Menu de l'institut
Menu du LAB

LE LAB

Où sont les femmes ? Portraits de 75 oubliées de l’Histoire

Où sont les femmes ? Portraits de 75 oubliées de l’Histoire

Auteurice Alizé Tromme, 1er février 2018
Illustrateurice

Le collectif français Georgette Sand, qui lutte contre les stéréotypes et normes de genre, a sorti son premier livre l’automne passé. Ni vues ni connues présente 75 femmes, de tous horizons, dont les actions ont été minimisées, oubliées ou tout simplement effacées de la mémoire collective. En toile de fond, le live analyse ainsi les mécanismes d’effacement de ces figures féminines marquantes. Critique.

« Georgette Sand défend l’idée qu’aujourd’hui on ne devrait plus s’appeler George pour être prise au sérieux. » Par cette définition, le collectif Georgette Sand fait allusion à l’écrivaine Aurore Dupin, qui dut porter un patronyme masculin pour se faire une place dans le monde des Lettres du XIXème siècle. Un exemple comme tant d’autres pour les femmes de l’Histoire, de tous les milieux et pays.

Dans la continuité de cette prise de position, défendue dans leur manifeste, le collectif a sorti un livre en octobre dernier, aux éditions Hugo Doc. Ni vues ni connues. Panthéon, Histoire, mémoire : où sont les femmes ? présente plusieurs figures féminines remisées dans l’ombre, tout en étudiant les différents processus d’invisibilisation mis en place par la société, les hommes ou parfois les femmes elles-mêmes.

A travers sept catégories, qui vont des artistes aux intellectuelles en passant par les scientifiques et les militantes, l’ouvrage dresse le portrait de 75 femmes d’époques et d’origines différentes. Plusieurs autrices du collectif se sont réparti la présentation de ces femmes au destin parfois incroyable, et qui ont toutes en commun d’avoir été effacées ou oubliées par l’Histoire. Car, c’est bien connu, cette dernière est écrite par les vainqueurs. Qui ont presque toujours été des hommes.

Invisibilisation et diversité

Saviez-vous que Mozart avait une sœur qui composait également ? Probablement pas. Nannerl Mozart était pourtant tout aussi surdouée que son frère, et leur père les a exhibés tous les deux durant leur enfance dans des concerts à travers l’Europe. Cependant, c’est toujours Wolfgang qui était mis en avant. Lorsqu’elle fut plus âgée, Nannerl se vit confisquer son violon et eut l’interdiction de composer afin de se ranger et de vivre une existence «respectable». Elle finit par se marier, abandonnant définitivement la musique, tandis que son frère aura la carrière et le succès que chacunE connaît. La méconnaissance de cette grande musicienne est partagée par de nombreuses personnes interrogées dans une vidéo par le collectif Georgette Sand devant l’Opéra Garnier, durant une exposition sur Mozart frère et pour la sortie de leur livre.

Et son cas est loin d’être isolé. Le livre parle ainsi d’autres femmes oubliées, ou dont les actions ont été fortement minimisées. Phoolan Devin, une indienne surnommée la reine des bandits et qui se battit pour venger les violences dont elle avait été victime. Hubertine Auclert, militante à l’origine de l’aile radicale du mouvement féministe français. Ou encore Tomoe Gozen, une samouraï qui participa à de nombreuses batailles dans le Japon du XIIIème siècle. ChacunE connaît Touthankamon, mais qui connaît Hatchepsout, reine d’Egypte ? Ou Delia Derbyshire, pionnière de la musique électronique ?

D’autres noms sont davantage connus, mais pas pour toutes leurs actions. Joséphine Baker ne fut pas qu’une danseuse, mais également une fervente opposante à la ségrégation raciale en Amérique, et fut même espionne pour l’état français durant la Seconde Guerre mondiale. Mary Shelly n’a pas été que l’épouse d’un poète et amie de Byron, mais également l’autrice de Frankenstein, l’une des premières œuvres de Science-Fiction.

Le livre rend donc hommage à ces femmes, en corrigeant l’oubli dont elles ont été victimes pour les faire (re)connaître. Les portraits font preuve d’une grande diversité, autant dans les périodes historiques représentées que des régions du monde concernées. Il ne s’agit donc pas uniquement de personnes blanches et occidentales, une démarche essentielle lorsqu’on sait que les femmes racisées sont d’autant plus discriminées et effacées.

De même, le choix d’une catégorie Les méchantes inventées ou avérées témoigne d’une volonté de montrer que les femmes n’ont pas toujours été des anges. Comme leur alter ego masculins, elles ont pu faire preuve de cruauté, à l’instar d’Irma Grese, tortionnaire nazie. Cependant, ce chapitre  est également là pour parler des cas où des femmes -comme Elisabeth Bàthory, la fameuse comtesse sanglante qui aurait assassiné de nombreuses vierges pour se baigner dans leur sang- qui ont été érigées en monstres uniquement pour être discréditées. Un autre processus d’invisibilisation.

Par ces différents portraits, le livre analyse également les manières, subtiles et complexes, par lesquelles les femmes ont été invisibilisées. « Plus qu’une omission, il s’agit d’un véritable enjeu de pouvoir. Il implique un mécanisme –celui de l’invisibilisation d’un groupe sur un autre- qui fait sortir du décor de manière systématique et parfois délibérée une partie de l’humanité. », explique le collectif dans l’introduction du bouquin. Que cela soit par leur famille ou leur mari, par l’Etat ou l’Eglise, pour s’approprier ou minimiser leur travail, ou par elles-mêmes pour se conformer à l’idéal de la femme discrète et humble ; les exemples permettent d’illustrer comment la moitié de l’humanité a été rayée de l’Histoire. Et continue bien trop souvent de l’être.

Un livre haut en couleurs et un ton familier pour une mission parfois difficile.

Loin d’être un ouvrage complexe, le livre se veut accessible à tousTES. Le ton est familier, et parlera parfaitement à un large public, et même aux adolescents. Il ne s’agit pas d’une publication académique, mais reste intéressant, bien documenté et plaisant à lire. A la fin de chaque portrait, des suggestions d’autres noms de femmes au parcours semblable sont proposées pour prolonger notre lecture, dont certains hors des 75 portraits proposés dans le livre.

De plus, le bouquin est en soi un très bel objet, imprimé en couleurs et qui propose une image pour chaque portrait. Ce qui soulève dans certain cas un problème majeur de ce type d’initiative : le manque de sources, visuelles ou textuelles. Les autrices le soulignent par ailleurs à plusieurs reprises : les informations disponibles sur ces femmes sont souvent rares ou peu relayées. Un autre processus qui fait tomber ces femmes dans l’oubli, et qui rend difficile l’accès à leur travail ou à leur vie. D’où l’importance de ce genre de livres pour les faire (re)découvrir et les mettre à nouveau dans la lumière.

Car il est essentiel de montrer que les femmes peuvent aussi être reines, scientifiques, inventrices de génie, conductrices, peintres… Et qu’elles ont leur place dans notre Histoire. Un ouvrage à vous procurer d’urgence donc, qui fera également un excellent cadeau. Il se trouve dans la même lignée des Culottées de Pénélope Bagieu, et les complète parfaitement. La dessinatrice a d’ailleurs réalisé la postface du bouquin, et y précise : « Il suffit d’un nom, d’une femme, une seule fois, pour créer un précédent, un exemple, une autre case que « princesse ». Et les petites filles ne devraient pas avoir à les dénicher. Voilà pourquoi il faut beaucoup de livres comme celui-ci. »

Restez au courant de nos actualités:

S'inscrire à la newsletter

Recevez nos outils contenus media:

S'abonner à la boîte-à-outils