ChroNique: Ce que le Festival OFF d’Avignon met en valeur en terme d’intimité
Auteurice Romy Siegrist, 23 juillet 2019Illustrateurice
Chaque mois, Romy Siegrist vous propose une réflexion/discussion autour d’un thème sexo particulier. De la pluralité des expériences aux vécus singuliers, n’hésitez pas à échanger avec nous!
C’est l’été, il fait chaud, et j’aurais pu faire une ChroNique sur les effets des conditions estivales sur nos sexualités (du type ça colle ou ça glisse – tout dépend du point de vue ou du moment). J’aurais pu. Mais ce mois je fêtais mon 10è anniversaire en tant que fidèle du Festival OFF d’Avignon, qui propose cette année environ 1592 spectacles du 5 au 28 juillet 2019. Vu le nombre impressionnant de productions (surtout théâtrales, mais aussi de danse, de cirque, de musique,…), on se doute bien qu’il y a à boire et à manger, et qu’il n’y en a pour tous les goûts et toutes les faims (“Et toi, t’es plutôt 2 ou 4 spectacles par jour?”).
© Avignon Le OFF – Mur d’affiches
De retour de deux petites semaines dans cette ambiance particulière, j’ai sélectionné quelques spectacles qui touchent à des questions d’intimités – au cas où vous avez la chance d’y aller avant la fin, ou si l’un de ces spectacles se produit près de chez vous. NB : ceci n’est pas une (pipe) classification par préférence.
Pour commencer, je vous propose d’avoir des paillettes plein les yeux et la tête au 7e ciel (vous allez comprendre pourquoi) avec le Cabaret Burlesque au Rouge Gorge à 21h55 (relâche les mardis).
© Arnaud Yves Dardis
Les shows d’effeuillage féministes sont de plus en plus courants – d’ailleurs DécadréE vous en avait proposé un extrait pour clore sa journée Vulves en tous genres du 7 avril dernier. Cette approche renouvelée du burlesque des deux derniers siècles vise notamment à une mise en valeur de la diversité des corps avec humour, légèreté et sensualité.
Pendant cette nouvelle création de la Cie parisienne du Burlesque Klub, nommée «Les Explorateurs», mise en scène par Valentina Pearls, les spectateurRICEs sont baladéEs de la Terre jusqu’au ciel, avant de revenir en mer, et de voyager au-delà du réel (mais qu’est-ce que le réel, me direz-vous) à la rencontre de monstres et créatures fantastiques. Le tout avec un choix musical de 1ère classe (ce qui est important pour une fétichiste de la musique comme moi, et ce n’est pas juste parce qu’il y a les Cure). Si la diversité des corps est peut-être moins présente et mise en valeur dans ce spectacle – la majeure partie des artistes sont des femmes blanches et minces voire très minces –, touTEs ont une manière bien personnelle de se présenter et d’habiter leur corps. De plus, la créativité et la beauté des costumes de touTEs les performeurSEs nous laissent bouche bée (au risque parfois d’avaler des paillettes et de mourir étoufféEs par celles-ci).
Allez voir un show de burlesque est souvent une expérience plaisante et esthétique, qui ouvre des espaces érotiques et donne envie d’oser jouer de nos corps, nos envies, nos peurs, nos limites. Mais c’est aussi il me semble une plongée dans de l’intime, non pas par la nudité de la personne qui performe, mais par la mise en acte et l’exposition d’un de ses univers fantasmatiques, qui vient peut-être rencontrer l’un des nôtres.
Dans le décor charmant du Rouge Gorge, préparez-vous à 1h15 d’exploration poétique, ludique et intergalactique!
Bien entendu, ce n’est pas seulement en ayant la tête dans les étoiles ou en ne touchant plus sol que la sexualité gagne en ouverture et perd de sa «naturalité» ou de son «évidence». Pour cela, on peut également se pencher sur la vie sexuelle du monde vivant, et La Sextape de Darwin, à 15h40 à la Factory – théâtre de l’Oulle (relâche les lundis) est à ce titre exemplaire.
© La Sextape de Darwin
Ecrit et mis en scène par Brigitte Meunier, inspirée notamment par le livre Tous nos fantasmes sexuels sont dans la nature de Tobie Nathan (2013, Ed. Mille et une nuits), ce spectacle-conférence vient faire la peau à certaines idées reçues sur ce qui devrait être normal – souvent synonyme à tort de naturel – en sexualité: qu’est-ce que l’identité sexuelle? Existe-t-elle? Qu’est-ce que la séduction? Comment s’opère-t-elle? Et la reproduction? Utilise-t-on forcément les organes génitaux tels qu’ils pourraient être utilisés? Qu’en est-il du plaisir?
Cette création qui intègre notamment de la danse, du chant et des acrobaties aborde les questions de sexuation, de genres, d’orientations sexuelles avec précision et humour, mettant en valeur la richesse qu’amènent les exceptions. Hermaphrodisme, intersexuation, différence entre genre biologique, performé et vécu, transidentités,… Sous couvert d’autres formes de vies qu’humaines, sous couvert d’un monde qui nous serait «différent», ce spectacle est un acte militant pour la diversité sexuelle en général. Idéal pour y emmener toute personne qui n’irait pas voir une œuvre qui parle directement de ces thématiques, une personne qui par exemple n’irait pas voir Pronom.
© Robin Hammond – Noor
(cette image a fait la couverture du National Geographic en janvier 2017, sauf dans la version française… une belle revanche de la voir partout à Avignon!)
Jouée à 18h30 au 11 Gilgamesh, Pronom est une pièce d’Evan Placey mise en scène par Guillaume Doucet qui conte l’histoire de Dean, un jeune homme trans qui entame un processus de validation de genre. Cette pièce aborde les répercussions de ces démarches sur la vie personnelle de Dean – ou plutôt sur celles de son entourage – et cela à plusieurs niveaux. Au niveau affectif, Dean était (et restera) en couple avec un autre garçon qui dit ne pas être «homosexuel», mais qui demeure amoureux de et attiré par Dean. Au niveau familial, il y a un deuil à faire pour sa mère qui «perd sa fille», sa sœur qui a l’impression que son monde et ses souvenirs d’enfance lui sont ôtés, et son père qui «gagne» un fils. Au niveau social, Dean devient notamment un faire-valoir pour prouver l’ouverture et la tolérance de et dans son école, qui lui demande de faire un discours à l’occasion d’une soirée importante. Son discours portera principalement sur le désir d’être aimé, admiré et non pas simplement «toléré», comme on tolérerait une erreur.
Créée par Evan Placey après des rencontres et suivis avec des familles anglaises traversant cette expérience, la pièce a été montée par un collectif sensibilisé aux questions LGBTIQA+, le Groupe Vertigo, et cela se sent. Elle n’est pas une utopie (le sexisme et la misogynie y sont présents sans pour autant être dénoncés), mais elle vise à représenter un support d’identification positive pour les personnes vivant cela. Trop souvent, les personnages trans* ont des destins dramatiques ou dramatisés – tragiques ou extraordinaires. Cette pièce touche juste sur les enjeux divers d’une transition, d’une validation de genre, en restant proche du réel. Par chance, elle est jouée régulièrement dans des établissements scolaires en France – espérons que la pièce rayonne plus loin…
Une autre pièce présentée dans les écoles mais en Belgique cette fois-ci et pas qu’une fois (#humourbelge) car elle connaît un certain succès pour ne pas dire un succès certain (elle a fait l’objet d’une adaptation en web-série), c’est La Théorie du Y, qui a lieu au Théâtre des Lucioles à 13h40 (relâche les mardis).
© La Théorie du Y
Au vu du début de son descriptif, «et si on pouvait tomber amoureux sans se demander si c’est d’un homme ou d’une femme?», j’avais bon espoir que la pièce, écrite et mise en scène par une jeune autrice, Caroline Taillet (aussi co-réalisatrice de la websérie), présente la diversité des orientations sexuelles et romantiques. La pièce est interprétée par les comédienNEs de manière énergique et sensible, la mise en scène est bonne, certains thèmes comme la définition/identification de la première fois (premier orgasme? Première pénétration d’un doigt ou d’un pénis? Et si c’était avec une fille?) sont très bien traités, mais néanmoins, de mon point de vue, le propos sur l’orientation sexuelle a quelques années de décalage dans les termes utilisés et reste très – trop – binaire. La pansexualité et le panromantisme (respectivement être attiréE sexuellement et tomber amoureuxSE d’une personne sans que son genre ne soit relevant), dont il pourrait être question vu les tournures de phrase et les vécus des personnages, n’est pas explicité. On reste dans une binarité des sexes, avec une norme cisgenre, métaphorisée en terme culinaire – on mange du poisson si on couche avec une fille, et de la viande si on couche avec un garçon. Néanmoins, cette pièce peut être une bonne entrée en matière pour toutE unE chacunE, peut-être plus pour les parents que pour les ados elleux-mêmes, puisqu’iels sont souvent plus au courant des nouvelles terminologies/définitions existantes.
Cela dit, la métaphore culinaire sexuelle a de belles années derrière et devant elle (la chanceuse), et l’utilisation de la nourriture pour transmettre un message semble être courante. C’est en tout cas ce que rapporte Océan dans son one-woman-show La Lesbienne Invisible, repris et interprété par Marine Baousson dix ans après sa création au Théâtre des Béliers à 22h30 (relâche les jeudis).
© La Lesbienne Invisible
Avant d’effectuer une transition, Océan – qu signe la mise-en-scène – s’appelait Océanerosemarie. Ce spectacle raconte son parcours en tant que femme aimant les femmes, qui peinait à être identifiée, reconnue et acceptée comme telle notamment car «trop féminine» – et oui, ce n’est pas parce que l’on fait partie d’une minorité (ici, le milieu lesbien) que l’on ne véhicule pas des stéréotypes et ne reproduit pas des oppressions: il y aurait les «vraies» lesbiennes, et les autres – attention donc, il y a des codes à maîtriser et respecter.
Lors de ce stand-up, on touche à un bout de la Culture Gouine aussi en terme culinaire: cuisiner des moules gratinées chaque dimanche pour faire passer un message, ou commander un Caffe Latte Macchiato, avec le bon rythme et le bon accent, comme dans The L World. Mais il y a aussi les autres réalités de la vie de homosexuelle féminine: la personnage mentionne sa phase hétérophile (le fait de tomber systématiquement amoureuse de femmes hétéros ou bi-curieuses), la baisse du désir au sein du couple (le fameux effet «mort du lit lesbien» mis en évidence dans des recherches en sexo sur les couples de femmes) et contre laquelle The L World semble être un remède – comme quoi, il suffit juste de bien choisir ses séries pour prendre soin du couple. Une dose d’humour pour toucher aux questions lesbiennes, avec des traits parfois un peu trop tirés, mais l’humour fonctionne aussi à cela.
Last but not least, l’adaptation du roman graphique de Jean-Louis Tripp, nommé Extases, à 22h15 au Théâtre des Lucioles (relâches les mardis). Ne vous fiez pas au flyer – à mon avis la couverture d’origine aurait attiré plus de monde car à Avignon, ce type d’affiche n’annonce pas nécessairement un spectacle aussi pertinent que celui-ci.
© Extases
Joué par Franck Jazédé avec justesse, dynamisme et douceur, ce spectacle est inspiré du récit auto-biographique de Jean-Louis Tripp sur son histoire sexuelle. L’auteur y parle de ses premières expériences amoureuses, érotiques, sensuelles, de sa rencontre avec les poils, des corps et sexes qu’il fallait imaginer d’abord par le toucher, de l’orgasme (le sien comme celui – enfin ceux – de ses partenaires), de la masturbation, du clitoris et du pouvoir de sa langue et de ses doigts («mais alors, ma bite elle sert à quoi?»), toutes ses réflexions sont amenées et déposées là, sans cynisme et sans moquerie mais avec humour. Des expériences entre pairs avec ses meilleurs amis garçons, sa rencontre avec d’autres pénis – étrange familiarité face à ce sexe bandé – sans pour autant se sentir gay, l’évolution de sa relation avec sa femme (passant d’un couple monogame exclusif à une ouverture sexuelle, l’amenant à érotiser les relations extra-conjugales en mode candauliste), cette pièce est une ode à l’ouverture, l’expérimentation et l’hédonisme sexuelLEs.
Seul bémol: un dialogue avec une militante abolitionniste (c’est-à-dire pour l’abolition de la prostitution), qui veut promouvoir le sexe entre personnes désirantes et non pas «simplement» consentantes. Or, mettre le désir comme seul élément valable autorisant ou validant un acte est d’après moi réducteur. Il y a des choses que nous désirons faire mais que nous ne souhaitons pas mettre en pratique pour différentes raisons, et d’autres que nous avons envie de faire sans nécessairement en ressentir physiquement le désir, ou sans les désirer pour elles-mêmes mais plutôt pour les conséquences qui en découlent…
L’avantage cependant est que l’on ressort de la pièce avec l’envie de continuer l’échange, de discuter enfin peut-être vraiment de ce que l’on vit ou a vécu en sexualité, sans tabou et sans honte.
En conclusion, le OFF regorge de petites graines plantées, tant par certains des spectacles présentés que par des tables rondes organisées officiellement (comme celle sur la représentation des personnages trans* dans les productions culturelles). Espérons que cela germe et porte ses fruits, ses légumes, ses fleurs.
Je vous souhaite un bel été, et vous dis à la rentrée !
(Eh oui, Sea Sex & Sun de Gainsbourg était trop sexiste pour être utilisée dans cette chronique… du coup je vous laisse avec Prince)