Les discriminations ont un impact significatif sur la santé mentale
Auteurice Amélie Duval, 25 mars 2018Illustrateurice
Dans nos sociétés encore largement oppressives, certains groupes sont systématiquement discriminés. Les conséquences sur la santé mentale des femmes, des personnes de couleur, des homosexuelLEs et plus généralement de touTEs ceLLESx qui s’éloignent de la «norme» sont lourdes. Elles se traduisent parfois par des symptômes communs à ceux des soldatEs traumatiséEs par la guerre. Amélie Duval analyse ce phénomène.
Donald Trump, symptôme d’une société oppressive
«Attrapez-les par la chatte!» (ndlr: «grab’em by the pussy») Cette phrase prononcée en 2005, devenue tristement célèbre au cours de la dernière campagne électorale américaine a fait la une des journaux. Elle a provoqué des débats enflammés et choqué les citoyens des Etats-Unis et du monde entier. Néanmoins, elle n’a pas empêché l’élection de Donald Trump à la présidence d’un des pays les plus puissants du monde.
Ses paroles font ouvertement l’apologie des agressions sexuelles. Pourtant, le comportement provocateur est sexiste de l’homme qui les a prononcées n’est sanctionné ni par ses électeurs, ni par la justice. Dans la foulée du mouvement #Metoo, qui semble répondre au hashtag #notokay né à la suite des mots controversés de Donald Trump, il y a lieu de s’interroger sur les retombées d’un pareil événement.
CertainEs chercheurEs en sciences politiques de l’Université de Massachussets défendent l’idée selon laquelle l’élection de Trump est un symptôme inquiétant des tendances qui traversent la société américaine actuelle – le sexisme et le racisme, entre autres discriminations. Les personnes visées par les attaques du président – en l’occurrence, les femmes, mais dans d’autres contextes les personnes racisées, musulmanes ou encore trans-genres- en subissent directement les conséquences.
L’oppression systémique et son impact sur la santé mentale
Certains groupes de personnes souffrent de discrimination systématiques. La blogueuSE féministe Jeanne de throughmermaidseyes propose la définition suivante: «L’oppression systémique, c’est tout simplement le fait que le système politique, socio-économique et social qui organise notre vie en société produit et renforce des inégalités et des discriminations subies par une partie de la population.»
Elle souligne que les systèmes d’oppressions systémiques sont nombreux, mais qu’ils fonctionnent toujours grâce à des privilèges dont bénéficient la partie dite «dominante» de la population. Cette frange de la société est constituée de personnes à la peau blanches, masculines, hétérosexuelles, dont Mr. Trump est un parfait exemple. Jeanne poursuit: «Le pendant de ces privilèges est bien sûr les discriminations subies par la partie dite «dominée» de la population, qui ne possède pas ladite caractéristique permettant de faire partie des dominants.»
Les conséquences de cette oppression systémique sont multiples. Les impacts sur la santé mentale en font partie. Des rapports de Time to Change indiquent par exemple que 93% des personnes de couleur souffrant de troubles mentaux au Royaume Uni indiquent avoir subi de la discrimination et de la stigmatisation. Dans un autre article, DécadréE a souligné les taux de suicides plus élevés chez les jeunes LGBT*IQ. Les femmes sont également plus touchées en moyenne que les hommes par les troubles mentaux: elles ont respectivement 70% et 50%plus de risques de développer une dépression ou un trouble anxieux. Un sondage mené suite à l’élection de Donald Trump, a déterminé que 40% des femmes interrogées pensaient que les actes de sexisme augmenteraient à la suite de celle-ci. 25% des femmes noires et latinas interrogées ont déclaré se sentir mois en sécurité physique depuis ses commentaires incitant à «attraper les femmes par la chatte».
Le développement de Symptômes de Stress Post-Traumatiques au sein des groupes discriminés
L’oppression systémique envers les femmes et les autres groupes se caractérise parfois par des actes particulièrement violents, comme des féminicides, des viols ou la violence conjugale. Mais elle se traduit aussi par des micro-agressions répétées et continues. Les micro-agressions sont définies par le Dr. Derald W. Sue, professeur à Colombia, comme «les affronts, les coups bas et les insultes que les personnes de couleur, les femmes, les populations LGBT ou ceLLEux qui sont marginaliséEs vivent dans leurs interactions avec les gens au jour le jour.» De plus en plus de chercheurEs se penchent sur la question du développement de de Symptômes de Stress Post-Traumatiques (SSPT) auprès de certaines personnes victimes de ce type d’oppression.
Le terme de SSPT a été initialement créé pour définir les symptômes dont souffraient les vétérans des Etats-Unis au retour de la guerre du Vietnam. Le SSPT se traduit par une sur-réaction du système nerveux aux stimulis extérieurs, généralement suite à un épisode traumatique. Cette sur-réaction peut être suscitée par des éléments apparemment insignifiants comme un son, une couleur, une personne. Elle se traduit par un état de vigilance permanent, des comportements d’évitement, ou encore un état de dissociation [1]. Le SSPT a ensuite été étendu à d’autres évènements traumatiques, en dehors du contexte des conflits armés, comme les agressions sexuelles, les accidents de voiture ou les attaques à main armée.
La Dr. Monnica Williams,thérapeuthe et chercheuSE à l’université du Conneticut, ou encore la Dr. LaShonda M. Jackson-Dean ,chercheurE et auteurE d’un livre sur l’oppression systémique et les SSPT, soulignent dans leurs recherches que l’expérience de stigmatisation et de marginalisation par des personnes noires au sein d’une société raciste peut ainsi engendrer des SSPT. Des études [2] [3] ont également montré une corrélation entre le sexisme quotidien et le développement de SSPT chez les femmes, sans qu’un évènement traumatique n’en soit la cause. Rien de très étonnant cependant si l’on relit Simone de Beauvoir, philosophe féministe auteurE du Deuxième Sexe, qui écrivait en 1949: «Toute oppression crée un état de guerre.»
Grâce à ces recherches, une meilleure compréhension et une meilleure prise en charge de la santé mentale des personnes victimes d’oppression systémique se développe. En attendant l’aboutissement des luttes pour une société plus égalitaire, une plus grande sensibilisation du personnel médical aux questions d’oppression systémique est essentielle.
[1] Les troubles dissociatifs sont caractérisés, selon le DSM-IV (1) par la survenue d’une perturbation touchant des fonctions normalement intégrées, comme la conscience, la mémoire, l’identité ou la perception de l’environnement. Ils sont souvent dus à des traumatismes.
[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8173545
[3] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16957176