La grève féministe de Genève est-elle uniquement celle des femmes?
Auteurice Sarah Mokbil, 20 juin 2023Femmes dans tous les domaines - Féminisme et intersectionnalité - Suisse

Le mercredi 14 juin 2023 a eu lieu la grève féministe en Suisse. A Genève, toute la journée, diverses activités ont été organisées dans plusieurs quartiers de la ville. J’ai participé à deux d’entre elles. Voici mon témoignage.
La majorité du temps, lorsque j’entends parler du féminisme, je constate que dans l’esprit des gens, cela se résume aux femmes qui se battent pour acquérir des droits que la société refuse encore aujourd’hui de leur accorder.
J’ai conscience que les femmes mènent un combat totalement justifié et légitime depuis des années pour abolir la misogynie et pour obtenir l’égalité des sexes.

Pourtant, en tant que personne non-binaire, je n’arrive pas à me retrouver dans cette définition du féminisme. J’ai évidemment connaissance de l’existence des mouvements féministes qui incluent dans leur combat les personnes trans et non-binaires. Malgré cela, j’ai toujours la sensation que pour la majorité de la population, le féminisme concerne uniquement le combat contre la misogynie. Cette sensation est confortée par la non-reconnaissance de l’existence de la non-binarité de genre que je subis au quotidien et qui cause en moi le profond sentiment que je n’ai aucun droit d’exister, de vivre ni de m’épanouir en tant que personne non-binaire.
C’est pourquoi ce 14 juin 2023, en fin de matinée, je n’avais aucune attente particulière en allant à la réunion tupperware organisée par le collectif genevois de la grève féministe. J’avais simplement envie de découvrir le témoignage des «femmes».

Un féminisme sans la non-binarité de genre?
Comme je m’en doutais, toutes les personnes présentes à cette réunion étaient des «femmes» ou du moins perçues comme telles. Avant la présentation des personnes animatrices de la réunion, je m’attendais donc à entendre un «Bonjour à toutes» en introduction. Mais non, à ma surprise nous avons eu droit à un «Bonjour à toustes». Cette petite phrase m’a permis d’éprouver la légitimité de mon existence, et m’a donné le sentiment d’être en sécurité et à ma place dans cette réunion féministe.
Lors de cette réunion conviviale, inclusive et surtout confidentielle, nous avons formé plusieurs petits groupes afin de discuter pendant une heure de sujets en lien avec l’une des thématiques proposées qui nous intéressait.
J’ai particulièrement apprécié l’importance de respecter le temps de parole de chacune des personnes et la confidentialité des discussions. C’était pour moi une belle manière de nouer un échange de confiance dans un espace sécurisé.
J’ai également été agréablement touché-e de me confronter lors d’une conversation à une adolescente qui s’apprêtait à me désigner avec le pronom «elle», mais qui a finalement choisi de me désigner plutôt avec mon prénom. Je précise que lors de notre présentation nous avions uniquement indiqué notre prénom et non nos pronoms. Avec mon apparence plutôt féminine, il aurait donc été assez logique qu’elle s’imagine que je suis une femme.

Des revendications diversifiées
Dans l’après-midi, sous un soleil radieux, plusieurs personnes se sont rassemblées sur la scène de Plainpalais pour assister aux spectacles artistiques de féministes venu-e-x-s partager leurs messages. Chacune de ces personnes, par le slam, le chant, le poème, les discours et leur corps et expression de genre ont dénoncé le sexisme, le racisme, l’islamophobie, la transphobie et l’enbyphobie*. Dans une ambiance festive et militante, femmes, personnes non-binaires et hommes partageaient un moment privilégié durant lequel, chaque féministe exprimait ses revendications. Si plusieurs groupes de femmes dénonçaient les discriminations et violences dans leur pays respectif, d’autres fustigeaient le sexisme et le racisme qui leur sont infligés en Suisse. Nous avons également entendu les revendications de personnes trans, non-binaires et queers. Sans oublier les réclamations d’étudiant-e-x-s qui, tout comme les adultes, en ont plus qu’assez que leurs besoins et leur genre soient ignorés ou niés. Des paysannes étaient également présentes afin de donner de la visibilité aux femmes qui travaillent dans l’agriculture.
Me retrouver dans cet environnement artistique, militant, festif et inclusif m’a procuré un sentiment de bien-être. Si je n’irai pas jusqu’à dire que je me sens légitime de me désigner comme féministe depuis la grève du 14 juin 2023, j’ai désormais au moins pleinement conscience que lors de la grève féministe il est possible de voir un grand nombre de personnes qui font grève pour revendiquer les droits de nous touxtes, et pas uniquement ceux des femmes.
Photos1&2: BettinaJacot-descombes
*Enbyphobie:
- L’enbyphobie est la discrimination et la violence systémique envers les personnes non-binaires.
