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Retour sur l’affaire Adèle Haenel

Retour sur l’affaire Adèle Haenel


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Révélée la semaine passée par Médiapart, l’affaire Adèle Haenel est un cas exemplaire. Médiapart parvient à révéler les mécanismes d’emprise derrière les violences et les phénomènes systémiques qui les soutiennent. Le tout avec un travail d’enquête journalistique et l’écoute du témoignage d’Adèle Haenel.

Le 3 novembre 2019, Médiapart sort un dossier complet basé sur le témoignage de la comédienne Adèle Haenel à l’encontre du réalisateur Christophe Ruchia. L’accusatrice dénonce des faits de harcèlement sexuel et d’attouchements alors qu’elle était mineure survenus pendant et après le tournage du film « Les Diables ». Les accusations, mais aussi l’enquête de Médiapart ont un fort retentissement. On parle d’un #metoo français avec de nouvelles dénonciations et des appels à soutenir les comédiennes.

À l’inverse de nombreuses affaires dénoncées ces dernières années, la révélation des accusations de la comédienne a été pensée et préparée. Elles sont intervenues après une enquête questionnant les dénonciations et permettant de mettre les faits en perspective.

Ce qu’il faut tout d’abord souligner c’est le travail d’enquête qui a été mené. Médiapart ne s’est pas contenté de faire un article mettant en opposition la version du réalisateur et celle de la comédienne. La journaliste Marine Turchi a enquêté durant 7 mois. 36 personnes ont été interrogées. Témoignages complétés par des documents, lettres, photos, journal. Dans ces recommandations, DécadréE invite les journalistes à enquêter sur les affaires de violences sexistes afin de mettre en évidence les faits. En prenant le temps de l’enquête, la journaliste parvient sans prendre position à révéler les faits. Elle diffuse ainsi tant la version du réalisateur, que de la comédienne, ainsi que des personnes sur le tournage confirmant ou infirmant avoir eu le sentiment d’un malaise.

Prendre le temps de cette enquête, c’est aller à l’encontre de la temporalité actuelle qui veut que l’on publie une révélation dès qu’elle apparait. Au contraire, c’est retrouver la temporalité des révélations et des violences. En effet, Adèle Haenel raconte ses diverses tentatives pour sortir du silence, ses doutes, ses peurs, sa honte. Des années s’écoulent avant que la comédienne ne se sente prête pour révéler la vérité. Mettre en évidence cette temporalité, c’est respecter ce cheminement. Mais plus encore, en enquêtant l’article respecte également la temporalité des violences. En effet, grâce aux témoignages, le dossier illustre la construction de l’emprise qui se fait petit à petit.

En attendant 7 mois avant de révéler les faits, Marine Turchi évite ainsi le phénomène du feuilleton et propose un dossier complet qui révèle les violences dans toutes leurs complexités. A partir, d’un fait ponctuel : une révélation, elle reconstruit les phénomènes sociaux qui entourent les violences et les considère ainsi comme un fait de société à part entière. C’est son travail journalistique accompagné du témoignage d’Adèle Haenel qui permet cette reconstruction. En effet, en interrogeant les différents corps de métier présents sur le tournage. La journalistique met en évidence le système de silence et d’omerta qui laisse place aux violences et à l’emprise. En proposant cette analyse, elle permet ainsi de mettre en perspective les faits et de les comprendre comme des phénomènes sociétaux. L’article interroge ainsi déjà le contexte de la production cinématographique, les relations asymétriques, les huis clos et le silence qui le caractérise. C’est notamment grâce à ce travail que l’on peut aujourd’hui espérer que l’affaire Adèle Haenel fera date et qu’elle constitue un évènement dans le cinéma français. L’affaire n’est pas traitée comme un simple fait divers, mais au contraire comme un fait exemplaire du système, dont il provient.

L’enquête, couplée à cette juste mise en perspective des faits et de la temporalité permet de révéler les mécanismes des violences sexistes. Le dossier décrit ainsi avec précision les phénomènes d’emprise et de honte qu’a subis la comédienne. Il met également en évidence les phénomènes de silence et l’atmosphère qui permet les violences. Sans accuser personne, c’est bien le système dans lequel chaque acteur et actrice du tournage se trouve qui est révélé. Chacun et chacune aurait ainsi pu agir et empêcher les faits, comme le montre la culpabilité que beaucoup ressentent. Le phénomène est ainsi complexe, et s’il ne s’agit pas t’excuser l’auteur de violence, qui a toute responsabilité, mais de montrer que la réalité est complexe.

Cette complexité se ressent dans le portrait de l’auteur des violences. La journaliste ne rentre dans aucun mythe de la culture du viol, elle ne charge aucune excuse, ni la consommation d’alcool, ni la prise de drogue, ou la pathologisation n’interviennent pour décrire le réalisateur. Dans une interview en direct la comédienne va encore plus loin : » Les monstres ça n’existe pas, c’est la société, ce sont nos amis, nos pères…on ne veut pas les éliminer, mais les faire changer…mais il faut savoir se regarder ».

Cette enquête est ainsi exemplaire parce qu’elle parvient à faire un travail de fond sur les violences sexistes par le biais d’une révélation. Ceci grâce bien sûr au cheminement d’Adèle Haenel qui parvient avec recul à elle-même révéler ces mécanismes, mais aussi à l’implication de Marine Turchi.

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