Les monologues du vagin: libérer la parole
Auteurice Velia Ferracini, 20 octobre 2022Eve Ensler, dans Les Monologues du vagin, ouvre en 1996 un sujet clef: désigner son sexe et le raconter. Plongée, presque trente ans après, dans ce monument féministe.
Faire parler les femmes* de leur sexe: c’est le pari osé relevé par Eve Ensler en 1996 dans Les Monologues du vagin. Initialement créé pour le théâtre, il s’agit d’un des textes féministes les plus connus au monde. Grâce à ce récit, Eve Ensler ouvre un nouvel espace pour que les femmes* puissent parler librement de leur sexualité. En effet, le livre représente les témoignages de deux cents personnes qui veulent en parler librement. Sans complexes.
Écrit en 1996, il est important de considérer ce texte dans son contexte historique. En cette fin de millénaire, parler de sexualité était tabou. La masturbation encore considérée comme péché dans la majorité des pays et, malgré la libération sexuelle entamée dès les années 60, faire parler les vagins était ambitieux.
«Je le dis [VAGIN] parce que je crois que ce qu’on ne dit pas, on ne le voit pas, on n’en tient pas compte, on ne s’en souvient pas. Ce qu’on ne dit pas devient un secret, et les secrets engendrent souvent la honte, la peur et les mythes. […] Alors, vous commencez à répéter ce mot de plus en plus souvent. Vous le dites avec une sorte de passion, une sorte d’urgence, parce que vous sentez que si vous arrêtez de le dire, la peur va de nouveau vous submerger et que vous allez revenir à ce murmure embarrassé.»
Vagin ou vulve?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est temps de réfléchir aux mots qui ont aujourd’hui une signification stable. Après avoir tergiversé durant des millénaires, les femmes peuvent désormais utiliser un vocabulaire établi pour parler de leur anatomie. Alors, vulve ou vagin?
Nombreux et nombreuses seront les lecteur·trice·x·s qui utilisent ces deux mots sans distinction ou qui choisissent «vagin», tout en pensant «vulve». «Vagin» est fréquemment devenu le terme de prédilection pour désigner les organes génitaux de la femme*. En réalité, «vulve» est le mot correct pour désigner l’ensemble des organes génitaux, qui comprennent le clitoris, l’orifice urétral, les lèvres externes, les lèvres internes, le vagin et les tissus environnants. Le vagin est une partie de la vulve: il s’agit du canal qui relie le col de l’utérus et l’utérus au monde extérieur. C’est dans ce canal que se déroulent l’accouchement, les menstruations, les rapports sexuels avec pénétration, la contraception interne et la conception. Ainsi, lorsque l’on veut désigner anatomiquement l’ensemble des organes génitaux féminins, il s’agit d’employer le terme «vulve» au lieu de «vagin». La diffusion du terme «vagin» est en réalité lié à un autre tabou, plus fort encore que les règles ou l’accouchement: le plaisir féminin, pour la majorité des femmes* lié au clitoris, que le terme «vulve» intègre (et que le terme «vagin» exclut).
Ainsi, Eve Ensler aurait probablement dû nommer son texte Les Monologues de la vulve, plutôt que Les Monologues du vagin (The Vagina Monologues en anglais). D’ailleurs, elle se questionne et analyse le terme «vulve», expliquant pourquoi elle ne l’a pas choisi: «Vulve est un bon mot; il est plus spécifiquement parlant, mais je ne crois pas que la plupart d’entre nous sachent ce qu’inclut la vulve». Son désir de parler au plus grand nombre est donc tout à fait honorable et son texte, écrit à une période où le clitoris n’apparaît même pas dans les livres d’anatomie, tellement puissant qu’on veut bien lui pardonner ce choix!
Et donc: les Monologues du vagin?
Revenons à notre sujet: Les Monologues du vagin, un texte qu’Eve Ensler veut récité par une ou des femmes* jouant bénévolement. Plus encore, elle a demandé que les recettes de chaque représentation soient versées à une association qui lutte pour les droits des femmes. À la suite des Monologues, elle a d’ailleurs créé la fondation V-Day, association qui lutte contre les violences faites aux femmes. Différentes sections vont rapidement s’établir partout dans le monde.
L’ouvrage, traduit dans 48 langues et mis en scène dans plus de 140 pays, commence par un constat: il peut être difficile de trouver son vagin. Il s’agit alors de le rencontrer devant un miroir et de l’observer pour la première fois. Pratique actuellement courante, Eve Ensler en est l’une des instigatrices. Se découvrir, se reconnaître est essentiel pour vivre en harmonie avec son corps. De ce constat, elle décide de questionner des femmes sur leur rapport à leur vagin et réalise qu’elle n’est pas la seule à avoir été éprouvée par la recherche de son vagin. La parole se libère rapidement, rendant les interviewé·e·x·s surexcité·e·x·s car personne ne leur avait jusqu’alors demandé d’en parler auparavant.
Eve Ensler retranscrit tous les noms qui lui ont été rapportés pour désigner le vagin : «pipi», «chatte», «foufoune», «pioupiou», «bonbon», etc. L’ouvrage se poursuit avec une série de questions posées aux femmes et dont l’autrice rapporte les réponses:
- Si votre vagin était habillé, que porterait-il? Exemples de réponses: un béret, un boa rose, des sequins, uniquement de l’Armani (etc.)
- Si votre vagin pouvait parler, que dirait-il, en deux mots? Exemples de réponses : tout doux, c’est toi?, lèche-moi, encore, encore (etc.)
- Un vagin, ça sent quoi? Exemples de réponses : la terre, le gingembre sucré, la rose, le poisson, le paradis, le commencement (etc.)
En dehors de ces questions, l’on retrouve des récits de femmes sur leur vagin et de petites rubriques, nommés «vagins: les faits» qui proposent la biologie ou l’histoire du vagin. Je vous ai cette année parlé de Vagin Tonic, un immense coup de cœur qui m’avait permis de mieux m’approprier mon corps. Et bien Les Monologues du vagin sont la grand-mère bienveillante de tous ces ouvrages, une femme ridée et souvent qualifiée de sorcière, qui mérite qu’on se pose un instant auprès d’elle pour qu’elle nous livre son expérience.
«Nous avons devant nous un très long voyage. Ceci n’est que le commencement. […] Voici le lieu où s’affranchir des mythes, de la honte et de la peur. Voici le lieu où s’entraîner à dire le mot, parce que comme chacun[·e·x] sait, le mot est ce qui nous fait avancer et nous libère. VAGIN.».
Pour aller plus loin
Si cet article t’a plu et que tu as envie de prendre part à une réflexion sur le vagin (la vulve) renouvelée à partir de celle d’Eve Ensler, je t’invite à ouvrir ce formulaire et à répondre aux mêmes questions que celle des Monologues du vagin, afin de voir si le monde évolue, si l’on pourrait imaginer des «Monologues de la vulve 2.0.».