Paula, Alex, Maddy : la violence n’a pas d’âge
Camille Mottier, 11 novembre 2021La nouvelle mini-série « Maid » de Molly Smith Metzler, à qui l’on doit aussi des épisodes de Shameless et Orange is the New Black, adapte un roman de l’américaine Stephanie Land sur les violences conjugales. Tristement commune, cette histoire devient ici un petit bijou cinématographique intense qui fait passer le-a spectateur-ice par un éventail extraordinaire d’émotions. À regarder sur
Basé sur «Maid : Hard Work, Low Pay and a Mother’s Will to Survive» [«Femme de ménage : Travail acharné, bas salaire et volonté de survie d’une mère»], cette série de dix épisodes, sortie début octobre 2021, raconte l’histoire d’Alex, une jeune mère qui se sépare de Sean (Nick Robinson), son compagnon violent et abusif. Elle se retrouve alors dans une situation compliquée, entre les multiples programmes gouvernementaux pour sans-abris et/ou femmes battues, la crèche de sa fille Maddy, son emploi comme femme de ménage, ses dépenses qui défilent devant ses yeux au fur et à mesure de la journée et sa relation avec sa mère Paula (Andie MacDowell) également victime de violences conjugales. En résumé, une vie complexe et stressante pour cette femme qui veut avant tout offrir une sécurité et un avenir à sa fille et à elle-même.
Son rêve : aller mieux, se sentir en sécurité, et entrer dans une université pour suivre des cours d’écriture. Voilà ce qui la sauve de son quotidien difficile : écrire, mais pas sur n’importe quoi. Toutes ces maisons qu’elle nettoie pour gagner de l’argent ont une histoire à raconter. Leurs hôtes sont parfois adorables, parfois affreux, mais ils et elles ont toutes et tous quelque chose de spécial; ce sont ces petits détails dont s’emparent Alex pour écrire et s’évader. Elle constate aussi que chaque foyer fait face à ses propres difficultés, et que même si une maison est spacieuse et bien décorée, elle est aussi le témoin de différents types de violences quotidiennes
Pour retomber sur ses pattes, Alex séjourne quelques temps dans un abri qui accueille des femmes traumatisées par les violences conjugales. Là, c’est un panorama des vécus divers qui se déroule à travers ses yeux. Des femmes de tous âges et de toutes origines se retrouvent car elles partagent ces blessures physiques et mentales. Certaines partent, d’autres arrivent, des amitiés se tissent et se terminent sans crier gare. Mais le foyer n’est jamais vide, car les violences conjugales ne s’arrêtent jamais. Cette temporalité longue voir presque infinie est simplement et efficacement incarnée dans les trois générations que représentent Paula, Alex et Maddy. Chacune souffre de cette situation de violences, à sa manière, à son époque, à son âge. Maddy, du haut de ses deux ans, ne prononce que quelques autres mots hormis « Shoop shoop » qu’elle a grapillé dans une chanson de rap, écoutée en boucle sur l’autoradio déglingué de la voiture pas plus solide. Pourtant, ses silences sont criant d’une souffrance qu’Alex elle-même a supporté dans sa jeunesse; en témoigne le montage parallèle des séquences de cachette dans les placards pour se protéger des cris, des bouteilles qui se cassent sur les murs de la caravane, des débris de verre et d’amours passés qui jonchent le sol.
La mère, la fille, mais aussi la grand-mère. C’est donc une génération de femmes qui sont victimes de la violence des hommes qu’elles aiment le plus. Même après avoir été battue pendant des années, la mère d’Alex continue de vouer sa vie à des hommes qui lui offrent une attention aussi fugace que passionnée et malsaine. Et comment lui en vouloir? Andie McDowell offre une interprétation sensible d’une femme dans le déni de ses troubles post-traumatiques évidents.Cet attachement toxique aux quelques hommes croisés au détour d’un stand au marché ou d’un bar quelconque donne à Paula un semblant de sentiment d’appartenance et de valeur, pour quelques instants, avant qu’ils ne la rejettent, les uns après les autres. Ce personnage représente un exemple phare du fait qu’il est complexe de s’engager dans une relation nouvelle alors que nos propres problèmes internes sont encore trop présents et doivent être réglés en priorité. Paula court après les autres pour fuir ses traumatismes, au détriment de sa propre santé mentale. Un comportement somme toute assez compréhensible et classique dans ce genre de situation extrême.
Malgré l’aspect sérieux et lourd qu’amène sans aucun doute cette série, il est contrebalancé par des scènes pleines de douceur entre Maddy et sa mère : dans la forêt pour aller à la chasse à l’ours, dans un petit appartement rempli de poneys en plastique rose aux crinières multicolores, dans la voiture à regarder les étoiles pour une énième nuit sans domicile fixe. Un des nombreux talents d’Alex réside dans sa capacité à rendre le monde toujours un peu plus beau pour Maddy. Sa fille est sa priorité, et elle ne laissera aucun homme empiéter là-dessus. Ni son ex Sean, ni son père, ni l’adorable et charmant Nate, ni le système juridique contre lequel elle continue jour après jour de se battre âprement.
Elle refuse de s’en remettre à quelqu’un d’autre qu’elle même pour s’en sortir, et c’est là une des forces les plus grandes de cette série, qui se termine d’ailleurs sur un cri de joie d’Alex et Maddy, un cri lancé dans le vent, lancé vers un futur qui n’appartient plus qu’à elles seules.