat pour l’égalité. L’entretien s’est déroulé principalement en anglais. Le texte a d’abord été écrit dans la langue de Shakespeare, puis traduit en français. Nous proposons ici les deux versions afin de permettre aux membres de FidAR de le lire également.

🇬🇧 For the English version, see below.

VERSION EN FRANÇAIS 🇫🇷🇨🇭

En Allemagne, la question de l’égalité homme-femme dans le monde professionnel reste d’actualité. En effet, malgré des lois, des manifestations, les évolutions significatives se font encore attendre. Nous avons rencontré Elisabeth Kern, directrice de FidAR (Frauen in die Aufsichtsräte e.V.), dont le but est d’augmenter de manière importante, mais aussi durable, la proportion de femmes dans les conseils d’administration allemands.

Arrivée de son Autriche natale dans le bouillonnement berlinois du début des années 2000, Elisabeth Kern n’est pas une révolutionnaire dans l’âme, et se définit même comme une femme au parcours typique. Tout commence par une enfance traditionnelle dans les années 70. Son père travaille, sa mère s’occupe du foyer, Elisabeth et sa sœur coulent des jours heureux. Tout en prenant soin du quotidien, leur mère leur répète quand même, mais sans militantisme, l’importance de recevoir une éducation, et de disposer de leur argent en propre. Elisabeth a bien mémorisé le message, et après des études de pédagogie, de sociologie et de psychologie, elle se lance dans la vie active. «Au début, je n’ai pas ressenti de différence entre mes collègues masculins et moi. Tout a basculé lorsque j’ai eu mon fils. J’ai voulu diminuer mon taux de travail, et on ne m’a plus confié de projets intéressants. J’ai vraiment eu le sentiment d’avoir été rétrogradée, j’étais devenue une simple secrétaire, mes compétences s’étaient réduites comme peau de chagrin. Rétrospectivement, je me rends compte que ma décision de choisir le temps partiel n’était fondée que sur du conditionnement social. Mon mari et moi nous considérions comme un couple moderne. Je n’avais pas besoin d’arrêter. Si c’était à refaire, je reprendrais un emploi à temps plein».

Le patriarcat toujours bien ancré 

En dépit de politiques publiques des années 2000 encourageant l’emploi des femmes ayant des enfants —la réforme du congé parental sur le modèle suédois en 2007 assurant 67% du salaire antérieur net pendant 14 mois, dont deux réservés à l’autre parent ¹, le développement des structures d’accueil étatiques et privées pour les enfants de moins de 3 ans—, l’activité à plein-temps des mères de jeunes enfants reste très limitée et peu légitime en Allemagne. Il est bon de noter que des mentalités différentes coexistent dans le pays en raison de sa division à la suite du deuxième conflit mondial. En Allemagne de l’Est, les femmes avaient plus facilement accès au travail grâce aux structures de garde d’enfants, et leur activité professionnelle était un élément essentiel de l’économie de la RDA. Le travail et la garde des enfants étaient compris par les femmes elles-mêmes, mais les soins et les tâches ménagères s’ajoutaient à leur lot quotidien sans aide substantielle de la part des hommes. Les surcharges mentales et physiques n’étaient jamais loin. Dès la chute du Mur, elles ont été les premières à être remerciées afin que les hommes évitent le chômage. Aujourd’hui encore, les Allemandes de l’Ouest regardent toujours avec une certaine condescendance leurs compatriotes de l’Est «devant» avoir une activité professionnelle. Le modèle de la femme au foyer, s’occupant de son mari et de ses enfants, imposé dans le monde occidental après 1945, en réaction contre les femmes qui avaient démontré leurs compétences, leur esprit d’entreprise ainsi que leur résilience, représente toujours le symbole d’une vie réussie pour une femme. Les Allemands de l’Ouest utilisent le mot «Rabenmutter», une insulte signifiant «mauvaise mère», pour qualifier les mères qui travaillent. Cela signifie qu’elles ne s’occupent pas de leurs enfants, qu’elles sont égoïstes et axées sur leur carrière.

Elisabeth Kern © Photo FidAR

Les actions de FidAR

Fondée en 2006, l’association est l’initiative d’un groupe de femmes réunies autour de Monika Schulz-Strelow, qui a occupé plusieurs postes de direction dans différentes entreprises avant de devenir consultante pour les investisseurs internationaux entrant sur le marché allemand. Elles se sont rendu compte que l’engagement volontaire pris par les associations professionnelles allemandes et le gouvernement, à partir de 2001, d’augmenter la proportion de femmes aux postes de direction n’avait pas donné lieu à une augmentation de leur nombre. 

Sentant l’urgence d’accroître rapidement leur représentation dans les conseils d’administration, elles ont décidé d’agir, et de se battre pour obtenir des parts égales dans les postes de direction. FidAR compte aujourd’hui 1′400 membres, femmes et hommes. Elisabeth Kern la décrit comme une association influente au sein de laquelle se rassemblent aussi bien des politicien-ne-s que des managers, des chercheureuses… FidAR sensibilise le public par le biais de grandes conférences (FidAR-Forum), de publications et d’événements régionaux. Elle assure la transparence au moyen d’indices, notamment celui des femmes siégeant dans des conseils d’administration (WoB-Index) qui prouve l’effet positif sur la représentation des femmes. La pression publique de la FidAR a été à l’origine de la loi votée en 2015, obligeant certaines entreprises à inclure un quota de femmes (30%) dans leur conseil de surveillance, et plus tard en 2022, «l’exigence de participation minimale» pour les conseils d’administration. Cependant, il est important de noter que ces lois ne s’appliquent qu’à un très petit nombre d’entreprises (respectivement 101 et 62). C’est pourquoi FidAR fait campagne pour l’extension de ces dernières.

En outre, la pression exercée par les bailleurs de fonds est inédite. «L’argent reste le nerf de la guerre. Si les investisseurs internationaux insistent pour obtenir des garanties sur la question de la représentation des femmes, les dirigeants des organisations sont obligés d’agir en conséquence, et subitement le font», explique Elisabeth Kern. Comme exemple négatif, elle cite une entreprise qui a délibérément choisi de réduire le nombre de sièges au sein de son conseil d’administration, afin de ne pas avoir à nommer une femme! En fait, l’initiative d’une directive de l’Union européenne sur le sujet datant de 2012 a longtemps échoué parce que l’Allemagne s’opposait à ce qu’elle devienne une loi. Ce n’est qu’en 2022 que le gouvernement allemand a soutenu une nouvelle directive, mais elle pourrait ne pas être mise en œuvre dans le pays, en raison de la législation existante.

La «Déclaration de Berlin»

FidAR fait partie de la «Déclaration de Berlin», une grande alliance de près de 40 associations de femmes qui ont publié un document commun contenant des demandes spécifiques sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Avant chaque élection, les volontaires de FidAR examinent les programmes des candidat-e-s et leur demandent quels sont leurs projets pour parvenir à un meilleur équilibre. À mi-mandat, il leur est demandé de rendre compte de l’état d’avancement de leurs engagements. De cette manière, la pression exercée sur les politicien-ne-s pour qu’iels veillent à ce que la question de l’égalité des droits soit abordée, reste constante. Les femmes représentent la moitié de la société, elles ont un niveau d’éducation très élevé et pourtant, en 2023, on en trouve peu dans les échelons supérieurs et les organes de direction.

Elisabeth Kern estime que les différences de traitement commencent parfois très tôt et qu’il ne faut pas l’oublier: «Les filles sont généralement moins encouragées à poursuivre leurs rêves que les garçons. Les pressions familiales, sociétales et professionnelles qui alimentent le modèle patriarcal restent fortes. Les préjugés inconscients affectent également les femmes de manière négative, bien plus que les hommes, et le “plafond de verre”. Ils restent un obstacle majeur». En Allemagne, comme en Suisse, nous devons donc continuer à mobiliser nos énergies pour avancer ensemble, mais aussi pour ne pas reculer!

Notes:

(1) Bothfeld, S. (2009). L’égalité des sexes dans le champ économique en Allemagne. Informations sociales, 151, 92-99. https://doi.org/10.3917/inso.151.0092

ENGLISH VERSION 🇬🇧

In Germany, the issue of gender equality in the workplace remains topical. Despite legislation and demonstrations, notable progress has yet to be made. We spoke to Elisabeth Kern, Managing Director of FidAR (Frauen in die Aufsichtsräte e.V.), whose aim is to achieve a significant and lasting increase in the proportion of women on German boards of directors.

Elisabeth Kern, who arrived from her native Austria into the Berlin hustle and bustle of the early 2000s, is not a revolutionary at heart, and even describes herself as a woman with a typical background. It all began with a traditional childhood in the 1970s. Her father worked, her mother looked after the household, and Elisabeth and her sister lived happily. While taking care of day-to-day life, their mother nonetheless reminded them, in a non-militant way, of the importance of getting an education and having their own money. Elisabeth took the message at heart and started her first job after her studies in pedagogy, sociology, and psychology. ‘Initially, all went well. I didn’t notice any difference between my male colleagues and myself. Everything changed when I had my son. I wanted to reduce my working hours, and I wasn’t given any more interesting projects to manage. I really felt I’d been demoted, I’d become a mere secretary, my skills seemed to have disappeared. Looking back, I understand now that my decision to go part-time was based on social conditioning. My husband and I saw ourselves as a modern couple, there was no obligation. If I had to do it all over again, I’d return to a full-time job.’

Patriarchy Still Firmly Entrenched 

Despite public policies in the 2000s encouraging the employment of women with childrenthe reform of parental leave based on the Swedish model in 2007, providing 67% of the previous net salary for 14 months, two of which are reserved for the other parent ¹, and the development of state and private childcare facilities for children under 3full-time employment for mothers remains very limited and has little legitimacy in Germany. It is worth noting that different mentalities coexist in the country due to its division following the Second World War. In East Germany, women had easier access to work because of childcare facilities, and their professional activity was an essential part of the GDR’s economy. Work and childcare were self-understood, but care work and household chores were added to their daily load without substantial help from men. Mental and physical overload was never far away. As soon as the Wall came down, they were the first to be dismissed so that men could avoid unemployment. German women in the Western part still look down on their compatriots who must have a job in the East. The model of the housewife, looking after her husband and children, imposed in the western world after 1945, as a reaction against women who had demonstrated their skills, their entrepreneurial spirit as well as their resilience, still represents the symbol of a successful life for a woman. Germans in the West use the word ‘Rabenmutter‘, an insult meaning ‘bad mother’ to qualify working mothers. It means they do not care for their children are selfish and career orientated.

Elisabeth Kern © Photo FidAR

The Work of FidAR

Founded in 2006, the association was the initiative of a group of women around Monika Schulz-Strelow, who held various management positions in different companies before becoming a consultant for international investors entering the German market. They had realised that the voluntary commitment of German business associations and the government from 2001 to raise the proportion of women in management positions had not resulted in any numerical progress.

Feeling the urgent need to rapidly increase their representation on boards of directors, they decided to act and to fight for equal shares in top management positions. FidAR now has 1,400 members, women and men. Elisabeth Kern describes it as an influential association bringing together politicians as well as managers, researchers… FidAR creates public awareness through major conferences (FidAR-Forum), publications and regional events. It provides transparency by means of indexes: as per the Women-on-Board-Index (WoB-Index) that proves the positive effect on female representation. FidAR’s public pressure was behind the law passed in 2015 requiring certain companies to include a quota of women (30%) on their supervisory board and later in 2022 the ‘minimum participation requirement’ for boards of directors. However, it is important to note that these laws only apply to a very small number of companies (respectively 101 and 62). This is why FidAR is campaigning for the extension of the laws. 

In addition, pressure from financial backers is groundbreaking. ‘Money drives business. If international investors insist on guarantees over the issue of women’s representation, the heads of the organisations are obliged to act accordingly and suddenly do,’ explains Elisabeth Kern. As a negative example, she mentions a company who deliberately chose to reduce the number of seats on its board, so it didn’t have to appoint a woman! In fact, the initiative for a European Union directive on the subject in 2012 failed for a long time because of Germany opposing it to become law. Only in 2022, the new German government supported a renewed directive, which may not be implemented in the country due to the existing legislation in place.

The ‘Berlin Declaration’

FidAR is part of the ‘Berlin Declaration’, a large alliance of almost 40 women’s associations which have published a joint document with specific demands on gender equality. Before each election, FidAR volunteers scrutinise the candidates’ programmes and ask them what their plans are to achieve a better balance. Halfway through their term of office, they are requested to report the progress of their commitments. This way the pressure on politicians, to ensure that the issue of equal rights is addressed, remains constant. Women represent half of society; they have highly qualified levels of education, and yet in 2023, only a few are found in the top echelons and management bodies.

Elisabeth Kern believes that differences in treatment sometimes begin very early, and that we must not forget this: ‘Girls are generally less encouraged to pursue their dreams than boys. The family, societal and professional pressures feeding the patriarchal model remain strong. Unconscious biases also affect women in a negative way much more than they do men and the “glass ceiling” is still a major obstacle’. In Germany, as in Switzerland, we must thus continue to mobilise our energies so that we can all move forward together, but also to ensure that we don’t move backwards!

Notes:

(1) Bothfeld, S. (2009). L’égalité des sexes dans le champ économique en Allemagne. Informations sociales, 151, 92-99. https://doi.org/10.3917/inso.151.0092

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