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L’innovation genrée ou les femmes à la reconquête du monde

L’innovation genrée ou les femmes à la reconquête du monde

Auteurice Amélie Duval, 24 janvier 2018

Les femmes ont longtemps été – et sont encore – marginalisées dans les disciplines scientifiques, ce qui a des conséquences directes sur notre environnement. Une production scientifique et technologique nourrie par une critique de genre est un premier pas vers une société véritablement égalitaire.

Le terme « scientifique » évoque pour un grand nombre de lecteursTRICES l’image d’un vieux monsieur en blouse blanche. Pourtant, de grandes femmes comme Rosalind Franklin[2] ou Hedy Lamarr[3] ont également laissé leur empreinte dans le monde des sciences, et cette association du scientifique avec le masculin n’est pas une fatalité, comme cette petite bande-dessinée de Lunarbaboon se plaît à l’illustrer.

 

Femmes scientifiques, ovni.E.s /oxymores dans la société actuelle?

Si les représentations sont telles, c’est que les sciences ont longtemps été vues comme une discipline masculine dont les femmes étaient exclues. Elles restent encore majoritairement marginalisées dans les domaines scientifiques[4]. Selon un rapport WISE Statistics, les femmes ne représentent que 17% de la force de travail dans les Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (STIM).

Les causes de cette marginalisation sont multiples. L’année dernière, le Britannique Timothy Hunt, prix Nobel de médecine 2001, a ainsi déclaré au cours d’une conférence mondiale de journalistes scientifiques en Corée du Sud: « Trois choses se passent quand elles [les femmes] sont dans les labos : vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent », provoquant une vague de dénonciation du sexisme ordinaire dans des milieux scientifiques dominés par des hommes.

Ce sexisme a des conséquences directes et quantifiables sur les carrières des femmes. Le terme de « tuyau percé » [leaky pipeline] est employé par l’Institut des Statistiques de l’UNESCO pour décrire le phénomène selon lequel les femmes quittent les professions scientifiques au fur et à mesure de l’avancée de leur carrière. Ainsi, si elles représentent plus de la moitié des étudiantEs en licence et en master au niveau mondial, ce pourcentage tombe à 43% pour les doctorantEs puis à 28% pour les chercheursEUSES. Et ce n’est pas tout.

Même dans les domaines scientifiques dans lesquels les femmes sont présentes, elles sont souvent sous-représentées dans les sphères où les décisions stratégiques sont prises, impliquant notamment la création des programmes de recherche. Selon un rapport de la Commission Européenne, seulement 28% des membres des bureaux d’administration scientifiques de l’Union Européenne sont des femmes, alors qu’elles composent un peu moins de 45% du contingent des scientifiques et ingénieurEs. Le « plafond de verre[8] » est encore bien en place !

L’internalisation de ce sexisme représente une barrière pour certaines jeunes femmes, qui se projettent moins que les jeunes hommes dans ces professions – médecin, biologiste marine, ou encore astro-physicyienNE.

La marginalisation des femmes en sciences a des conséquences sur nos représentations, mais aussi sur la connaissance produite et les avancées technologiques qui modèlent notre environnement quotidien.

 

Les conséquences d’une production scientifique soi-disant “neutre”

Le fait que les femmes soient moins nombreuses dans les milieux scientifiques et occupent des positions moins élevées dans les laboratoires de recherche a des conséquences d’une part sur la connaissance produite, mais aussi sur la qualité de cette production scientifique.

De nombreuxEUSES chercheursEUSES, de Sandra Harding[9] à Donna Haraway[10] en passant par Simone de Beauvoir[11], ont contribué à dénoncer la prétendue neutralité des sciences et à enterrer la notion de connaissance purement objective. Selon les partisanEs de la “standpoint theory[12]” (théorie du positionnement ou du point de vue), la manière d’appréhender le monde est influencée par le sexe, le genre, la race etc. Et cela ne change pas lorsque l’on chausse ses lunettes de chercheursEUSES ! Ces derniersÈRES dénoncent l’idéal scientifique d’un sujet de connaissance neutre, rationnel et objectif, qui masquerait en réalité un sujet de connaissance masculin. Si une connaissance « absolue » du monde demeure impossible, il est néanmoins possible de continuer d’essayer de tendre vers une connaissance plus vaste, en donnant la place à des personnes du genre féminin ou d’autres groupes marginalisés dans le discours scientifique.

La science façonne notre compréhension du monde mais aussi, à travers la technologie, l’environnement dans lequel nous évoluons et les objets que nous utilisons. La technologie a longtemps majoritairement été maîtrisée par des hommes hétérosexuels cis-genrés, mais aujourd’hui, des efforts sont entrepris afin que les femmes puissent, elles aussi, laisser leur empreinte sur le monde.

L’innovation genrée pour une technologie plus égalitaire

C’est dans cette optique qu’un laboratoire de recherche dédié à l’innovation genrée a été créé à Harvard. Leur objectif est d’utiliser des méthodes d’analyse du sexe et du genre pour contribuer à produire une connaissance scientifique nouvelle et plus pertinente pour les femmes.

Londa Schiebienger, historienne des sciences à Stanford, explique: “Nous pouvons nous intéresser aux femmes et aux sciences, et à leur participation, et combien elles sont ici et là,” dit-elle[14]. “Mais ce qui fait la différence, c’est de quel savoir et de quelles technologies vous disposez? Quel est le résultat? Pour qui est-ce que les choses sont conçues?” Londa Schiebienger étudie la manière dont la prise en compte du genre dans la recherche peut changer les choses dans des domaines comme le travail sur les cellules souches, les technologies pour aider les personnes âgées, ou un meilleur diagnostic et traitement de l’ostéoporose chez les hommes, par exemple[15].

Une analyse genrée permet ainsi d’avoir une conception différente des transports en commun, de la médecine, ou encore de l’urbanisme. Ainsi, la création d’une catégorie d’analyse nouvelle, celle du “care work” (activité de soin), pour penser les transports en commun[16], permet de rendre visible un travail généralement pris en charge par les femmes, mais également d’avoir une meilleure compréhension de leur utilisation des transports. A partir de là, la prise de décisions de planification rationnelles peut aider à une meilleur gestion et un meilleur service de la population dans son ensemble.

Les femmes doivent continuer à investir le secteur des STIM et contribuer à remettre en question les acquis scientifiques produits majoritairement par des personnes masculines. C’est notamment au travers d’avancées technologiques initiées par des femmes que pourra émerger un monde plus égalitaire.

 

 

[2] Rosalind Franklin – cristallographe réputée qui a contribué à la découverte de structure de l’ADN

[3] Hedy Lamarr – actrice et inventrice dont la contribution a marqué l’histoire scientifique des télécommunications

[6] https://ec.europa.eu/research/swafs/pdf/pub_gender_equality/she_figures_2015-final.pdf

[8] Plafond de verre: expression renvoyant au fait que les femmes ne peuvent progresser au sein d’un système hiérarchique que jusqu’à un certain point

[9] Sandra Harding est une philosophe et féministe américaine qui a marqué la “théorie des points de vue”.

[10] Donna Haraway est une philosophe, sociologue et féministe américaine, auteure de plusieurs livres sur la biologie et le féminisme.

[11] Simone de Beauvoir était une philosophe et essayiste française, auteurE notamment du “Deuxième Sexe”

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