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Et pourquoi pas autrice, ou même auteurice ? (4/4)

Et pourquoi pas autrice, ou même auteurice ? (4/4)

Auteurice Erica Berazategui, 31 mars 2021
Illustrateurice Tom Wahli

Comment utiliser autrice  et auteurice?

Sombre constat que l’on a dressé jusqu’à maintenant sur notre langue. Vectrice et fondatrice du genre, elle peut nous paraître désuète pour notre société en mouvement.  On le sait, la langue présente de nombreux biais de genre. La langue actuelle oui, mais pas la langue elle-même.

En sociolinguistique, la notion d’état de langue ressort très souvent. Il s’agit de la langue parlée à un moment “x” dans un endroit “y”. Cela signifie qu’à un autre moment, la langue parlée n’était pas la même et donc, que la langue évolue et bouge. Notre langue française est extrêmement riche et nous présente nombre d’outils pour pallier ses effets négatifs. Par ailleurs, le problème de la langue n’étant absolument pas linguistique (paradoxal mais vrai), les solutions sont également à chercher ailleurs!

Pas de volontés de servir de guide d’écriture épicène ici; il en existe déjà suffisamment, et des formations la rendent accessible à tout le monde. Le but de cet article est de mettre en lumière les points négatifs et positifs des différentes solutions existantes.

Petit disclaimer : je ne suis pas spécialiste en linguistique, ni en psychologie, ni en sciences cognitives, ni en études genre.

Entre binaire et non binaire

La langue présente des effets néfastes quant aux genres et aux représentations que l’on s’en fait, c’est vrai. Elle présente cependant aussi l’avantage de ne pas être figée et d’être extrêmement malléable. On peut la manipuler à notre guise, pour qu’elle nous offre ce dont on a besoin, comme par exemple, des formes d’expression non-discriminatoires.

Commençons alors par les solutions de féminisation du langage. Cela consiste, en gros, à souligner la présence de femmes au sein d’un groupe ou simplement, signifier que l’individu dont on parle est une femme. On retrouve pour cela les signes de ponctuation, les tirets, les parenthèses ou mieux, le point médian, pour insérer l’accord au féminin. On obtient alors des formes telles que : les étudiant-e-s. Les doublons (ou la double flexion), comme les étudiantes et étudiants constituent également un moyen de féminiser la langue.

Bon début mais pas suffisant pour rendre notre langue neutre et totalement inclusive. En effet, comme le masculin générique induit des représentations masculines, une langue féminisée mais binaire va générer des représentations genrées et binaires ce qui induit à nouveau des stéréotypes. Bien sûr, cette manière de s’exprimer met le genre féminin en évidence mais cela reste très maladroit. D’une part, les signes de ponctuation minimisent la représentation des femmes au sein d’un texte, ou mettent littéralement entre parenthèses le genre féminin, avec l’usage de parenthèses. D’autre part, les personnes qui ne s’identifient ni à un genre ni à l’autre ou de manière fluide aux deux genres ne se voient pas incluses dans une telle forme d’expression. Par ailleurs, les doublons posent une autre réflexion: dans quel ordre doit-on les mettre, le féminin ou le masculin en premier?

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On va alors préférer les solutions de neutralisation du langage. Cela consiste à ne pas expliciter la composition de genre d’un groupe ou de ne pas signifier le genre de l’individu en question. Pour arriver à cela, on aura recours à des termes ou expressions épicènes, neutres, des pluriels etc. On observe également des signes de ponctuation avec l’ajout du x. Les formes que l’on retrouve sont alors similaires à les étudiant-e-x-s ou encore le corps estudiantin.

On commence aussi à voir fleurir des néologismes: il s’agit de termes considérés comme nouveaux mais dans ce cas, ce qui nous intéresse, c’est qu’ils ont avant tout été créés par nécessité. Dans ce cadre, on trouve par exemple les lecteurices, formé à partir de lectrices et lecteurs, ou encore ielles, formé à partir de ils et elles. Les néologismes présentent de multiples avantages: il n’y a pas de choix quant à l’ordre des doublons, les désavantages de signes de ponctuation ne sont plus en jeu et les éventuelles tournures de phrase au pluriel sont simplifiées. Par ailleurs, les néologismes peuvent s’utiliser à l’oral, à l’instar des autres solutions qui demandent d’autres transformations pour être appliquées oralement. Lecteurices ou ielles sont lisibles d’un trait tandis qu’une forme avec des signes de ponctuation rend la lecture d’un texte peu fluide.

Au fond, une simple question d’habitude

Cette nouvelle manière de s’exprimer est née sans que personne n’analyse le langage ou le décortique. Au contraire, ces formes sont naturelles, dans la mesure où on les comprend très facilement. Elles sont tout aussi naturelles que courriel, qui est un néologisme qui provient des termes courrier et mail. Nous nous sommes toutes et tous habitué-e-s à courriel, alors pourquoi pas ielles ? Sans doute parce que le problème n’est pas d’ordre linguistique mais plutôt sociétal. Et on peut même laisser tomber tous nos doutes: la langue ne pose pas de barrières à une forme d’expression non-genrée. Un texte sans trace de genre reste un texte lisible, compréhensible et dont les informations seront retenues, n’en déplaise à l’Académie Française qui considère l’écriture inclusive comme un danger mortel pour la langue française.

La seule barrière que l’on pourrait envisager n’en est, au fond, même pas une. Le temps d’adaptation à ces solutions n’est certes pas des moindres, mais tout comme nous nous sommes toutes et tous habitué-e-s à courriel et tout comme entre les XVIème et XVIIème siècles les noms de métier ont été masculinisés, les changements langagiers sont acceptés par la société, au fur et à mesure d’une utilisation de plus en plus fréquente.

Les solutions en lien direct avec la langue ne concernent pas uniquement les manières de construire la langue, elles peuvent également concerner le graphisme de la langue en tant que tel. Un étudiant de la Haute École d’Art et Design (HEAD) de Genève s’est penché sur la calligraphie au croisement de l’écriture inclusive. Pour son travail de fin de Bachelor, Tristan Bartolini a mis sur pied une typographie inclusive et non-genrée. Se basant sur les symboles préexistants de la langue, il les a fusionnés pour arriver à des symboles comme ceux-ci:

A l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de savoir si les symboles créés par Tristan sont viables. Son idée brillante n’a pas été soumise aux regards de spécialistes en sémiotique ni à des linguistes. Cependant, ce sont uniquement les prototypes qui mériteraient une analyse linguistique, l’idée en tant que telle ne demande qu’à être mise en œuvre. Une utilisation à grande échelle n’a pas non plus été réalisée, ce qui pourrait témoigner de l’aptitude de cette solution à être appliquée.

On fonce!

Le fond du problème n’est donc pas linguistique, au contraire, nous avons tous les outils en main pour modifier notre manière de nous exprimer. Le fondement de ce problème se trouve ailleurs, il est alors nécessaire de chercher des solutions également autre part.

Si à la base nous sommes “coincé-e-s” dans cette langue genrée et binaire, c’est parce que nous l’avons assimilée. Nous avons écouté notre environnement puis nous avons sorti un langage pour que nos semblables nous comprennent. Durant ce processus, les stéréotypes de genre ont été assimilés, inconsciemment.

Comme pour une mauvaise habitude, il est tout à fait possible de s’en défaire. Le meilleur moyen de modifier notre manière de parler est, d’abord, de prendre conscience du problème et de ses conséquences, de tester, peut-être se tromper, s’adapter et finalement, s’habituer. Au début, cela peut paraître insurmontable mais une fois plongé-e-s dedans, c’est l’inverse qui nous paraît étrange.

On pourrait alors renverser la donne et commencer par offrir aux enfants une langue non-genrée et non-discriminatoire, qui serait assimilée et ainsi de suite. Ça paraît simple dit comme ça, mais c’est (un poil) plus complexe. Cela demande aux parents et à tout le système scolaire de se repositionner et de modifier leur(s) communication(s). Mais après tout, tant les parents que nos enseignant-e-s et les auteurices des manuels scolaires utilisent aujourd’hui, ou ont utilisé le terme courriel non?

Les médias ont accepté par le passé également accépté l’utilisation de termes comme courriel apparus au cours de l’évolution de notre langue. Ils sont, comme la langue elle-même, un reflet de notre société, tout en ayant un pouvoir d’influence sur elle. On valorise encore aujourd’hui l’objectivité, voire la neutralité, comme compétence journalistique et on attend donc des médias de nous transmettre une image neutre, objective et représentative de notre société. Mais alors comment prétendre être neutre et représentatif-ve-s d’une société aussi diverse que la nôtre en utilisant systématiquement le masculin générique et des pronoms binaires? Appelons nos médias à être plus représentatifs de la diversité de notre société.

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Histoire, construction du genre, médias, éducation, et même discussions autour d’une bière: les débats autour de l’écriture inclusive se retrouvent partout. Le chemin est encore sinueux et long mais avec les bons outils, la société va avancer. Finalement, la chose à garder en tête pour faire bouger la langue, c’est de pratiquer, de tester et de s’y habituer. Mais sinon, les règles à suivre, c’est… rien. Enfin si, disons que les formes que vous choisissez pour vous exprimer doivent rester dans le compréhensible pour nos interlocuteurices mais c’est en gros tout ce à quoi vous devez faire attention. La langue française est certes l’une des langues les plus figées depuis des siècles, mais peu importe. C’est à la langue de s’adapter à sa société en fonction de ses besoins. Les soi-disant normes linguistiques qui nous sont inculquées et présentées comme immuables, ne restent que ça: des soi-disant normes liées à un lieu et à une période. Elles ne doivent pas constituer un frein à l’évolution de la langue, qui ne demande qu’à s’inscrire dans notre société actuelle.

Cette série sur la langue et le genre s’achève après avoir parcouru brièvement l’histoire de la langue en France ainsi que les premiers mouvements féministes, démontré en quoi la langue actuelle présente des biais de genre, évoqué l’utilité de la linguistique dans la compréhension des normes de construction du genre et proposé des solutions tout à fait viables pour arriver à une expression générale qui soit plus neutre. Loin d’être complète, elle avait pour premier but d’offrir une vision générale du lien entre langue et genre et de sensibiliser les lecteurices de ces articles à cette problématique.

Pour les curieu-se-x-s

Binge Audio. , Parler comme jamais.

Catel, M., & Bocquet, J.-L. (2016). Olympe de Gouges (Casterman).

Chabaud-Rychter, D., Descoutures, V., Devreux, A.-M., & Varikas, E. (2010). Sous les sciences sociales, le genre (La Découverte). Husson, A.-C., & Mathieu, T. (2016). Le Féminisme (Le Lombard, Vol. 11).

Linguisticae—YouTube Viennot, E. (2017). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin (iXe ).

Viennot, E. (2018). Le langage inclusif : Pourquoi, comment (iXe).

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