Naked War : un regard artistique et philosophique sur les Femen
Auteurice Alizé Tromme, 25 mai 2018Illustrateurice
Jeune réalisateur et activiste, Joseph Paris a suivi durant un an la trajectoire du mouvement Femen pour son documentaire Naked War. Loin d’une simple présentation du groupe, le film analyse d’une manière philosophique et intimiste les motivations ainsi que le rapport à l’image de ces femmes qui mènent une guerre contre le patriarcat.
Des femmes qui surgissent pour protester seins nus, avec des inscriptions en noir sur la peau et des couronnes de fleurs dans les cheveux ; tout le monde a en tête les actions des Femen. Leur couverture médiatique fait partie intégrante de leur communication et a largement été débattue (voir notre article sur l’idéologie Femen). Si ces activistes féministes ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, ce n’était pas une simple enquête que le réalisateur Joseph Paris souhaitait réaliser avec son documentaire Naked War.
Intrigué et interpellé par les protestations parfois impressionnantes de ces femmes, il a décidé, en 2012, de les suivre durant un an, de l’Ukraine à la France en passant par la Tunisie. Au-delà de la provocation et des actions menées, il lui semblait que les médias ne s’interrogeaient pas assez sur ce qui motivait ces activistes. Épaulé par l’auteure Annie Lebrun et le philosophe Benoît Goetz, Joseph Paris tente au cours de ce documentaire d’une heure d’analyser ce qui fascine et trouble dans le mouvement et les actions du groupe Femen.
Arrêt sur image et Féminisme Pop
Se décrivant lui-même comme activiste, Joseph Paris se place clairement du côté des Femen. Il tente d’expliquer, mais surtout de montrer le raisonnement derrière leurs actions. Il part en Ukraine, berceau du mouvement, pour en retracer la création auprès de ses fondatrices. Il les suit ensuite en France, notamment lors de leurs actions contre la “Manif pour tous” et dans la cathédrale de Notre-Dame lors de la démission du Pape Benoît XVI.
Plus qu’un simple reportage, le réalisateur souhaite tout particulièrement analyser le rapport à l’image qu’entretiennent les Femen. C’est en ce sens qu’ils interrogent également Annie Lebrun et Benoît Goetz, pour porter un regard plus vaste sur le mouvement. Comme il le précise sur son site, « ils interrogent les images fabriquées par les Femen et mettent à nu leur puissance révolutionnaire : renverser les représentations du corps féminin, inventer une grammaire cinématographique, révéler les systèmes d’oppression et la violence qu’ils exercent. Au final, il reste le courage de ces toutes jeunes femmes à bousculer notre monde frileux à travers leur geste spectaculaire. »
Comme Joseph Paris et ses collègues l’expliquent, les Femen perturbent les représentations habituelles que nous renvoie la société patriarcale de par leur utilisation du corps féminin comme « arme pacifique ». Nous sommes habituéEs à voir les femmes nues comme un objet de séduction, et la vision de ces femmes dans une position guerrière est donc en total décalage avec cette image. Le message qu’elles souhaitent faire passer est d’autant plus frappant qu’il est également écrit à même leur peau, et scandé avec force. Ce brouillage entre nos standards et leur détournement par les Femen interpelle et fait réagir.
Cette imagerie est parfaitement travaillée et symbolique, comme le montre le réalisateur en interrogeant les jeunes femmes avant, pendant et après leurs interventions. Les poses sont toujours les mêmes, le poing en l’air et la démarche en avant. Lorsqu’il filme l’intervention contre la “Manif pour tous”, Joseph Paris commente que, quel que soit le point de vue ou l’angle qu’il aurait pu adopter pour filmer, cela aurait toujours montré les mêmes images. Des femmes au torse nu qui surgissent brusquement, le poing levé face à une foule hébétée.
Les Femen savent utiliser les médias et les images en leur faveur. Elles retournent la beauté du corps féminin comme arme contre le patriarcat, et se réclament du « féminisme pop ». Un féminisme populaire, qui sait comment subvertir notre rapport à l’image pour nous forcer à réagir et à réfléchir aux inégalités de notre société.
Violence et Démocratie
On reproche souvent aux Femen la violence de leurs actions. Joseph Paris prend en exemple les réactions indignées de politiques français suite à l’intervention de Femen dans la cathédrale de Notre Dame. Suite à la démission du Pape Benoît XVI et pour protester contre l’Eglise catholique, plusieurs membres ont fait irruption dans la nef et ont fait sonner les cloches qui y étaient exposées. Cette action apparaissait comme une démonstration de violence inutile à l’égard d’une institution traditionnelle et d’un important monument français. Le dispositif sécuritaire mis en place pour les évacuer a néanmoins fait également preuve d’une grande violence à leur égard, comme en témoignent les images parfois dures du réalisateur. Ainsi, l’une des intervenantes réagit en posant la question : contre qui exactement ont-elles été violentes ? Les cloches ? En comparaison de la violence, dont a fait preuve et continue de faire preuve l’obscurantisme religieux, cela leur semble être très peu.
Le passage du film sur leur intervention lors de la “Manif pour tous est aussi particulièrement frappant. Très rapidement après leur apparition, les membres de Femen, qui ne sont qu’une poignée, se font attaquer par des militants avant d’être évacuées de force par les autorités. L’image est forte : trois femmes topless et vulnérables contre une foule qui réplique très vite par la violence. Le documentaire n’hésite d’ailleurs pas à valoriser le « courage physique » de ces militantes pour avoir osé perturber la manifestation dans leur plus simple appareil pour «déranger localement quelque chose d’ignoble».
La rapidité de l’intervention des forces de l’ordre à chacun des happenings mis en place par les Femen interroge également le rapport de notre société soi-disant démocratique face à la surveillance. Comme l’explique le film, même dans des états où les êtres humains sont censés être libres, si l’on touche un point précis qui dérange, on vous tombe dessus avec violence. Les Femen pointent du doigt les oppressions générées par le patriarcat dans des domaines comme la religion ou l’industrie du sexe, même dans les pays démocratiques. Et cela perturbe.
Les Femen interrogées parlent ainsi du “test de démocratie”, qui consiste à évaluer la situation d’un pays en fonction des réactions, voire répressions parfois violentes, que leurs actions soulèvent. Joseph Paris va même jusqu’à qualifier les militantes de lanceuses d’alerte, les comparant à des personnalités telles qu’Edward Snowden. Selon lui, elles ne dénoncent pas seulement sur le système patriarcal, mais elle repensent également notre notion de la démocratie.
Une réflexion artistique et philosophique
On l’aura compris, le documentaire de Joseph Paris ne cherche pas à présenter le mouvement Femen d’un point de vue impartial. Il prend le parti d’analyser le discours et l’imagerie mobilisée par le mouvement féministe. Et ce que cela fait ressortir de notre société. Le réalisateur évoque « un film graphique qui cherche à voir ce qui n’est peut-être pas sur les images. » À travers le regard de Joseph Paris, mais également les avis de l’auteure Annie Lebrun et du philosophe Benoìt Goetz, Naked War pousse la réflexion derrière les images-chocs des actions des Femen.
Que l’on soit partisan ou non, le film invite à dépasser l’image que nous renvoient habituellement les médias. Le réalisateur n’hésite pas à prendre parti, montrant l’intimité de ces femmes qu’il a suivi durant un an. Il partage également certains doutes et inquiétudes face à l’ampleur qu’a peu à peu prise le mouvement. Il conclut néanmoins en reconnaissant la nécessité d’une prise de conscience. Au vu de l’ampleur du mouvement #metoo qui a secoué le monde ces derniers mois, on pourrait être tenté d’aller dans son sens également.
Bande-annonce