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Médias et minorités

Médias et minorités

Auteurice Iris Bouillet, 3 mai 2017
Illustrateurice
Type de publication Féminisme et intersectionnalité

Afrodyssée – marché international des tendances africaines – a présenté sa 3e édition au Parc Barton à Genève ce 28 et 29 avril. Au programme : créateurTRICEs, designers, défilés de mode, plats et boissons africains, grand marché et conférences. DécadréE revient sur l’une d’entre elles : « Médias et minorités ».

La conférence est décrite sur le site Afrodyssée: « À une époque où la course à l’information instantanée entraîne de plus en plus de dérives, tant dans le travail d’enquête que dans les luttes d’influences pour imposer la vérité du plus fort, comment les médias s’intéressent-ils à ceux qui comptent moins?[1]. »

Dans une salle lumineuse, Rokhaya Diallo anime la table ronde, avec son background de journaliste politique, écrivaine, éditorialiste, militante et fondatrice de l’association « Les Indivisibles[2] ». Les intervenantEs sont au nombre de quatre. Nassira El Moaddem est rédactrice en cheffe et directrice du Bondyblog – petit média associatif ayant pour objectif de raconter les quartiers populaires et de faire entendre leur voix dans le grand débat national. Mona Chollet est journaliste et cheffe d’édition au Monde Diplomatique, et a travaillé pour Charlie Hebdo en tant que pigiste. Mémona Hintermann est une journaliste, grande reporter de télévision et présentatrice de journal, nommée conseillère pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel[3] (CSA) en 2013. Enfin, Mactar Ndoye est fonctionnaire du Haut Commissaria  C’est en débattant sur les multiples discriminations que véhiculent les médias et quelles solutions apporter pour lutter contre cela que ces quatre participantEs vont intervenir.

 Le choix des mots

C’est en dénonçant le manque d’évolution dans la lutte contre la discrimination dans les médias que Nassira El Moaddem entame le débat. Selon elle, les nouveauxELLES journalistes devraient être forméEs avec plus d’esprit critique pour pouvoir remettre en question ce qui est aujourd’hui acquis du journalisme. Il faudrait selon elle changer le contenu éditorial, la ligne éditoriale, changer les mots qu’on utilise habituellement pour raconter une histoire. « Pour parler de discrimination, il ne faut pas avoir honte des mots ». Elle désapprouve cette autocensure des médias, qui, par exemple, n’osaient pas, il y a trois mois de cela, décrire franchement le Front National comme un parti d’extrême droite, mais qui n’hésitent pourtant plus à le faire aujourd’hui que ce dernier se rapproche dangereusement du pouvoir. Elle expose ce problème de la France dans la (dé)nomination des choses, en prenant l’exemple du tragique accident de 2005, où deux adolescents sont morts électrocutés dans un transformateur, en fuyant la police[4]. Vécu comme un électrochoc par les habitants qui se sentaient ignorés, un débat sur les minorités ethniques ainsi que des émeutes s’en sont suivies. Cependant, Nassira El Moaddem déplore le fait que l’on soit aujourd’hui bien loin des vœux pieux énoncés en 2005 suite à cet événement, à savoir visibiliser davantage cette partie de la population. Au final, aucun changement par rapport à la ligne éditoriale, son contenu ou les mots employés n’est intervenu. Elle lâche : « alors oui, c’est bien beau de mettre des Léa Salamé[5], qui sont d’ailleurs des soi-disant minorités visibles, mais qui appartiennent en réalité à des classes sociales favorisées et ne viennent pas des classes populaires, mais on peut se demander ce qui a fondamentalement changé sur la production éditoriale ? Pas grand chose…» Elle ajoute en caricaturant : «si l’idée c’est de mettre des noirEs et des arabes à la télé pour continuer de taper sur les musulmans, je ne vois pas où est le progrès.»

Une sous-représentation des minorités

Mémona Hitermann prend alors la parole pour présenter le « baromètre de la diversité de la société[6] », outil conçu par le CSA et qui répertorie la représentation des personnes perçues comme non blanches de toutes les émissions sur 17 chaînes entre 17 et 23h en plus des journaux télé de la mi-journée, ce qui est une couverture très large. Le constat entre 2014 et 2016 ? Une évolution de 2% (de 14 à 16%) de leur représentation. Mais elle met en garde contre les chiffres et conseille de les regarder de plus près. En effet, si les chiffres ne sont pas si catastrophiques, c’est aussi grâce aux fictions américaines, qui exposent un monde pas trop déséquilibré. La production française est quant à elle bel et bien inégale ! Si l’on regarde les rôles interprétés par les acteurTRICEs, les rôles des héroINEs sont tenus à environ 10% par des personnes non blanches. Les attitudes négatives, elles, sont incarnées à 25% par des personnes non blanches, fait qui s’est aggravé entre 2015 et 2016. De plus, les personnes perçues comme non blanches sont surreprésentées – à hauteur de 34% – dans les activités illégales. Mémona Hintermann rappelle que le visionnage de la télévision en France par jour et par personne est d’un minimum de 5 heures. « Quand on regarde la télévision et que les personnes non blanches sont toujours perçues comme un danger, ce n’est pas étonnant que dans le secret de l’isoloir…»

 Et le féminisme dans tout cela?

Mona Chollet prend alors la parole. Intéressée par le féminisme depuis longtemps, c’est ainsi qu’elle a été sensibilisée à la question du traitement des minorités dans les médias. En effet, elle se dit frappée d’observer la manière de laquelle la question du sexisme est construite et abordée dans les médias comme étant un problème concernant uniquement les minorités visibles. Comme si les sociétés blanches en étaient exemptes. Et c’est surtout l’accusation constante de la culture et de la religion pour expliquer le sexisme qui l’afflige. “C’est le nouvel habit du racisme.” Elle critique ainsi la construction d’un discours où seule la religion serait vue comme un vecteur de sexisme, “comme s’il n’était pas possible d’être religieuxSE et d’être attachéE aux droits des femmes ou d’être athéE et misogyne”. Pour elle, le sexisme n’est pas quelque chose d’intrinsèquement lié aux cultures et aux religions, mais quelque chose qui peut évoluer au travers de politiques sociales et se modifier au fil des aléas historiques. Elle rappelle cette mise en orbite médiatique du mouvement féministe français “Ni putes ni soumises” initié en 2003, qui, bien que n’ayant aucune réalité de terrain, a tout de même réussi à véhiculer l’idée que les femmes blanches étaient en quelque sorte immunisées contre la question du sexisme et que c’était surtout le problème des femmes de banlieues, des femmes arabes principalement. Ce mouvement, qui a aujourd’hui complètement périclité a bien rempli son rôle en installant l’idée que le féminisme a encore sa raison d’être “en gros en Afghanistan et dans les banlieues, et je caricature à peine”.

Concrètement, on fait quoi ?

Rokhaya Diallo pose alors la question des possibilités existantes pour dénoncer le racisme dans les médias.

Mactar Ndoye entre dans le débat en abordant la Déclaration et le programme de Durban, document clé contre le racisme au-delà de la convention internationale. L’accent est mis particulièrement par rapport non à la formation des médias, mais à l’information sur les questions de lutte contre le racisme. Des ateliers, des workshop sont mis en place, lors desquels ils donnent des bases sur lesquelles travailler, font des recommandations aux états et à travers eux à des associations d’autorégulation afin qu’elles tiennent compte de la question ethnique, raciale ou religieuse. Mais ici, la loi ne peut imposer, elle ne peut que suggérer. Par exemple, les médias pourraient se doter d’un code volontaire éthique. De même, les états devraient convenir ensemble de définitions claires. « La liberté d’expression est sacrée pour cetainEs, mais indifférente pour d’autres. Il est important de savoir à quel niveau il est possible de sanctionner ce qu’on considère être une parole de haine. C’est la raison pour laquelle le bureau a initié cette discussion avec les états, afin d’arriver au plan d’action de Durban[7]. »

Aux sujets des solutions concrètes, Nassira El Moaddem souligne l’importance de la mobilisation de la société civile. En effet, une fois que les journalistes ont fait leur travail d’enquête, de lanceur d’alerte, c’est aux télespectateurTRICEs de prendre le relais. L’utilisation des outils juridiques (formulaires disponibles sur le site du CSA pour dénoncer des propos racistes à la télévision par exemple), des réseaux sociaux sur lesquels il est possible d’interpeller les gens, constituent des bons moyens, rappelle-t-elle. « La nouvelle génération, c’est l’espoir, car l’ancienne génération est restée dans cette idée de ne pas faire de vague. La nouvelle génération est intégrée, insérée dans cette société, elle a fait ses études ici, travaillée ici. » Pour Nassira El Moaddem, l’idée n’est pas de supprimer les médias traditionnels, mais plutôt de les intégrer, car ils doivent être représentatifs de la diversité de la société. Mais il faut également un renouveau pour représenter la diversité des idées, et donc créer de nouveaux médias qui puissent donner la voix à des personnes que l’on n’entend pas. « Il faut cette cohabitation de tout, de manière intelligente. »

Ainsi, il faut reconnaître le rôle positif et négatif que les médias peuvent jouer en matière de lutte contre les discriminations, mais aussi le rôle éducatif. Avec d’un côté une base juridique – qu’incarnerait la Déclaration de Durban, de l’autre côté un moyen de contrôle et de sanctions – que joue le CSA, et l’engagement social de la part des acteurTRICEs civilEs, ce débat amène à la conclusion que oui, il est possible d’évoluer vers une forme de média plus égalitaire, plus représentative de la diversité dans son ensemble, plus juste.

 

 

 

 

 

 

 

[1] Afrodyssee – African Trend Corners : http://afrodyssee.ch/talks/rapports-entre-medias-minorites/

[2] Association fondée en 2007, ayant pour objectif de déconstruire les préjugés et clichés ethno-raciaux en utilisant l’humour et l’ironie, et de faire cesser la partition de la nationalité française selon une apparence physique. Elle est à l’origine de la cérémonie satirique des Y’a bon Awards récompensant des déclarations jugées racistes prononcées durant l’année par des personnalités publiques.

[3] Wikipedia : Autorité française de régulation de l’audiovisuel. L’intitulé de sa mission est de garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle en France.

[4] CHEMIN, Ariane. Le dernier jour de Bouna Traoré et Zyed Benna, 07/12/2005. URL : http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/12/07/le-dernier-jour-de-bouna-traore-et-zyed-benna_718481_3208.html. Consulté le 30 avril 2017.

[5] Journaliste franco-libanaise

[6] http://www.csa.fr/Etudes-et-publications/Les-observatoires/L-observatoire-de-la-diversite

[7] Site de l’ONU : Document exhaustif et pragmatique qui propose des mesures concrètes afin de lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.

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