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Mais, la putophobie, c’est quoi en fait?

Mais, la putophobie, c’est quoi en fait?

Auteurice Nina Rast, 25 décembre 2020

La définition de la putophobie pourrait paraître simple et se limiter à la stigmatisation des travailleuses du sexe. Pourtant, elle impacte des domaines extrêmement variés: le travail du sexe mais aussi nos lois, notre façon de parler du corps ou notre façon de définir la sexualité.

Par Nina Rast, publié le 25.12.2020

 

L’écriture inclusive est utilisée dans cet article en accord avec les milieux militants, et les personnes concernéxes afin de revendiquer l’identité trans* non-binaire. En 2016, dans nombreux pays européens, le TAMPEP estimait que les personnes trans représentaient environ 5% des travailleurxeuses du sexe, et jusqu’à 25% dans certains pays comme la France, la Grèce, le Luxembourg. (TAMPEP, 2009 Dans D’Ippoliti, 2016). 

 

«Il y a énormément de TDS autour de toi et tu ne le sais pas. Pute c’est un mot extrême, violent, terrifiant. C’est un mot qui ne définit pas un job, c’est un mot qui signifie que tu n’es pas digne de respect.»

Ces paroles, prononcés par Judith de @tapotepute dans le OpenspaceTalks Podcast, rappellent l’importance des mots, leur violence et leur portée.

Pourtant, les insultes putophobes sont très courantes. Une grande majorité des femmes*, pour ne pas dire touxtes, ont été insultées de «putes». Car ce stigmate vise en réalité toutes les femmes, qui ne rentreraient pas dans la case que la société traditionnelle leur impose, selon Gail Pheterson.

Co-fondatrice du Comité international pour les droits des prostituées, cette psychologue et psychothérapeute s’est intéressée aux questions du commerce du sexe et de l’oppression des femmes. Elle écrivit dans son ouvrage, Le prisme de la prostitution, que: «la menace du stigmate de putain agit comme un fouet qui maintient l’humanité femelle dans un état de pure subordination.» Ce stigmate, nommé dans les milieux anglophones le whore stigmat, empêcherait donc les femmes* de s’émanciper, de faire des choses pour soi, d’être sujet de leur sexualité.

Selon Judith, «quand on parle de femmes qui ont conscience que leur corps existe, qui ont conscience que leur corps plait et qu’elles peuvent en tirer un profit, ça dérange.» La pute ne serait-elle pas le symbole d’un outrage au patriarcat: une femme qui pourrait avoir une sexualité non-hétérosexuelle, polygame, en tant que sujet?

Yumie, elle, travailleuse du sexe lausannoise, racontait lors d’une conférence organisée par le collectif féministe de l’UNINE, le CLEF*, qu’elle avait non seulement choisi ce travail, mais qu’elle en était aussi fière. Pourtant, cette fierté est rare chez les TDS, car la putophobie les met en danger. Notamment car les lois abolitionnistes (c’est à dire les loi découlant d’un courant de pensée qui considère que le travail du sexe ne devrait pas exister, qu’il  devrait être aboli et criminalisé) comme la loi de pénalisation du client votée en 2016 en France les précarise et les isole, comme en témoigne l’assassinat de Vanesa Campos, abattue à l’âge de 36 ans, au bois de Boulogne à Paris dans la nuit du 16 au 17 août 2018. Mais aussi car elle impacte leur santé mentale.

 

Yumie lors d’une table ronde organisée par le collectif féministe de l’UNINE, le CLEF* – © Camille Budon

 

Pour Yumie, «le plus important, la première chose qu’on vit et qui est universelle pour les TDS, c’est la stigmatisation.» Et pourtant, l’impact de ce stigma sur la santé mentale des TDS est rarement abordé.

Lors de la conférence «Toutes des putes?» du festival Comme nous brûlons, Nikita Bellucci racontait le poids des insultes. «À partir du moment où j’ai décidé de faire ce que je voulais de mon corps et de faire le choix d’être actrice porno, c’est comme si on m’enlevait toute capacité de réflexion, de réfléchir, de m’exprimer. Quand j’ai commencé à m’exprimer sur des faits, par exemple Monsanto ou n’importe quel fait de société, j’étais insultée “Retourne sucer des bites”, “T’es qu’une pute, t’es qu’une merde, etc”. […] Les insultes, ça peut détruire quelqu’un.»

Putes, putains, sales putes, fils de pute, c’est le sale absolu, mais pourquoi? Qu’est-ce qui est si immoral dans le travail du sexe? Selon les abolitionnistes, ce serait la pire des situations, la plus violente des rapports entre sexes. Car le sexe devrait être pur, moral, et donc gratuit. Sinon, c’est du «viol tarifé». Selon Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, «une femme qui se prostitue pour avoir un toit sur la tête ou de la nourriture pour ses enfants ne le fait pas de gaieté de cœur, elle le fait sous contrainte. On ne peut parler de consentement libre et éclairé. En clair, pour qu’il y ait un choix, il faut qu’il y ait des alternatives, ce n’est pas un choix qui mène les femmes à la prostitution mais un chemin, un parcours et des circonstances sur lesquelles elles ont peu ou pas de contrôle.»

Pourtant, dans un monde néolibéraliste et capitaliste, les relations ne sont-elles pas toutes impactées par l’argent?

Selon Yumie et Judith, c’est le cas. Tout comme pour l’autrice Paola Tabet, considérant qu’il n’y a pas de dichotomie entre femme respectable et putain. Aucun rapport de sexualité hétéro ne peut être réciproque «dans un contexte général de domination des hommes sur les femmes», écrivait-elle dans La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel.

Dans l’épisode 2 de La Politique des Putes, un podcast d’Océan de la série Intime&Politique, diffusé par Nouvelles Ecoutes, on entend les mots de Gail Pheterson, qui résume bien la putophobie, et l’importance de lutter contre celle-ci en tant que femme.

«Les droits de l’ensemble des femmes sont indissolublement liés aux droits des prostituées, parce que le stigmate de putain peut s’appliquer à n’importe quel femme pour disqualifier sa revendication à la légitimité et peut jeter la suspicion sur n’importe quelle femme accusée d’avoir pris une initiative dans le domaine économique et/ou sexuel. (…) Ôté de l’échange économico-sexuel, le stigmate de la putain et la prostitution s’évapore.»

Les militantxes TDS et les chercheurxeuses ayant travaillé sur le sujet nous permettent donc de comprendre que l’abolitionnisme n’aide pas les TDS, et nous pousse à réfléchir à nos propres rapports à l’argent et à la sexualité. La putophobie, en tant que stigmate social mais aussi en tant qu’idéologie selon laquelle des lois sont écrites, précarise, et peut tuer les TDS. Mais elle frappe également touxtes les femmes*, les empêchant de s’épanouir économiquement, sexuellement et, si envie, de le faire simultanément.

 

Pour aller plus loin

 

 

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