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Misandrie sur les réseaux sociaux: #YesAllMen

Misandrie sur les réseaux sociaux: #YesAllMen

Auteurice Elise Payot, 22 juillet 2022

Sur Instagram, de nombreux comptes ouvertement misandres réunissent de plus en plus d’abonné-e-x-s. Mais qu’est-ce exactement que la misandrie et pourquoi ce besoin de se tenir à l’écart des hommes? Aperçu d’un féminisme en non-mixité.

Un militantisme féministe en ligne

Depuis 2017 et le mouvement #MeToo, la prise de conscience massive et grandissante des problématiques liées au féminisme et aux questions LGBTQIA+ se joue désormais en grande partie sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram. Si certains comptes passent par l’humour en reprenant les codes des mèmes pour mieux dénoncer les oppressions systémiques envers les femmes et les minorités de genre, d’autres permettent à leurs abonné-e-x-s de s’informer et de s’organiser en communautés, parfois constituées de centaines de milliers de personnes. Le compte Instagram Préparez-vous pour la bagarre, qui dénonce le sexisme dans les médias, atteint par exemple les 214’000 abonné-e-x-s. Dans des proportions moindres, on constate que de plus en plus de comptes Instagram tels que lesbianisonsensemble (1’228 abonné-e-x-s), pizzandrie (549 abonnés) ou encore veganisandre (460 abonné-e-x-s) se revendiquent ouvertement misandres et déclarent vouloir éviter le plus possible toute relation avec des hommes.

Tiré du compte Instagram NotAllMemes

(Traduction: “Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans vélo”)

Mais d’abord, être misandre, qu’est-ce que c’est?

Le dictionnaire Larousse définit comme misandre une personne “qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour le sexe masculin ; qui témoigne de ce mépris” et oppose le terme à celui de “misogyne”.

Donc misandrie et misogynie, c’est pareil?

Il est vrai que présenté comme ça, les deux concepts paraissent parfaitement symétriques -et donc tout autant répréhensibles- mais c’est loin d’être le cas. Tout comme la misogynie, la misandrie est politique. En effet, être misogyne, ce n’est pas juste être “vieux jeu” ou “un peu macho”. Éprouver du mépris ou de la haine contre les femmes et les minorités de genre dans le système patriarcal dans lequel nous nous trouvons, c’est perpétuer la domination masculine et légitimer ses conséquences concrètes sur la vie de millions de femmes, de personnes perçues comme telles ou ne rentrant pas dans les normes de la binarité de genre (culture du viol, violences sexistes et sexuelles, féminicides, pour ne citer qu’elles). De la même façon que le racisme anti-blanc ne peut pas exister de façon systémique dans une société majoritairement blanche, la misandrie ne peut pas non plus être comparée à la misogynie dans une société patriarcale. Se définir comme misandre, ce n’est donc pas détester les hommes en tant que tels, mais détester les oppresseurs, comme l’explique Pauline Harmange dans son livre Moi, les hommes, je les déteste (voir l’article de DécadréE sur cet ouvrage).

Tiré du compte Instagram Neurchi de misandrie

L’essor de la misandrie sur les réseaux sociaux

Ali, 22 ans, est à la tête du compte Instagram misandre @lesbianisonsensemble (1’200 abonné-e-x-s) et du site Internet www.misandrionsensemble.fr. Dans une de ses stories à la une sur Instagram, iel explique les raisons qui l’ont pousséx à créer son compte: “Être misandre, c’est […] comprendre les enjeux systémiques, que le privé est politique et affirmer qu’on ne veut plus de ce monde patriarcal, toustes ensemble” et insiste sur la dimension communautaire de ses réseaux sociaux, qu’iel décrit comme un moyen pour touxtes de “se sentir moins seul-e-x.”

De l’autre côté de l’écran, de plus en plus d’abonné-e-x-s se retrouvent dans ce genre de discours. Parmi elleux, Lucie, 23 ans, suit plusieurs comptes misandres sur Instagram. Elle déclare: “Ces comptes me font du bien, me font comprendre [ma haine des hommes], quels comportements précisément sont responsables de cette haine et m’aident à vivre avec. Ça m’aide à m’accepter et, paradoxalement, à mieux accepter ces hommes.” Elle souligne également l’aspect humoristique de ce genre de comptes: “J’aime beaucoup le contenu drôle, les mèmes, ça apporte de la légèreté dans tout ça. J’aime également les travaux de recherche bien sourcés qui incluent des témoignages aussi.”

Lutter contre le #NotAllMen 

Sur Internet, les débats d’idées se transforment souvent en combats hostiles entre des individus qui n’arrivent plus à se mettre d’accord sur un postulat de base. Le hashtag #NotAllMen, popularisé dès 2017 en réponse à la vague de témoignages lors de #MeToo, en est la preuve. Largement utilisé par des hommes refusant d’accepter la dimension systémique des violences sexistes et sexuelles, ce hashtag est rapidement devenu un symbole à combattre pour les militant-e-x-s féministes.

Affirmer “Yes, all men” (en français : “Oui, tous les hommes”), c’est donc reconnaître que, même si les hommes ne sont pas tous des agresseurs, ils bénéficient tous du système patriarcal. Même malgré eux, même s’ils se disent “déconstruits”, et même s’ils font la vaisselle.

Tiré du compte Instagram Lesbianisons ensemble

En constatant que cette idée n’est pas acquise par tou-te-x-s, surtout par les hommes qui peinent à admettre leurs privilèges, certaines personnes misandres décident de dépasser le cadre des idées et font le choix de mettre leur misandrie en pratique dans leur vie de tous les jours. Celui-ci consiste à limiter au minimum ses interactions avec des hommes, allant parfois même jusqu’à refuser toute relation hétérosexuelle et à pratiquer le lesbianisme politique comme un moyen de contredire la norme en vigueur. Dans un article sur son site www.misandrionsensemble.fr, Ali écrit à ce propos: “Une rupture est nécessaire avec l’hétérosexualité. Il ne s’agit ni d’infantiliser les personnes perçues comme femmes en couple hét[éro, ndlr.], ni de les contraindre à relationner avec des gens par lesquelles elles ne sont pas attirées, mais bien de mettre collectivement en lumière des choses qui peuvent paraître naturelles, dont l’hétérosexualité” (pour plus d’informations, voir les recommandations à la fin de l’article).

Cesser toute relation avec des hommes cisgenres, c’est un peu extrême, non?

Eh bien, pas forcément. Pour certain-e-x-s, c’est une décision perçue comme nécessaire afin d’accomplir leur travail militant en s’épargant l’effort de répéter inlassablement les mêmes choses, et de “faire l’éducation” féministe de certains hommes à leur place (pour des résultats souvent jugés peu convaincants).

Pour Lucie, c’est justement cette impression de se répéter sans résultats face à des hommes qui est la cause principale de sa misandrie, qu’elle définit comme “une haine viscérale des hommes centrés sur leurs nombrils, et qui restent imperméables à toute remarque sur leurs privilèges.” Pour elle, la misandrie est “une fatigue psychique, un ras-le-bol d’éduquer les hommes, qui avec le temps et les rencontres s’est exacerbée.”

“Se tenir à l’écart des hommes dans les luttes est pour moi essentiel”

Dans tous les cas, la misandrie, qu’elle soit virtuelle ou bien réelle, est un moyen pour les femmes et les minorités de genre de lutter pour leurs droits en rejetant le besoin de validation, de soutien et d’accompagnement des hommes, trop souvent perçu comme nécessaire. Bien qu’elle souligne la difficulté de s’extraire des violences patriarcales au quotidien, Lucie conclut: “Se tenir à l’écart des hommes dans les luttes est pour moi essentiel pour une parole entendue et correctement répartie. Personne n’a envie que sa parole soit coupée, minimisée, ou appropriée.”

Pour reprendre le célèbre slogan de Mai 68, la misandrie représente pour les personnes concernées un moyen de dire aux hommes: “Ne me libère pas, je m’en charge.”

Pour aller plus loin…

  • Misandrie

“Moi, les hommes, je les déteste” (Pauline Harmange, 2020)

““Moi les hommes, je les déteste” : misandrie et sororité” (DécadréE, 7 avril 2021)

https://decadree.com/2021/04/07/moi-les-hommes-je-les-deteste-misandrie-et-sororite/

“Misandrie et hétérosexualité” (Misandrions ensemble, 18 mars 2022)

https://misandrionsensemble.fr/2022/03/18/misandrie-heterosexualite/

  • Lesbianisme politique

“La Pensée straight” (Monique Wittig, 1992)

“Le lesbianisme politique: la possibilité d’une émancipation anarchiste de la sexualité des femmes?” (Réfractions, entretien avec Natacha Chetcuti, 22 octobre 2012)

https://refractions.plusloin.org/IMG/pdf/entretien.pdf

  • Rôle des hommes dans la lutte féministe

“La lutte féministe au masculin” (DécadréE, 6 juin 2019)

https://decadree.com/2019/06/06/la-lutte-feministe-au-masculin/

“Soyez un vrai allié féministe” (Misandrions ensemble, 8 juin 2022)

https://misandrionsensemble.fr/2022/06/08/soyez-un-vrai-allie-feministe/

 

Image principale par mohamed Hassan de Pixabay

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