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ChroNique – Ce que le patriarcat fait aux agressions sexuelles (1/2)

ChroNique – Ce que le patriarcat fait aux agressions sexuelles (1/2)

Auteurice Romy Siegriest, 6 juillet 2020
Illustrateurice Maybel Gadot

Chaque mois, Romy Siegrist une réflexion/discussion autour d’un thème sexo. De la pluralité des expériences aux vécus singuliers, n’hésitez pas à partager avec nous! Avant les vacances, elle vous offre une Chronique en deux parties!

Il s’agit d’un thème complexe mais ô combien important que j’aimerais aborder dans ces deux prochaines ChroNiques: les agressions sexuelles, et comment notre société vient les minimiser – voire les soutenir – de par les stéréotypes autour des agressions, des lois peu adaptées, du manque d’information sur les mécanismes de défense des victimes (tant psychiques que physiques) et des interdits moraux empêchant de penser et de prévenir les parts d’ombre que tout individu peut avoir, surtout quand on parle d’agressions envers des enfants (mais ce sera l’objet de la deuxième partie de cette ChroNique qui sortira mi-juillet).

Il est important de parler de ce sujet car aujourd’hui encore, les chiffres sont extrêmement élevés, comme le révèle cette étude de 2019 de l’institut de recherche gfs.bern pour le compte d’Amnesty International: 22% des femmes en Suisse ont déjà subi des actes sexuels non consentis, 12% ont eu un rapport sexuel contre leur gré. Pour ce qui est des hommes victimes, les chiffres sont plus difficiles à estimer (le patriarcat peine à penser qu’un homme puisse être victime), mais selon une autre étude, au moins 30% des jeunes en Suisse ont subi une agression sexuelle sans contact physique (dont 20% des garçons et 40% des filles)… J’y reviendrai dans la deuxième partie de cette ChroNique. Revenons aux agressions sexuelles de manière plus globale.

Pour commencer, la culture du viol joue un grand rôle dans la perception de ces agressions, ayant notamment tendance à romancer les comportements d’emprise et de harcèlement, à faire croire qu’une personne insistante (surtout quand c’est un homme) ne fait que montrer son amour et/ou son désir irrépressible (car “naturel”) – et dont il faudrait être fierE, puisque notre société valorise avant tout notre désirabilité (et c’est surtout vrai pour les femmes*)… Cela dit, d’autres éléments viennent encadrer les agressions sexuelles, et notre manière de les penser.

 

Tout d’abord, regardons les définitions pénales suisses de deux des infractions contre l’intégrité sexuelle:

Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Extrait de l’article 189 CP: Contrainte Sexuelle

 

Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de un à dix ans.
Extrait de l’article 190 CP: Viol

 

Ces définitions posent problème à plus d’un titre et une révision de la loi serait nécessaire. Premièrement, ces deux définitions gardent la notion de contrainte comme significative et non pas simplement l’absence de consentement: il en résulte que c’est aux victimes de prouver qu’elles ne pouvaient pas résister / se défendre, et non pas aux auteurICEs de prouver qu’iels ont eu le consentement de la personne avant. Bonne nouvelle: plusieurs personnes essayent de faire changer cela, et vous pouvez apporter votre soutien à cet appel soit en le signant, soit en le partageant auprès de personnes d’influence. Deuxièmement, il est à noter que la loi suisse a une définition rétrograde du viol, puisque seule la pénétration contrainte d’un vagin par un pénis est considérée comme tel.

 

via GIPHY

 

C’est une vision patriarcale et sexiste, puisque cela hiérarchise les agressions en fonction des pratiques, ainsi que du sexe et du genre de la personne qui les subit, avec des conséquences sur les peines encourues et sur les réparations possibles, niant par exemple qu’une sodomie non-consentie est aussi grave qu’une pénétration vaginale non-consentie. Là encore, une des pistes pour comprendre cette distinction réside probablement dans des questions patriarcales, liées au risque de grossesse consécutif au viol vaginal par un pénis: c’est bien connu, le patriarcat a peur des enfants illégitimes qui déshonorent les familles…

Au-delà des lois – qui nécessitent une bonne révision – il est temps de continuer à s’attaquer aux imaginaires autour des agressions sexuelles.

 

L’agression sexuelle « standard » serait perpétrée

  • par un homme inconnu
  • avec des comportements violents et agressifs
  • dans la rue
  • dans un lieu sombre et mal-éclairé
  • sur une jolie femme

 

Si l’on développe un peu cet imaginaire…

L’auteur est souvent perçu comme pauvre / étranger / marginal / fou / monstrueux… et la victime: belle / insouciante / habillée de manière aguichante / plutôt jeune.

Ces imaginaires véhiculés sont empreints de sexisme et de patriarcat:

 

Là-dedans, il y a une volonté de mettre à distance le risque, de le minimiser, de le contenir… de trouver des (fausses) raisons à une agression, de définir ce qui serait un bon violeur et une bonne victime, en omettant de prendre les statistiques en compte, car dans la majorité des cas:

  • les victimes connaissent leur agresseurEUSE
  • les auteurICEs n’ont pas de psychopathologies qui expliqueraient leur comportement (mais c’est surtout vrai pour les hommes auteurs)
  • l’agression se passe dans un lieu connu et privé, voire à domicile (statistiques policières de la criminalité de 2015, voir p.43)
  • il n’y a pas d’usage de violence, car il n’y a pas ou peu de réactions de défense des victimes

 

Ce dernier point est essentiel à retenir. Le fait qu’il n’y a pas ou peu de réactions de défense est compréhensible et explicable. Face à un danger, il y a trois manières de réagir, la fameuse règle des trois F en anglais: Fight, Flight, Freeze: on attaque, on fuit, ou l’on se fige.

 

via GIPHY

 

Dans l’imaginaire amené par la culture du viol, on nous apprend qu’une bonne victime se défend, crie, donne un coup de genou dans les couilleset s’enfuit. Sauf que concrètement, face à une agression sexuelle, on aura plutôt tendance à entrer en état de sidération, puis de dissociation, comme l’explique très bien Louisa Donna, une psychologue française militante, dans cette vidéo:

 

 

On est donc généralement incapable de réagir autrement qu’en se protégeant de cette manière. L’esprit se protège – et c’est déjà énorme – par la dissociation. Cela dit, le corps se protège aussi, et il est important d’en parler. Car en effet, une autre question qui revient souvent concerne les signes d’excitation et de plaisir. En fait, le corps se protège comme il peut: l’agression aura moins de conséquences physiques directes par exemple si le vagin se lubrifie… Par ailleurs, des personnes victimes disent avoir ressenti du plaisir, voire avoir eu des orgasmes lors de leur agression: ça arrive – même plus souvent qu’on ne le croit – et ça ne remet pas en compte le non-consentement. Bien sûr, savoir cela ne permet pas complètement de se défaire de la honte et de la culpabilité que peut ressentir une victime, mais l’excitation sexuelle est en partie réflexe: quand des zones érogènes sont stimulées, des réactions physiologiques s’enclenchent. C’est le cas aussi pour les hommes victimes d’agressions sexuelles: bander ne prouve pas leur consentement.

Pour finir cette première partie de ChroNique – qui n’est bien sûr pas exhaustive mais qui soulève déjà je l’espère de nombreux aspects –, je vous propose quelques adresses importantes si vous êtes concernéEs par la thématique:

Chaque canton possède un centre LAVI (Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions). Selon cette loi, toute victime – quel que soit son genre, son sexe, son orientation sexuelle, sa confession,… – a des droits, même si elle ne dépose pas plainte.

La mission des centres LAVI consiste à:

  • Apporter aux victimes d’infractions et/ou à leurs proches, directement ou en faisant appel à des tiers, une aide psychologique, juridique, sociale et matérielle.
  • Informer les victimes, les professionnelLEs et le public des prestations du centre LAVI.
  • Informer les victimes tout au long des procédures.
  • Les orienter vers un réseau d’intervention professionnel et des services adéquats.

Les entretiens sont confidentiels et gratuits.

Le centre LAVI de Genève a rédigé une brochure, et même si elle est axée uniquement sur les agressions sexuelles sur les femmes, elle contient plein d’informations et des adresses utiles au chapitre 15.

Par ailleurs, si vous faites partie de la communauté LGBTIQA+, vous pouvez contacter l’Association PAV (Pôle Agression et Violence): https://association-pav.ch

Rendez-vous mi-juillet pour la partie 2, qui se concentrera plus particulièrement sur les mécanismes sociétaux (et psychiques) qui entourent les agressions sexuelles envers les enfants, et dans laquelle on parlera notamment d’incestuel et d’incestueux…

Prenez bien soin de vous, et continuons à déconstruire petit à petit les mythes qui entourent les agressions sexuelles!

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