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Free From Desire: asexualité et redéfinition des relations

Free From Desire: asexualité et redéfinition des relations

Auteurice Margaux Cardis, 28 avril 2022

Free From Desire est un podcast produit par Paradiso Media et créé par la journaliste asexuelle et aromantique Aline Mayard-Laurent. Dans cette série de 8 épisodes, elle raconte ses questionnements et réflexions autour de la communauté asexuelle. Mais qu’est-ce que l’asexualité et l’aromantisme? Comment la vivre et quel impact a-t-elle auprès des personnes qui, comme Aline, se considèrent comme tel? Free From Desire offre un aperçu de ces questions.

 

Quelques définitions

Qu’est-ce que l’asexualité? Celle-ci est défini dans Free From Desire comme «l’orientation sexuelle des personnes qui ne ressentent pas ou peu d’attirance sexuelle pour autrui». Le concept vient de David Jay, un activiste Américain asexuel qui, lors de ses études, désirait trouver un mot pour expliquer son ressenti et sa perception de son orientation sexuelle. C’est pourquoi il fonde en 2001 le site AVEN – Asexual Visibility and Education Network. Par ce biais, il souhaitait alors et encore aujourd’hui offrir un espace où les gens pourraient réfléchir à leur sexualité de manière flexible et sans s’imposer des étiquettes.

La nuance du «peu» dans la définition est donc primordiale car elle varie selon les personnes. De même, elle donne à voir la sexualité sur un spectre, permettant d’ouvrir les frontières de la perception de sa sexualité. Dès lors émergent des identités comme celle de graysexuel-le-x qui se situe sur le spectre sexuel entre l’asexualité et la sexualité et dont les attirances peuvent sortir de l’hétérosexualité ou encore celle de demisexuel-le-x, se caractérisant sommairement comme une attirance si et seulement si un fort lien émotionnel est établi.

En outre, à la définition de l’asexualité s’ajoute celle de l’aromatisme qui renvoie à «l’orientation romantique des personnes qui ne ressentent pas ou peu d’attirance romantique pour autrui.» Aline n’a jamais été amoureuse et se définit également ainsi. Ces différentes identités peuvent paraître complexes mais elles résultent d’un besoin de la communauté asexuelle et aromantique à se définir en dehors des contraintes de la société à la sexualité et de l’hyper-sexualisation.

 

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Les frontières du consentement

La libération sexuelle des années 60 a eu des conséquences positives de bien des manières, en donnant la possibilité aux femmes d’avoir une vie sexuelle active par exemple et de bénéficier de la contraception. Toutefois, elle peut devenir une espèce d’autoritarisme sexuel et une contrainte. Aline Mayard-Laurent relève que dès leurs plus jeunes âges, les enfants sont éduqués dans une dynamique hétérosexuelle. Elle fait remarquer qu’à l’école ou au collège, on apprend aux enfants des rites amoureux et des rôles selon leur genre. Aline en a fait l’expérience au collège. Du jour au lendemain, elle s’est sentie en décalage avec ses ami-e-x-s. Elle explique: «C’est comme si, tout d’un coup, les règles avaient changé sans qu’on me prévienne.» Ses amies ont grandi et s’intéressent aux garçons. Toutes les conversations tournent autour d’eux, des soutiens-gorge, d’épilation et de choses qui n’intéressent pas ou peu Aline. Pour la sociologue Gabrielle Richard, intervenante dans le podcast, l’école est un espace où les relations amoureuses prennent une place prépondérante car elles permettent de créer une cohésion sociale par le biais de fabulations hétérosexuelles. En d’autres mots, celleux qui arrivent le mieux à montrer leur intérêt pour l’hétérosexualité se retrouvent projeté-e-x-s en haut de la pyramide sociale et sont mieux accepté-e-x-s.

Dans son podcast, Aline Mayard-Laurent explique qu’arrivée au lycée, son angoisse grandit: «J’ai peur d’être entrée dans un cercle vicieux du retard, que chaque année, mon manque d’expérience devienne de plus en plus repoussant.». La peur d’être en retard par rapport aux autres découle du fait qu’on considère la perte de la virginité et la sexualité comme un rite de passage. La sexualité permettrait le passage au statut d’adulte. Cette pression implique pour un grand nombre de membres de la communauté asexuelles de ne pas avoir écouté son corps et d’avoir accepté de passer à l’acte.  Pour Angela Chen, autrice de What Asexuality Reveals About Desire, Society, and the Meaning of Sex et intervenante dans le podcast: «il y a une contrainte à la sexualité. Toute personne normale et en bonne santé éprouve de l’attirance sexuelle et cela s’appuie sur la contrainte à l’hétéronormativité. ». Elle poursuit en expliquant que ne pas avoir de goût pour la sexualité n’est pas moralement neutre. Personne ne désapprouverait un manque de plaisir à lire ou à pratiquer une telle ou telle activité.

En outre, une fois en couple, le risque d’être contraint-e-x-s à une activité sexuelle normative est d’autant plus marqué. Kate Wood, avocate australienne, membre d’une association et intervenante dans le podcast souligne qu’un grand nombre de personnes asexuelles s’est senti forcé d’avoir des relations sexuelles. Angela Chen déplore les conséquences de rapports d’expert-e-x-s ou d’études qui abordent la sexualité de manière quantitative. Il faudrait avoir x rapports sexuels par semaines et si dans un couple où tout se passe bien, il y en a moins, cela peut créer une insécurité.

Et les médecin-x-s dans tout ça ? 

Dans certains épisodes, Aline Mayard-Laurent revient sur la gestion de l’asexualité chez les médecins-x-s et autres professionnel-le-x-s de la santé. Il paraît important de rappeler que jusqu’en 2007, l’asexualité était considérée comme une maladie d’un point de vue psychiatrique dans les pays qui utilisent le DSM. Elle était décrite comme un trouble du désir sexuel hypo-actif dans le manuel de diagnostique et statistiques des troubles mentaux (DSM). Ce trouble est une manière particulièrement insidieuse d’entrer dans la relation intime entre deux partenaires, puisqu’il implique de prendre en considération la perception de l’autre partenaire. Pour le dire simplement, si un partenaire A estime qu’il n’y a pas assez de relation sexuelle dans le couple, le partenaire B est jugé comme potentiellement malade. On accorde beaucoup de poids à l’avis du partenaire A au détriment du ressenti de la personne asexuelle.

Le DSM est un ouvrage de référence en psychologie qui a de nombreux impacts dans nos sociétés. Par exemple, l’homosexualité y était illustrée comme une maladie, avant d’être retirée, il y a 30 ans. Grâce au travail de pression effectué par David Jay et son équipe, le trouble du désir sexuel hypo-actif disparaît du DSM dans son édition de 2013. L’asexualité reste considérée encore de nos jours comme une maladie alors que 1% de la population mondiale se considère comme tel. Sur le site de David Jay, on peut lire:

Asexuality is a growing subject of research in psychology, sexology, and other academic fields. While estimates for the asexual proportion of the population are limited and may vary, the most widely cited figure is that we are roughly 1% of the population.

Cette identité reste invisibilisée et non-déconstruite pour un nombre considérable de professionnel-le-x-s de la santé, ce qui ne favorise pas un suivi adéquat. Les psychiatres et autres thérapeutes cherchent encore, résultat d’une approche psychanalyste encore trop présente, à démontrer que l’asexualité résulterait d’un traumatisme sexuel refoulé. Ce serait la solution de facilité.

D’autres part, une majorité de médecins jugent l’asexualité sous le prisme d’un problème hormonal. Ce serait la deuxième raison à un manque de désir sexuel. Percevoir ainsi l’identité asexuelle revient à dire à l’individu que quelque chose est cassé chez lui, ce que déplore Aline Mayard-Laurent dans son podcast.

Le couple et l’hétérosexualité: les fondements de notre société 

Aline Mayard-Laurent s’interroge avec ses intervenant.e.x.s sur la question du célibat. Celui-ci est perçu à bien des égards comme un statut intermédiaire. La quête finale de chaque individu serait d’être en couple. La société pousse les gens à se marier et à fonder une famille dans une perspective hétérosexuelle de celle-ci. En effet, il y aurait comme un présupposé nataliste à chaque société occidentale: le devoir des individus qui compose un pays est de créer des enfants. Par ailleurs, on observe un certain nombre d’avantages offerts au couple, ce qui favorise la dynamique oppressive envers les célibataire-x-s. Dans Free From Desire, Aline Mayard-Laurent évoque un concept développé dans la communauté, celui de l’amatonormativité, selon lequel il serait préférable d’être en couple exclusif et d’être amoureux, ce qui crée une pression pour les célibataires en tout genre.

De plus, Angela Chen précise: «Quand on réalise que l’attirance sexuelle n’est pas une nécessité dans les relations romantiques alors tout le monde commence à se poser des questions: Ok, donc comment tu fais la différence entre ce que tu ressens pour ton ou ta meilleur-e-x ami-e-x et pour ta ou ton partenaire romantique ([…)]. Les sentiments jugés exclusivement romantiques peuvent se retrouver dans n’importe quelle relation.» À bien des égards, il est paradoxal d’attribuer autant de poids à la relation amoureuse, quand on considère que nos amitiés durent plus longtemps.

Ne plus distinguer et mettre sur un piédestal la relation d’un couple implique de s’interroger sur les autres relations entretenues qui peuvent nourrir une vie. Dès lors, les ami-e-x-s et les familles prennent une place prépondérante. Aline explique notamment s’être liée d’amitié avec Arielle et avoir créer un rapport de confiance très profond avec elle, au point que son amie prévoit une chambre pour elle dans sa nouvelle maison. Considérer toutes les relations sur un même pied d’égalité dont l’amitié implique de nourrir ces relations et de lui consacrer du temps, soit d’officialiser la relation amicale/platonique. La communauté aromantique et asexuelle peut parler d’une queer platonic relationship (QPR) dans toute sa multiplicité de définition.

Asexualité = zéro enfant? 

Être asexuel-le-x ne veut pas dire un non-désir d’enfants. Dans l’introduction de son podcast, Aline Mayard-Laurent annonce qu’elle va bientôt être une parent célibataire. Que ce soit en Suisse ou en France, où vit Aline, désirer un enfant alors qu’on n’est dans une relation autre que celle de l’hétérosexualité est difficile à réaliser, ce qui n’est pas nouveau. Quand bien même la Suisse a accepté en septembre dernier le mariage pour tous et donc l’accès à la PMA pour les couples de même sexe. Il n’en reste pas moins qu’il est particulièrement compliqué d’avoir un enfant quand on sort des schémas «classiques». Mais dans tout le podcast, Aline permet à sa-son auditeur-ice-x d’envisager la possibilité d’avoir un enfant dans d’autres conditions comme la co-parentalité. Elle raconte notamment que son amie Arielle a prévu une chambre pour elle et son enfant à venir. Elle cite par exemple le cas de David Jay qui s’occupe avec un couple de la fille de ses ami.e.x.s en couple. Il vit avec eux et la petite fille a trois parents pour jouer et s’occuper d’elle. Aline Mayard-Laurent fait intervenir dans son podcast la sociologue Kyle Myers. Cette dernière a écrit un ouvrage  Raising Them: Our Adventure in Gender Creative Parenting, suite à ses expériences parentales. Elle a refusé de donner un genre à son enfant en pratiquant le gender creative parenting. Cette méthode éducative permet de présenter aux enfants qu’iels ont toutes les options. L’enfant peut être asexuel-le-x, aromatique, gay, non-binaire. Tout est possible pour ellui, ce qui séduit particulièrement Aline Mayard-Laurent et qu’elle souhaite appliquer pour l’éducation donnée à son bébé.

Créer un réseau de références et une ouverture pour l’avenir

Pour son podcast, Aline Mayard-Laurent a interviewé un nombre certain d’intervenant-e-x-s, comme l’autrice Clémentine Gallot, la linguiste Aurore Vincenti, l’autrice et sociologue Angela Chang ou encore David Jay qui ont travaillé cette thématique. Ce faisant, elle crée un réseau de connaissances. D’autres part, son travail permet d’illustrer un besoin grandissant de se sentir représenté.e.x dans la fiction. L’apparition d’un personnage asexuelle dans la série Sex Education lui a fait beaucoup de bien, même si sa période du lycée est terminée.

Le podcast d’Aline Mayard-Laurent a le mérite de créer un espace de discussions et de libertés. Sortir de la contrainte sexuelle et du couple permet de redéfinir les relations et les liens entretenus entre les individus. Cela pourrait être inquiétant et anxiogène, mais Aline Mayard-Laurent nous accompagne avec douceur dans son cheminement de pensées, qui devient émancipateur d’oppressions à la fin du podcast. Tout n’est pas toujours rose, mais Aline Mayard-Laurent semble être heureuse en ayant enfin pu mettre des mots sur son asexualité et son aromantisme. Elle a pu s’émanciper de la contrainte à la sexualité et créer sa propre identité. En se libérant, elle offre d’autres perspectives à ses auditeur-trices-x-s, au point de se réjouir de ne plus être dans une telle dynamique oppressive. Se définir et comprendre son fonctionnement n’est plus effrayant et angoissant car cela nous éloignerait des autres et de la norme. C’en est exaltant!

Si l’envie vous prend de découvrir le magnifique travail d’Aline Mayarad-Laurent, voici le lien vers toutes les plateformes d’écoutes!

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