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Et pourquoi pas autrice, ou même auteurice ? (1/4)

Et pourquoi pas autrice, ou même auteurice ? (1/4)

Auteurice Erica Berazategui, 11 mars 2021
Illustrateurice Tom Wahli

Au XVème siècle, on le disait! Alors, pourquoi a-t-on de la peine aujourd’hui?

Non, l’écriture inclusive ne souille pas une langue. C’est pourtant ce que croit une part de la population aujourd’hui. Pour ce qui est du français, la langue était inclusive il y a quelques siècles. Des opérations menées par des institutions politiques ont abouti à la rendre exclusivement masculine. Pour ce premier volet d’une série de quatre articles sur la langue et le genre, nous allons retracer les (très) grandes lignes de l’évolution de la langue en France et tirer un parallèle avec les mouvements féministes depuis les XVème-XVIème siècles.

Petit(s) disclaimer(s) : premièrement, je ne suis pas spécialiste en linguistique ni en études genre. Deuxièmement, il est toujours très délicat de s’avancer à propos de linguistique historique, étant donné que les sources ne sont que très rarement des sources représentatives. Les sources disponibles actuellement sont en majorité des documents de l’administration ainsi que des textes littéraires, ce qui ne nous renseigne pas vraiment sur la langue parlée réellement. On ne peut donc que poser des hypothèses. Enfin, on parle ici du rapport entre le territoire/l’État français avec la langue française car il est très particulier et marqué. Par rapport à ce débat sur la langue française, les autres États (en partie ou totalement) francophones (la Suisse, la Belgique, le Canada, certains pays d’Afrique centrale/du Nord) ont des positions différentes, bien moins radicales.  Cependant, les décisions de ce gouvernement quant à la langue influencent -dans une certaine mesure- tout le monde francophone.

Avant et pendant le XVIème (1500/1600)

Au niveau de la langue parlée, l’on observait la féminisation générale du lexique et l’accord de proximité. Celui-ci consiste en l’accord de l’adjectif avec le nom qui se trouve géographiquement le plus proche dans la phrase. Il aurait alors été tout à fait commun d’entendre des phrases telles que «Le bâtiment jaune et la maison rose sont hideuses.». On retrouvait  également des noms de métiers au féminin tels que philsophesse ou autrice. De manière générale, la féminisation de la langue ne posait alors pas de problème à quiconque. Tout le monde se portait bien vis-à-vis de cela, du moment que la compréhension était de mise.

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Difficile alors, de parler de normes linguistiques pour une époque et un territoire qui voyaient un nombre incalculable de langues et de patois cohabiter et se mélanger. Chacun-e s’exprimait comme bon lui semblait.

Cependant, l’on peut noter le premier événement majeur concernant la langue en France. En 1539, un texte de loi, l’Édit de Villers-cotterêts (Assemblée nationale – Histoire : Ordonnance de Villers-Cotterets)  est produit, avec énormément d’objets traités. Parmi eux, la question de la langue est abordée. Il ne s’agit pas du premier texte législatif abordant la langue mais du premier à avoir quelques effets. La volonté de cet écrit est de placer le français en tant que langue du royaume et, petit à petit, de nettoyer le territoire des langues régionales.

Concernant les questions féministes, il n’y en avait que très peu. Les occupations et préoccupations se trouvaient ailleurs. L’’important était plutôt de savoir s’il y avait suffisamment de patates pour toute la famille.

XVIIème et XVIIIème siècles (1600-1800)

On l’a vu, les diverses langues du territoires français se portaient très bien, cohabitaient sans encombre, malgré leur nombre, et personne n’en était dérangé. Le pouvoir en place commençait par contre doucement à s’intéresser à la langue de son patrimoine. C’est alors durant les XVIIème et XVIIIème siècles que la situation tourne pour de bon au vinaigre.

Du côté de la linguistique, on observe un phénomène de politisation de la langue. Cela passe en premier lieu par la création en 1635 de l’Académie française. Il s’agit d’une institution étroitement liée au pouvoir, fondée afin, entre autres, de mettre en œuvre ce mouvement de «nettoyage» de la langue française. Les patois sont violemment et radicalement balayés au profit de «la langue de France», le français. C’est en tout cas ce qui est voulu mais probablement pas ce qu’il s’est réellement produit. En effet, il est impossible, rien que pour des raisons logistiques et de temps de transmission des informations, mais aussi pour des questions linguistiques, de modifier une langue en un claquement de doigt (ni deux). La langue est un objet qu’on ne peut pas contrôler. Elle est en mouvement perpétuel et s’adapte en fonction des besoins des ses utilisateurices. Vouloir modifier et contrôler une langue est totalement illusoire.

Cette Académie existe encore à l’heure actuelle, toujours aussi proche du pouvoir. La création de l’Académie ne signifiait cependant pas (encore) masculinisation du langage. La féminisation de la langue commence petit à petit à être remise en question mais cet aspect n’a pas été évincé de la langue. Défendue au contraire par certains -et pas certaines car il est évident que les femmes n’avaient pas leur mot à dire au sein d’une institution si proche du pouvoir-, il est vrai que l’on commence à apercevoir des arguments tels que le genre masculin est plus noble que le féminin et donc, qu’il l’emporte. L’accord de proximité se voit encore utilisé de temps en temps, par Racine par exemple. Les termes accordés au féminins sont encore observés dans certains textes de fervents partisans d’une langue représentative du peuple.

Claude Favre de Vaugelas (1585-1650), l’un des 6 premiers membres de l’Académie française

Valentin Conrart (1603-1675), premier secrétaire perpétuel de l’Académie française

Antoine Furetière (1619-1688), l’un des 6 premiers membres de l’Académie française

La Révolution française (1789) marque un tournant décisif pour la langue: cette dernière est dès lors vue comme un outil qui aurait le pouvoir de renforcer le sentiment d’unité et d’appartenance nationale. Le pouvoir prend alors pleine possession de la langue et renforce la vague de nettoyage de la langue, ce qui passait définitivement par le masculin dominant. La langue devient alors un instrument au service de l’autorité, composée alors exclusivement d’hommes blancs plutôt âgés. Sans. Blague.

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La Révolution française marque également un virage pour la lutte féministe. Enfin pas tout à fait un virage mais plutôt un commencement. Souvent considéré comme le déclencheur des revendications féministes, ce mouvement historique exclut les femmes du concept de citoyenneté. La colère commence alors à monter. Olympe de Gouges (1748 – 1793) se manifeste avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791). Exigeant le droit de vote et l’accès au statut de citoyenne, ses positions n’ont malheureusement pas fait l’unanimité puisqu’elle finira guillotinée.

Cette période marque donc la mise en application radicale de la politisation de la langue, en tant qu’instrument de contrôle et de pouvoir. On y observe également les  premières revendications féministes en France. Il pourrait s’agir d’un hasard total que ces deux phénomènes prennent place en même temps mais une corrélation n’est pas impossible. Bien sûr, cette corrélation n’est pas fermée. Elle rentre plutôt dans un changement radical de société.

XIX et première moitié du XXème (1800-1950)

Côté linguistique, le masculin l’emporte sur le féminin et la langue devient plus politique que ce qu’elle n’était auparavant. Nous sommes maintenant en mesure d’avancer le terme masculinisation car les diverses interventions linguistiques allaient dans ce sens. Elles étaient effectuées par des institutions au service du pouvoir qui s’opposaient formellement à l’égalité des sexes. Les noms de métiers et de fonctions n’étaient alors pas du tout féminisés. Pourquoi ? Simplement parce-que les femmes n’étaient pas dignes d’occuper des fonctions telles qu’autrice ou, plus simplement, celle de citoyenne. Alors, ces termes n’avaient aucune raison d’exister puisqu’ils désignent un concept inimaginable. Simple et efficace pour gommer la moitié de la population.

Émerge alors en parallèle ce qui est considéré comme étant la première vague féministe. En 1804, le code civil de Napoléon Bonaparte fait suite à la Révolution française et évince les femmes du droit de citoyenneté. Revendiquant alors le droit de vote et l’égalité au niveau publique et souhaitant rendre aux femmes leur statut de personnes majeures, il s’agit d’une vague d’émancipation de la femme au niveau de ses droits civils.

Légende : Hubertine Auclert (1884-1914), figure du féminisme française du début des années 1900

Encore une fois, il pourrait s’agir d’un hasard des plus total que plus la langue se voit confinée (sans masque à l’époque) par des hommes de pouvoir, plus les femmes commencent à vouloir se faire entendre. Ce hasard est sans doute peu probable. Et, encore une fois, il ne s’agit pas d’un lien de cause à effet mais de changements qui s’inscrivent dans une société en mouvement.

Seconde moitié du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui (1950- )

Même si ça commence à devenir long et redondant (ils sont où les plot-twists ?), le masculin l’emporte encore sur le féminin. Pas plus tard que le 23 février 2021, un texte visant à interdire l’écriture inclusive dans l’administration a été soumis à l’assemblée nationale. En 2017, l’Académie française affirmait (et n’a pas démenti depuis !) que l’écriture inclusive est un «péril mortel» pour la langue française. Sombre constat. Mais si l’on s’y penche à peine plus, on s’aperçoit que ce texte a été déposé (bien que signé par des femmes) par un député, et que l’Académie française est toujours intrinsèquement reliée au pouvoir en place. Et qu’elle est composée d’une majorité d’hommes avec des pensées quelque peu archaïques et conservatrices. Pas très étonnant alors d’avoir à tirer un tel bilan.

Pour ce qui est du féminisme, une deuxième vague fait son apparition et se cristallise dans bien des domaines, en se croisant notamment avec d’autres causes. Plusieurs courants féministes émergent, se contredisent et s’emmêlent mais tous revendiquent l’égalité des genres à tous les niveaux. L’idée de langage épicène n’est pas vieille, cela fait tout au plus quinze  ans que ce terme est sur les lèvres du grand public. Il joue cependant des coudes et bouscule les normes de cette Académie qui n’a que faire de la réalité linguistique et des changements sociaux.

La langue française n’a donc pas toujours été telle que nous la connaissons aujourd’hui. Son état actuel est le résultat d’une politisation et de mouvements opérés, à l’insu de la langue parlée, par le pouvoir qui la détient. Les mouvements féministes émergent en même temps que la langue devient un instrument de pouvoir. Les revendications pour un langage neutre n’ont pas été la priorité des féministes de l’époque moderne (le droit de vote primait sans surprise) mais aujourd’hui, la société se rend compte du pouvoir de la langue sur les mentalités et les questions de genre. À suivre.

Pour les curieu-se-x-s

Binge Audio. , Parler comme jamais.

Catel, M., & Bocquet, J.-L. (2016). Olympe de Gouges (Casterman).

Chabaud-Rychter, D., Descoutures, V., Devreux, A.-M., & Varikas, E. (2010). Sous les sciences sociales, le genre (La Découverte).

Husson, A.-C., & Mathieu, T. (2016). Le Féminisme (Le Lombard, Vol. 11).

Linguisticae—YouTube

Viennot, E. (2017). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin (iXe ).

Viennot, E. (2018). Le langage inclusif : Pourquoi, comment (iXe).

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