Le Pinkwashing de la fierté LGBTQ+
Auteurice Alexandra Tavares Agostino, 28 septembre 2017A travers le globe, les mois estivaux voient passer un festival d’événements pour la fierté LGBTQ+*. Pourtant, sous cet arc-en-ciel de couleurs, se cache une facette beaucoup moins célébrée. DécadréE résume pour vous l’introduction des corporations dans le milieu des luttes gays.
Londres, Dublin, Tel Aviv ou encore Berne se sont toutes ornées des couleurs de l’arc-en-ciel cet été afin de soutenir les luttes LGBTQ+ et offrir un espace à la communauté queer pour célébrer sa fierté. Parmi les individus, des étranges bannières ont pourtant pris place. Airbnb, Amazon, Spotify, Netflix et tant d’autres défilent aux côtés de la communauté. Quelle est donc cette tendance grandissante de la présence de corporations au sein des marches des fiertés ? L’identité queer utilisée afin de faire du profit semble avoir été le grand thème de l’année 2017.
Le capitalisme arc-en-ciel
Après Toronto en 2014, la World Pride de 2017 a pris ses quartiers à Madrid. Sur la Plaza Del Sol, au centre de la ville et au milieu des célébrations, une immense publicité Netflix trône fièrement. Sur les couleurs du drapeau gay, on peut y lire « Rainbow is The New Black ». Les entreprises privées font maintenant partie entière des défilés des fiertés. Les événements queer ont toujours été là pour donner de l’espace à la communauté LGBTQ+ afin que celle-ci puisse célébrer, protester et commémorer ses luttes. La question qui se pose ici est à quel moment les grandes corporations entrent-elles dans cette narrative ?
Aujourd’hui, les spécialistes du marketing ont bien pris conscience de l’ampleur des mouvements de justice sociale, qu’ils ont interprétés comme une tendance. C’est ainsi qu’a commencé le développement des campagnes publicitaires qui incluent, mais ne servent pas les groupes minoritaires. En effet, le but final reste celui de faire du profit. L’histoire commence donc ainsi. Pendant le mois de juin, mois de la fierté LGBTQ+, nous avons pu voir de nombreuses entreprises suivre cette technique de marketing, en utilisant le mois de la fierté pour s’aligner aux messages d’acceptation et de progrès, le tout au travers de la publicité. A la surface, toutes ces choses peuvent sembler passionnantes et être perçues comme positives. La communauté LGBTQ+ continue d’être très sous-représentée dans la culture populaire (à la télévision, seulement 4.8% des personnages s’identifient comme queer selon l’étude du GLAAD en 2016) (1) – élément qui suggère aussi au combien les Prides sont importantes pour cette même communauté – et est donc en quête d’espace et de représentation. Qui sont donc les vrais gagnantEs ici ?
Plusieurs de ces entreprises justifient la commercialisation de la culture LGBTQ+ en affirmant qu’elles normalisent les minorités, en leur donnant de la visibilité et en les intégrant au courant dominant. Pour celles-ci, visibiliser suffit pour normaliser. En 2017, cela n’est plus le cas. Lorsque les organisations offrent uniquement une exposition aux groupes minoritaires, elles tirent parti de la presse à leur avantage, en échange de la culture LGBTQ+ minoritaire. Elles gagnent parce qu’elles obtiennent des idées et des contenus de marketing gratuits, en s’alliant à un mouvement vu comme « tendance ».
Un autre problème avec ce train de pensée est qu’il normalise qu’une mince partie de la lutte en portant à l’avant de la scène des individus dont la voix résonne déjà, malgré leur place au sein de la communauté LGBTQ+. Par exemple, les policiers gays marchent fièrement en tête de la Pride de Londres (événements qui se veulent évidemment inclusifs et où ces derniers sont les bienvenus, rappelons quand même que les Prides commémorent les émeutes de Stonewall, une révolte contre les forces de police), alors que les hommes blancs ont déjà leur place à l’avant même de la société. En d’autres termes, les entreprises qui financent et organisent les prides donnent des espaces à des groupes qui ont une image déjà majoritairement dans la norme alors que ceci va partiellement invisibiliser des luttes telles que celles des personnes trans, des personnes handicapées queer ou des personnes non-binaires, leurs faisant de l’ombre et occupant leurs espaces, l’attention étant tournée ailleurs. En agissant ainsi, ces institutions espèrent éviter tout autre questionnement, au-delà de leurs actions de “surface”. Elles portent les couleurs et de ce fait, pour elles, sont alliées. Pourtant, les vrais alliés ne devraient pas gagner à moins que les groupes qu’ils soutiennent gagnent aussi, et lorsque cette visibilité n’est fabriquée que pour sembler progressiste et non pas pour réellement aider au progrès, telle n’est pas la situation selon moi.
Le Pinkwashing, ses effets directs
Airbnb défile à la Pride San Francisco, alors que l’entreprise cause l’augmentation des prix de loyer, le tout pendant que les membres de la communauté LGBT font face à la précarité et que nombreux sont dans la rue. (2) Absolut arbore fièrement les couleurs du drapeau sur sa vodka alors que les problèmes d’addictions au sein la communauté queer sont 3 fois plus élevés par rapport au reste de la population. (3) Wells Fargo ou Barclays, respectivement les plus grands sponsors des prides américaines et anglaises, investissent dans des prisons privées, ces dernières incarcérant des personnes trans noires à des taux disproportionnés. (4) Uber vous offre de rentrer sain et sauf après la pride de Madrid, alors que son CEO faisait partie du conseil économique de Donald Trump, qui bannit les personnes trans au sein de l’armée américaine. (5) Et la liste continue. Ces entreprises capitalistes marchent pendant les prides avec seul but de se donner une image progressiste, car cela vend. Alors que cette nouvelle visibilité queer est importante, agir activement pour la communauté LGBTQ+ – en s’investissant dans la résolution de ces mêmes problématiques qui les concernent directement, par exemple – serait des plus bienvenus.
L’utilisation de la communauté queer pour faire du profit ne se résume pas aux marches des fiertés. En effet, dans le monde politique, ou encore dans les médias, nombreux sont les coups que nous avons pu observer. En France, Cyril Hanouna – animateur TV de l’émission “Touche pas à mon poste ! (TPMP)” – avait créé la polémique en mai avec un canular piégeant un homosexuel. (6) Ce mois-ci, il revient à l’antenne avec un slogan « We Are TPMP », suivi d’un point d’exclamation aux couleurs du drapeau LGBT. (7) Plus récemment, Valérie Boyer, députée de “Les Républicains des Bouches du Rhône” et soutien de la “Manif pour Tous”, s’est rendue au Refuge Marseille, un espace d’accueil pour la jeunesse LGBT. (8) Ces actions sont calculées, vis-à-vis de leur apport monétaire et médiatique, et non pas en privilégiant les intérêts de la communauté queer.
Avec cette vague qui arrive en force, que faire ? Alors que le besoin pour la communauté LGBTQ+ des institutions est bien réel, leur donnant une certaine nouvelle place au sein de la société, il faut prendre le tout avec un grain de sel. En effet, ce capitalisme arc-en-ciel semble moins entraîner des effets positifs que négatifs, glorifiant les multinationales, le tout en laissant de coté ceuxELLES dont les voix sont les moins entendues. La Pride continue d’être un événement important et nécessaire, il semble seulement que les idées originales des émeutes de Stonewall – affrontements entre des membres de la communauté LGBTQ+ et des forces de police à New York en 1969, que la pride commémore depuis – se soient un peu perdues en chemin.
* LGBTQ+ : “Appartenant ou relatif à la communauté homosexuelle, bisexuelle, transgenre, ou queer” – se veut inclusif du spectre entier des sexualités et du genre
- https://www.glaad.org/blog/glaads-where-we-are-tv-report-finds-progress-lgbtq-representation-tv-much-work-still-be-done
- https://williamsinstitute.law.ucla.edu/press/americas-shame-40-of-homeless-youth-are-lgbt-kids/
- https://www.americanprogress.org/issues/lgbt/reports/2012/03/09/11228/why-the-gay-and-transgender-population-experiences-higher-rates-of-substance-use/
- http://www.transequality.org/issues/resources/standing-lgbt-prisoners-advocate-s-guide-ending-abuse-and-combating-imprisonment
- http://uk.businessinsider.com/tesla-ceo-elon-musk-uber-travis-kalanick-join-donald-trump-strategic-policy-forum-economic-team-2016-12
- http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/05/22/cyril-hanouna-la-blague-de-trop_5132010_4832693.html
- http://img.tel.pmdstatic.net/fit/http.3A.2F.2Fimages.2Eone.2Eprismamedia.2Ecom.2Fvideo.2Ff.2F6.2F1.2F7.2Fd.2F8.2F1.2F2.2Fb.2F9.2F4.2F3.2Fd.2F1.2Fa.2Fc.2Ejpg/1160×500/crop-from/top/we-are-tpmp-pour-sa-rentree-cyril-hanouna-veut-eviter-toute-polemique.jpg
- https://twitter.com/valerieboyer13/status/909802823281496065?ref_src=twsrc%5Etfw&ref_url=https%3A%2F%2Fhornetapp.com%2Fstories%2Ffr%2Fvalerie-boyer-refuge%2F