La politique des putes: le podcast d’Océan sur les travailleuses du sexe
Auteurice Nina Rast, 8 octobre 2020Illustrateurice
Le premier mars dernier sortait la deuxième série d’épisodes du podcast Intime & Politique proposé par Nouvelles Écoutes: «La politique des putes». Dans ce documentaire immersif, Océan donne la voix aux travailleuses et travailleurs du sexe (TDS), dont l’activité est constamment débattue en leur absence. Qu’est ce que ce travail représente pour elleux? A quels stigmates ces personnes doivent-elles faire face? Que revendiquent-elles?
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Celui que vous connaissiez peut-être sous le nom d’Océanerosemarie pour sa pièce de théâtre, La Lesbienne Invisible, nous offrait il y a quelques mois une web-série sur sa transition, sous le nom de son prénom choisi: Océan. Cette fois-ci, le comédien-metteur-en-scène-chroniqueur réalise un podcast documentaire avec des travailleuses et travailleurs du sexe, divisé en 10 épisodes thématiques d’une trentaine de minutes. En effet, la prostitution, tout comme le voile ou le racisme, sont des sujets énormément discutés dans les sphères publiques et politiques, mais les personnes concernées sont très rarement écoutées. Dans ce podcast «La politique des putes», ce sont justement les TDS qui se racontent. Les putes, c’est comme ça qu’elles s’appellent: un geste politique de réappropriation de l’insulte et d’empouvoirement. Bertoulle Beaurebec, Anaïs de Lenclos, Thierry Schaffauser, Morgane Merteuil, Sarah-Marie Maffessoli, Marianne Chargois, Mimi, Judith de Ta Pote Pute, Coleen, Mélusine, Kay, Alexandra, Giovanna Rincon, Charlie She, Kori, Ravane et Claudia Anjos sont ou ont toutxes été TDS et témoignent de leurs expériences diverses. Indispensable pour comprendre la précarité subie en raison de leur travail. Victime de trafic humain, ancienne cadre d’entreprise, étudiante, acteur porno et femmes trans, iels forcent à reconnaître que la prostitution n’est pas a priori «la pire des violences sexistes, un fléau qu’il faut à tout prix éradiquer», une opinion que Lauren Bastide présente au début du podcast, car le travail du sexe est un travail hétérogène, dont la précarité est souvent liée à l’intersection de nombreuses discriminations. C’est justement dans une approche dite intersectionnelle qu’Océan réalise ce podcast, en prenant en compte les diverses discriminations vécues par les TDS et l’imbrication de celles-ci.
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Migrantes, trans et femmes racisées, certaines TDS font face à la xénophobie, au racisme, à la transphobie et la putophobie. Ces violences systémiques que les TDS subissent se lient, et créent ensemble le stigmate, la marginalisation et la précarité, fondamentalement liés au patriarcat et au capitalisme. Vanesa Campos en fût victime. Assassinée en voulant protéger son client d’une bande d’hommes le 17 août au bois de Boulogne, Vanesa était une travailleuse du sexe trans d’origine péruvienne. Quelques jours plus tard, ses collègues et plusieurs associations se réunirent pour lui faire hommage. Mais aussi pour manifester leur colère contre un Etat qu’elles disent complice des agressions et meurtres transphobes. Elles dénoncèrent l’indifférence totale du gouvernement, et les législations qui leur imposent des conditions précaires de travail, dont la loi de pénalisation du client entrée en vigueur en 2016. Océan enregistre. On écoute. Une manifestante nous rappelle que «tant que le dogme dira que mon activité est une violence, je ne pourrai pas aller déposer plainte car on me dira que c’est normal, que c’est mon travail.»
Selon Morgane Merteuil, travailleuse du sexe militante et ancienne porte-parole du STRASS, le syndicat du travail sexuel, «la question du travail du sexe est essentiellement traitée comme une question de féminisme, alors qu’elle pourrait tout à fait traitées comme une question de racisme.» Les féministes universalistes s’opposent d’ailleurs souvent aux afroféministes tout comme à la transidentité ou au voile… Les théories intersectionnelles, au contraire, nous permettent de comprendre l’intrication entre les différentes formes de discriminations. Et ce documentaire de long court nous montre l’importance d’une telle approche, car pour Océan, «la révolution féministe ne pourra se faire qu’avec TOUTES les femmes, y compris les sans-papières, les putes, les pauvres, les voilées, les grosses, les trans, les jupes très longues et pas maquillées, les jupes très courtes et trop maquillées, les sourdes, les handicapées, les femmes à barbe et sans nichons, les femmes épilées au laser et faux nichons, les femmes de ménage en grève de l’hôtel Ibis, toutes, toutes, toutes les femmes.»
Grâce à ce podcast, Océan nous permet de comprendre le combat des TDS. Les putes résistent, revendiquent leur place dans l’espace public et nous montrent que l’intime est toujours politique.
Pour conclure avec les mots de Lauren Bastide: «Vous-mêmes qui nous [lisez], vous envisagez peut-être la prostitution comme la pire des violences sexistes, comme un fléau qu’il faut à tout prix éradiquer, si c’est le cas vous êtes les bienvenues ici, Intime & Politique est fait pour tout le monde, mais préparez-vous à avoir vos schémas quelque peu chamboulés. Bonne écoute!»
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Pour aller plus loin:
Une définition de l’intersectionnalité
L’urgence de l’intersectionnalité | Kimberlé Crenshaw
Un article de Swissinfo à propos du meurtre de Vanesa Campos