Menu de l'institut
Menu du LAB

LE LAB

SoPhIE, le féminisme à l’UniGE

SoPhIE, le féminisme à l’UniGE

Auteurice Iris Bouillet, 26 avril 2018
Illustrateurice Lulupon

Illustrations par Lulupon

 

SoPhIE c’est la traduction du grec de « sagesse » (sophia), mais c’est aussi l’acronyme de Société pour une Philosophie Inclusive et Égalitaire, première association féministe étudiante de l’Université de Genève. Rencontre avec ses co-fondatrices.

SoPHIE, une association féministe d’étudiantEs en philosophie à l’Université de Genève a vu le jour en février 2017, suite au constat du «peu de représentation féminine dans le département de philosophie, et dans le domaine de la philosophie en général», comme l’explique  leur site internet. DécadréE part à la rencontre des co-présidentes et co-fondatrices de SoPhIE, Célia Favre et Iris Rivoire, toutes deux actuellement étudiantes en Master en philosophie à l’UNIGE.

D’où est venue l’impulsion de créer cette association ?

Célia Favre : Dans le cadre de mes études, je suis partie pour un semestre d’échange à Montréal. Ça m’a permis de me distancier de l’enseignement genevois et de l’aborder avec un regard plus critique. J’ai compris qu’à Genève, nous n’avions rien en terme de féminisme, alors qu’à Montréal j’ai suivi des cours avec une perspective féministe, ce qui n’avait jamais été le cas.

Dans les bibliographies données en cours, on nous présentait aussi des femmes, alors que celles de Genève étaient presque exclusivement masculines. Je me suis réellement rendue compte de ce manque et de cette inaction, quand je repense au comité femmes* dans l’association de philosophie à l’Université de Montréal, qui était très proactif et organisait plein d’événements.

Iris Rivoire : La deuxième impulsion, ça a été le FUGE (Festival Universitaire Genre et Égalité). Avec une autre camarade de classe on voulait tenir un stand de philo, mais pour pouvoir tenir un stand lors de cet événement, il fallait faire partie d’une association. On est donc allée voir le président de Phileas, l’association des étudiantEs en philosophie de l’UNIGE, pour qu’il soutienne notre projet. Il a refusé, et finalement, on a laissé tomber.

Après quelques péripéties, on a tout de même pu tenir un stand sans être soutenu par une association. Suite à cela, on est allée à l’assemblée générale de Phileas, car on voulait proposer d’exister en tant que comité au sein de Phileas, un peu comme le Groupe de Travail Genre avec la CUAE (Conférence Universitaire des Associations des ÉtudiantEs). Le climat n’était pas bienveillant et très contraignant, et à partir de là, on a décidé de créer SoPhIE. À l’été 2017, on a un peu oublié les vacances pour se concentrer sur la création de l’association. À la rentrée, on a eu notre première visibilité lors des Welcome Days de l’UNIGE.

 

L’impression du manque de représentation féminine, c’était quelque chose de particulier au département de philosophie ?

Célia Favre : Beaucoup de domaines sont touchés par la sous-représentation des femmes*, mais le cas de la philosophie est assez particulier. D’un côté, c’est une discipline qui fait partie de la faculté des Lettres, où les femmes* semblent être mieux représentées dans le corps enseignant. Mais la philosophie est un peu l’exception et est comparable aux disciplines scientifiques. Je pense que c’est notamment dû au fait que la méthode analytique utilisée en philosophie tente de s’apparenter à la méthode scientifique, et hérite donc des stéréotypes propres à ces disciplines. La raison, la sagesse, la réflexion et la rationalité sont toutes des vertus plutôt attribuées au genre masculin, alors qu’on associe les femmes avec l’émotivité, la subjectivité, le ressenti. Cette image stéréotypée de la femme est incompatible avec l’image stéréotypée du philosophe, imaginé comme un vieil homme blanc. La philosophie est donc à mon avis une discipline particulièrement touchée par les stéréotypes de genre.

Iris Rivoire : J’ajouterai que la philosophie telle qu’enseignée à Genève est peu ouverte sur les questions de féminisme. D’abord, comme l’a dit Célia, cette façon plus scientifique de l’aborder laisse moins de place à ce genre de questions, mais également, aucun professeur (il n’y a qu’une femme sur huit professeurEs) n’a fait le choix de nous proposer des cours à ce sujet.

Célia Favre : Aussi, c’est intéressant de voir qu’au sein-même de la philosophie, les branches sont également marquées par les stéréotypes de genre. La métaphysique, c’est considéré comme masculin, et l’éthique, plutôt féminin.

 

Ce manque de représentation que vous observez chez les professeurEs, est-il également présent au niveau des étudiantEs ?

Célia Favre : Non, justement. Du bachelor au master, la répartition femmes-hommes semble être relativement équitable. Mais c’est au niveau des doctorantEs, maîtres-assistantEs et professeurEs que l’écart se creuse. Cet écart est lié à de nombreux facteurs, mais il y a sans aucun doute un problème structurel. Pour se pencher sur un des facteurs, il y a le phénomène en psychologie sociale de la «menace du stéréotype». En fait, il s’agit d’observer l’effet qu’un stéréotype peut avoir sur la personne visée par celui-ci.

C’est l’idée qu’une femme* peut adopter, intégrer, les stéréotypes à son égard, et par-là même influer la manière dont elle agit. Ce sont des peurs inconscientes de vouloir confirmer un stéréotype de notre groupe social. Par exemple, les femmes sont éduquées pour être discrètes, ne pas déranger, ne pas occuper l’espace. Et on voit que majoritairement, dans nos cours, ce sont des étudiants qui participent, et lorsqu’ils le font, prennent comparativement des temps de parole plus longs. Cela, sur le long terme, peut créer un  manque de légitimité ressenti par les femmes* pour accéder à des postes à responsabilité. Il y a aussi un tel manque de modèles!

En ne voyant que des hommes occuper ce genre de postes, on peut se demander en tant que femme* ce qui justifierait notre présence. A titre d’anecdote, et pour conjuguer ces deux exemples, lorsque j’ai commencé à suivre le cours de métaphysique, je suis partie d’emblée avec l’idée que ça serait difficile pour moi et que je ne comprendrais pas. J’ai toujours pensé que j’étais mauvaise dans les domaines plus “scientifiques”.

Ce sentiment s’est renforcé quand je voyais mes amis garçons très à l’aise et confiants. Lorsqu’on a révisé ensemble, ils se moquaient gentiment de moi en me demandant pourquoi je ne participais pas plus, et m’expliquaient certains cours avec une telle assurance que je me sentais encore plus nulle. Je ne le savais pas encore mais j’expérimentais la menace du stéréotype. Finalement, j’ai obtenu une meilleure note qu’eux à l’examen.

Iris Rivoire : Je pense qu’un autre facteur qu’on peut relever, c’est ce système de «copinage», en plus de la solidarité masculine qui fait que les hommes seront plus soutenus par leurs homologues. Les places de doctorat seront plus accessibles à des personnes qui s’entendent bien entre elles, ou en tout cas, qui entretiennent une bonne relation avec des professeurs par exemple. Et comme l’a dit Célia, les hommes se sentant plus légitimes, ils iront plus facilement discuter avec les autres professeurs, et dû à cette solidarité, se sentiront plus à l’aise pour faire des demandes spéciales.

Pour pallier ce déficit féminin, l’Université de Genève a mis en place des solutions, en lançant par exemple le programme «Professeures» afin de promouvoir la succession d’une femme à un poste occupé par un professeur sur le point de partir à la retraite. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Iris Rivoire : Je pense que ce sont des solutions intéressantes, et qui contribuent à donner plus de chances aux femmes* à l’université. Pourtant, ce n’est pas seulement avec des actions pour plus de parité qu’on résoudra le fond du problème. Il peut très bien y avoir une majorité de femmes*, mais qui font l’objet d’agressions quotidiennes, ou sont victimes de comportements sexistes. De plus, il faut être prudentE lorsqu’on mène des actions visant à «favoriser» des femmes* pour un poste à haute responsabilité. Cela peut renvoyer l’image (bien évidemment fausse) d’une discrimination positive et contribuer à renforcer davantage le sentiment d’illégitimité pour une femme*.

 

Alors, qu’est-ce que vous proposez comme solutions, quelles sont actuellement les actions de votre association ?

Célia Favre : Pour renvoyer à ce qu’on disait au sujet de la parité, notre priorité est d’abord de créer un climat favorable et bienveillant pour toutEs. Dans cette idée, on a repris la pratique déjà existante au Royaume Uni et en Allemagne d’une «Good Practice Guideline», une sorte de guide de bonne conduite qui a été lancé par la SWIP (Society for Women In Philosophy), des sociétés de femmes* qui tentent d’améliorer la situation de la philosophie sur un plan national. La SWIP en Suisse s’est créée en septembre 2017 et est localisée à Berne. On voudrait donc reprendre les modèles des SWIP UK et SWIP Germany, où sont abordés plusieurs points comme les biais de genre, la question de la représentativité des femmes* dans les bibliographies et les conférences, le harcèlement sexiste et sexuel, les relations profs-élèves, l’abus de pouvoir, etc. Ce texte servirait aux départements de philosophie dans toute la Suisse et contribuerait d’une part à créer un contexte bienveillant, d’autre part à permettre aux élèves de se référer à une base écrite, à quelque chose de concret. Avec SoPhIE, nous avons aussi commencé à rédiger une bibliographie avec des femmes* philosophes. Ca nous tient vraiment à coeur, car même moi, lorsque j’étais en fin de bachelor, j’étais incapable de citer cinq femmes* philosophes!

Iris Rivoire : On veut également envoyer une demande au département, pour laquelle on est en train de récolter des signatures, dans le but de créer un cours d’introduction à la philosophie féministe à l’UNIGE. Et puis on met en place pour la rentrée 2018 des ateliers de sensibilisation sur le harcèlement dans le contexte universitaire, en partenariat avec le CELVS (Collectif d’étudiant-e-s en lutte contre les violences sexistes et le harcèlement sexuel) et le Service Égalité. Les nouveauxELLES étudiantEs pourront participer en tant que groupe de 20-25 personnes et interagir avec des intervenantEs spécialiséEs qui aborderont ces questions. Cette idée nous est aussi venue suite à l’affaire Weinstein, parce qu’on entendait souvent des remarques comme  «on ne peut plus rien faire avec une femme sous peine d’être accusé de sexisme», et que «la limite avec le harcèlement était devenue trop floue». Ces workshops permettraient de montrer que non, il n’y a pas de zone grise, ce qui est défini comme «harcèlement» est très clair et peut être expliqué.

Célia Favre : Enfin, nous avons deux publications mensuelles, La Philosophe du mois, dans laquelle nous présentons des philosophes femmes* pour les visibiliser, ainsi que L’étudiante du mois, qui dresse le portrait d’une étudiante en philosophie afin de montrer leurs parcours divers et variés.

 

Un petit mot de la fin ?

Iris Rivoire et Célia Favre : On est très motivées à faire avancer cette association, à créer des événements et à visibiliser notre combat. On remercie aussi les associations qui nous ont soutenu et continuent de nous soutenir, le CELVS, la CUAE et le GT Genre, la vice-doyenne des lettres Yasmina Foehr-Janssens, l’AEEG (l’association des étudiantEs en études genre).

* incluant les personnes trans*, queer, non-binaires.

 

Prochainement:

Cycle de conférences féministe aux Bastions du 23 au 27 avril, en partenariat avec le CELVS

 

Restez au courant de nos actualités:

S'inscrire à la newsletter

Recevez nos outils contenus media:

S'abonner à la boîte-à-outils