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«Nos corps sont vos champs de bataille»: un combat pour l’inclusion des femmes trans*

«Nos corps sont vos champs de bataille»: un combat pour l’inclusion des femmes trans*

Auteurice Julia Zufferey, 25 novembre 2022
Illustrateurice

Le 20 novembre dernier, lors de la Journée du souvenir trans*, le festival féministe genevois Les Créatives s’associait au festival FILMAR pour la projection de Nuestros cuerpos son sus campos de batalla, un documentaire d’Isabelle Solas qui suit le parcours de deux femmes trans* en Argentine, projection suivie d’une table ronde sur le thème de l’adelphité. Une occasion de parler d’intersectionnalité au sein des luttes féministes.

Le documentaire d’Isabelle Solas, Nuestros cuerpos son sus campos de batalla, se déroule en Argentine et suit Claudia Vásquez et Violeta Alegre, deux femmes trans*, qui luttent pour les droits des personnes transgenres. Claudia, présidente de l’association OTRANS, se bat pour que les «Rencontres des Femmes» cessent d’exclure les femmes trans*. Elle pense qu’il faut entrer dans les institutions pour les réformer de l’intérieur et qu’il faut engager son corps dans la lutte. 

Violeta est anthropologue et donne des cours dans le domaine social, afin de sensibiliser les employé-e-x-s aux questions de genre et de diversité sexuelle. La nuit, elle colle illégalement des affiches pour dénoncer la réalité des abattoirs. Elle se questionne sur la prostitution et le bien-fondé du système argentin; pour Violeta, s’y intégrer signifie y participer.

La question de l’intersectionnalité est d’emblée abordée dans Nuestros cuerpos son sus campos de batalla: être une femme transgenre en Argentine, c’est être une personne trans*, mais aussi une femme, une réfugiée, une travailleuse du sexe, une personne en dessous du seuil de pauvreté, une victime de violences policières. Il leur faut donc mener la lutte sur tous ces fronts. 

La prise en considération de ces systèmes d’oppressions imbriqués est aussi défendue à Genève, lors de la table ronde qui suit la projection du film. Karine Espineira, sociologue et chercheuse spécialiste des questions transféministes, résume d’ailleurs ainsi: «on ne peut pas défaire le système d’oppression si on ne les défait pas toutes».

© FILMAR 2022 – Aline Bovard Rudaz

Cette participation des femmes trans* à ces différentes luttes est toutefois remise en question tout au long du documentaire par les interventions de groupes TERF (trans exclusive radical feminists), des féministes radicales qui excluent les femmes trans* en leur hurlant, notamment «vous n’êtes pas des femmes! Vous êtes des hommes!» et en les réduisant à leur corps et à leurs organes génitaux. Ces femmes défendent une position qu’Adèle Zufferey, psychologue spécialisée dans l’accompagnement des personnes LGBTQI+ à Lausanne, co-directrice de la fondation Agnodice, modératrice de la table ronde, appelle le femellisme.

Le femellisme, c’est considérer qu’être une femme passe par le fait d’être une femelle adulte. Pour Effie Alexandra Nolasco, coordinatrice du pôle trans* à l’Association 360° à Genève, il y a ici essentialisation des appareils reproducteurs des personnes «sans prise en compte de réalités biologiques beaucoup plus complexes».

Dans le documentaire, Claudia Vásquez s’insurge contre ces femmes qui, de l’extérieur, dénoncent le patriarcat mais, de l’intérieur, utilisent exactement le même discours contre les personnes trans* que le système qu’elles cherchent à démanteler. De la même manière que les hommes veulent contrôler le corps des femmes (par les lois, les habits, etc.), ces femmes veulent contrôler les corps des personnes trans* en leur imposant une identité de genre qui s’y conforme et en les excluant de leurs rencontres.

Cette question du corps se retrouve à plusieurs échelles: dans le titre du film, d’abord, («nos corps sont vos champs de bataille», en français) où, pour Isabelle Solas, la réalisatrice, le corps «n’est pas à comprendre comme un lieu d’engagement politique, mais plutôt comme un lieu de guerre»; il se retrouve également dans les réactions transphobes des féministes TERF; à ce propos, Effie Alexandra Nolasco fait remarquer que, même en Suisse Romande, il y a un ralliement entre les mouvements religieux et/ou conservateurs et certaines associations transphobes, ce qui leur «donne un pouvoir extraordinaire pour faire reculer les droits». Il s’agit de deux types d’associations qui normalement ne s’allient pas mais, se trouvant ici des intérêts communs, mettent de côté leurs différences, renforçant ainsi le contrôle qu’elles souhaitent exercer sur le corps des personnes trans*.

Pour se battre contre ce contrôle du corps, lors de la table ronde qui suit la projection du film, Karine Espineira en appelle à une «multimilitance et une approche intersectionnelle». Le contrôle du corps est le premier geste qui mène à un recul de droits qui ne sont, malheureusement, jamais totalement acquis pour les femmes et la communauté LGBTQI+, comme par exemple le droit à l’avortement.

Revendiquer la liberté des corps sur tous les fronts possibles, prendre en compte les réalités des personnes trans*, faire bloc ensemble…Voici une voie possible pour la reconnaissance des droits humains. 



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