Photo par Chris Boland
Écrivaine nigériane acclamée internationalement pour ses romans, Chimamanda Ngozi Adichie s’est récemment illustrée en défendant publiquement la cause féministe. Tout particulièrement en 2012 lors d’une conférence, Nous sommes tous des féministes, publiée par la suite en livre. S’en suivra la publication d’un manifeste pour une éducation féministe en 2017: Chère Ijeawele.
Chimamanda Ngozi Adichie est l’auteure de plusieurs romans à succès et primés plusieurs fois; comme Americanah, qui raconte l’histoire de deux nigérians immigrés en Europe et en Amérique, ou L’hibiscus pourpre. Ses livres présentent des personnages féminins complexes et souvent en proie à des situations sexistes ou inégalitaires. La sensibilité de l’auteure aux problématiques de genres s’est ensuite confirmée lors d’une conférence en 2012 au titre révélateur : Nous sommes tous des féministes. Le succès a été si important et la conférence vue tant de fois qu’une version livre en a été tirée. En 2017, Chimamanda Ngozi Adichie publie un nouvel ouvrage sur la même thématique, et défendant en particulier une éducation féministe. Chère Ijeawele est une lettre à une amie qui lui demandait conseil pour éduquer sa fille de manière féministe, et qui se traduit en un manifeste de quinze suggestions.
L’auteure est originaire du Nigéria, où elle naît en 1977. A l’âge de dix-neuf ans, elle part étudier la communication et les sciences politiques aux États-Unis. Elle complète son cursus avec un Master en Creative Writing à l’université de Baltimore, qui lui permet de publier son premier roman en 2003 : L’hibiscus pourpre. Succès public et critique, le livre reçoit le prix du meilleur premier roman au Commonwealth Writers’ Prize, qui récompense un écrivain du Commonwealth ayant publié son premier livre. Ses romans suivants, L’autre moitié du soleil, Autour de ton cou et Americanah connaissent également un très grand succès, aussi bien au Nigéria que dans le reste du monde. Elle partage désormais son temps entre les États-Unis et le Nigéria, où elle enseigne l’écriture.
Nous sommes tous des féministes
Alors qu’elle est déjà auréolée d’un succès international pour ses romans, l’écrivaine prend la parole lors du TEDxEuston à Londres en 2012. Ces présentations, destinées à diffuser à un large public des idées qui «valent la peine d’être partagées» comme l’organisation TED le décrit, cadrent parfaitement avec le sujet choisi par l’auteure : le féminisme. Son plaidoyer connaît un succès important et a été, selon un article du Monde datant de 2016, déjà visionné des millions de fois. Publié en version papier en anglais, il sort en français en 2015, sous le même titre que sa conférence TED : Nous sommes tous des féministes.
Le texte reprend presque mot à mot le discours de Chimamanda Ngozi Adichie, et part du constat que le féminisme est toujours d’actualité et nous concerne touTEs. Pour ce faire, elle part d’expériences personnelles inégalitaires qu’elle a vécues ou dont elle a été témoin durant différentes étapes de sa vie. De la fois où elle a donné un pourboire à un voiturier et que ce dernier a remercié l’homme qui l’accompagnait, car il pensait qu’une femme ne pouvait avoir d’argent que grâce à un homme. Du fait que les femmes ne peuvent pas entrer dans certains club de Lagos, mégalopole nigériane, sans être accompagnées. Ou de son premier cours d’écriture qu’elle devait donner et où elle a choisi de porter des vêtements plus austères de peur de ne pas être prise au sérieux.
Mais un des exemples les plus marquants est celui du choix du chef de sa classe en primaire, lorsqu’elle avait neuf ans. L’élève qui obtenait la meilleure note recevrait ce rôle convoité, et ce fut elle qui arriva première. Cependant, les choses ne se passèrent pas comme prévu, comme elle l’explique dans son livre : «Puis, à ma grande surprise, la maîtresse a déclaré que le chef de classe devait être un garçon. Persuadée que cela coulait de source, elle avait oublié de nous le préciser. C’était un garçon qui avait eu la meilleure note après la mienne. Il serait donc le chef de classe.» Elle insiste sur l’absurdité de cette décision, en précisant que ledit garçon n’était pas intéressé par ce rôle de chef, tandis qu’elle l’était. Selon elle, nous sommes habituéEs à voir les hommes occuper des postes de «chef», à tous les niveaux, et cela paraît donc logique de continuer. Comme l’auteure le précise à la fin de cet exemple : «Si nous faisons sans arrêt la même chose, cela devient normal.»
Pour Chimamanda Ngozi Adichie, la majorité des injustices liées au genre découle de ces comportements intégrés dès l’enfance. L’éducation genrée plaçant les garçons en leaders naturels et forçant les filles à être sous-estimées est ainsi vivement critiquée par Chimamanda Ngozi Adichie. Pour elle, la femme n’est pas une menace pour l’homme, et n’a donc pas à être diminuée. De même, les garçons ne devraient pas grandir dans l’idée qu’ils doivent être «virils» et sans faiblesses. Pour parvenir à un monde plus équitable, l’auteure conclut : «[…] voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.»
Le féminisme nous concerne tousTES, car il nous touche tousTES à cause de cette éducation inégalitaire que nous avons intégrée et que nous continuons à reproduire une fois adulte, selon Chimamanda Ngozi Adichie. Comme l’anecdote du chef de classe l’a montré, les hommes subissent aussi ces comportements sexistes intégrés, et sont donc également concernés par le féminisme. Par ses nombreux exemples concrets, l’auteure souhaite démontrer dans cet ouvrage que le féminisme concerne des situations de tous les jours et qui peuvent arriver à chacunE.
Chère Ijeawele: manifeste pour une éducation féministe
C’est dans la continuité de cette réflexion sur l’éducation, et suite au succès de Nous sommes tous féministes, qu’est paru en 2017 le dernier livre de Chimamanda Ngozi Adichie : Chère Ijeawele. Cet ouvrage était à la base une lettre adressée à une de ses amies qui lui demandait des conseils pour élever sa fille dans le féminisme. Cette réponse fut ensuite publiée sous forme de manifeste, développé en quinze suggestions pour répondre au mieux à cette question.
Développant dans sa critique des assignations liées aux genres dès la plus petite enfance et qui se répercutent ensuite dans la vie adulte, l’auteure s’attaque à les déconstruire de façon plus spécifique dans chacun des quinzes points de son livre. Pour elle, il s’agit plus particulièrement de sortir de cette éducation qui place de façon systématique les filles, puis ensuite les femmes, dans des rôles «passifs».
L’exemple qu’elle développe dans sa troisième suggestion est particulièrement parlant. Elle y parle de la division nette entre les garçons et les filles dans les magasins de jouets. Le bleu et les jeux «actifs» (voitures, trains) pour les garçons, puis le rose et les jeux «passifs» (poupées) pour les filles. Chimanda Ngozi Adichie commente à ce sujet : «J’ai été frappée de voir à quel point notre culture commence tôt à façonner nos représentations de ce qu’un garçon doit être et de ce qu’une fille doit être. J’aurais préféré que les jouets soient rangés par catégories plutôt que par genre.». Pour sortir de ces assignations précoces, l’auteure donne comme conseil à son amie : «En refusant d’imposer le carcan des rôles de genre aux jeunes enfants, nous leur laissons la latitude nécessaire pour se réaliser pleinement. Considère Chizalum [la fille d’Ijeawele ndlr] comme une personne. Pas comme une fille qui devrait se comporter comme ci ou comme ça.»
Le reste de son manifeste s’applique donc à sortir des automatismes liés au genre transmis aux enfants, et particulièrement aux petites filles, que l’on place bien souvent dans la sphère domestique. Par exemple, l’idée qu’une femme – et non un homme – ne peut s’accomplir qu’à travers le mariage. Ou encore, dans son tout premier conseil, qu’une femme doit être définie uniquement en tant que mère et non en tant que «personne pleine et entière». Pour l’auteure, les hommes comme les femmes peuvent et doivent se partager les tâches normalement assignées comme «féminines». Les parents devraient s’occuper tous deux de leur(s) enfant(s), comme elle l’explique ensuite dans sa seconde proposition.
Pour se débarrasser de ces assignations inégalitaires, Chimamanda Ngozi Adichie conseille également à son amie d’encourager sa fille à devenir “active” et indépendante dans sa propre vie. D’apprendre à lire pour “comprendre et interroger le monde” et pour l’aider le reste de sa vie. Ou encore, d’apprendre à questionner les mots utilisés, qui sont le “réceptacle de nos préjugés, de nos croyances et de nos présupposés.” (à lire également sur ce sujet notre article sur le sexisme et la langue française).
Bien que ces conseils s’adressent à un parent dans le cas de l’éducation d’un enfant, ils concernent également le reste des adultes et notre société en générale. Le manifeste de Chimamanda Ngozi Adichie s’attaque à la déconstruction des assignations de genre encore largement appliquées par notre société. Assignations que l’on retrouve depuis l’enfance, et qui continuent à impacter la vie adulte de tous les individus, comme elle l’a démontré dans Nous sommes tous des féministes. A la suite de ce premier ouvrage, elle développe donc des solutions concrètes et applicables par n’importe qui dans Chère Ijeawele. Le but de l’auteure peut être résumé par une phrase à la fin de ce second livre, destinée à la fille de son amie mais qui s’applique à chacunE : « voici ce que je souhaite à Chizalum : qu’elle ait quantité d’opinions, et qu’elle les construise avec un esprit éclairé, humain et ouvert.»
Nous sommes tous des féministes. Gallimard. Collection Folio 2 €. ISBN : 9782070464586
Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe. Gallimard. ISBN : 9782072721977