Femmes, médias et politique
Décryptage
Dans la perspective des prochaines élections genevoises du Conseil d’état en 2023, décadréE propose une série de décryptages sur les représentations des femmes en politique dans les médias.
Deux portraits, un traitement médiatique orienté par le genre
Le choix des mots et des images crée un discours particulier et appuie la narration. Toutefois, la récurrence de biais dans les portraits de femmes crée des inégalités de traitement. Au début de l’été, la Tribune de Genève dessine le portrait de deux maires de communes genevoises. Deux parcours, deux personnalités, deux communes.
Ces portraits ont été choisis pour leurs similitudes : deux portraits de personnes politiques genevoises élues à la fonction de maire, deux publications proches dans le temps. De plus, un effet d’exceptionnalité est mis en avant dans les deux articles.
Comme vous l’aurez deviné, l’une des personnes portraiturées est un homme, maire de Thônex, l’autre une femme, maire du Grand-Saconnex.
- « Il est le plus jeune maire du Canton », 16.06.2022
- « La première maître ferblantière romande prend la tête du Grand-Saconnex », 23.06.2022
Décryptons si des biais sexistes orientent la lecture selon le genre du sujet.
Seules les femmes politiques sont tiraillées entre le travail et la vie privée
La thématique de conciliation des vies n’est quasiment jamais abordée pour les hommes, rappelant bien que le rôle d’assumer les charges domestiques reste assigné aux femmes. Dans la presse suisse, le statut familial des femmes est mentionné presque 3 fois plus que pour les hommes (1). Souvent elles sont renvoyées à leur rôle de mère, d’épouse ou de compagne remettant en question (directement ou indirectement) leur légitimité à travailler à l’extérieur du foyer.
Côté vie privée, nous découvrons que seule celle de la maire est mentionnée : de son compagnon à la difficulté à concilier les vies, des thèmes récurrents dans les portraits de femmes. Voici le tableau de comparaison des mots-clés ou phrases clés décrivant les deux personnalités politiques : la description physique et la mention de la vie privée sont absentes du portrait masculin.
Tableau des mots-clés
Portrait masculin | Portrait féminin | |
Descriptif de la personnalité | Avec humilité Sans plan de carrière Volonté de s’engager |
Volonté de mettre son énergie au service de sa commune Ambition de « bien faire » Sans ambition politique Optimiste |
Descriptif physique |
/ |
Discret piercing à l’arcade |
Vie privée |
/ |
« Chéri » |
Une expertise professionnelle diluée ou renforcée selon le genre
Autre trace de sexisme ordinaire dans le cadrage médiatique : on décrit les accomplissements des femmes par des verbes de médiation ou avec des auxiliaires au passif, tandis que ceux des hommes sont décrits avec des verbes actifs et offensifs (2). Lorsqu’une femme prend un poste à responsabilité, on focalise sur son genre et non sur ses compétences. Invisibilisées, seuls 28% des personnes mentionnées dans les médias sont des femmes (3).
Par exemple, leur parcours ascensionnel n’est pas décrit de la même manière : d’un côté, il est acteur de ses accomplissements, les verbes utilisés pour décrire son parcours reflétant l’action. De l’autre, sa carrière politique la guide, les verbes utilisés reflétant une passivité. A cela s’ajoute un mentor paternel qui l’inspire, tandis qu’il s’est construit une carrière par sa propre « volonté de s’engager ».
Tableau d’analyse lexical
Portrait masculin | Portrait féminin | |
Adversités | Frilosité parentale Origine familiale modeste Âge |
Genre Maladie |
Accomplissements
|
Prend les rênes |
Prend la tête |
Extraordinaire
Le choix des mots, notamment dans les titres, chapôs et mises en exergue des articles, a un impact particulier et guide la lecture. Leur mise en évidence par des superlatifs (le ou la plus jeune), par exemple, ou d’adjectifs numéraux (premier, deuxième…) construit un effet d’exceptionnalité réel ou supposé. Présent dans les deux articles, l’effet d’exceptionnalité ne se focalise pourtant pas de la même manière. L’effet de la maire du Grand-Saconnex souligne surtout son genre (7 occurrences) incluant une fois son âge. Concernant le maire de Thônex, seul son âge est souligné (2 occurrences). Globalement, les deux sont les plus jeunes mais ne jouent pas dans la même catégorie. Il y a la catégorie des maires de Genève et celle des femmes maires de Genève.
Par ailleurs, qu’elles soient patronnes de grandes entreprises ou entrepreneuses à leurs débuts, les femmes semblent renvoyées à une forme d’« éternelle jeunesse » professionnelle, quel que soit leur âge (4). Rappelons que le physique des femmes est plus souvent décrit et leur tenue commentée, ainsi que le montre le premier tableau. Par les médias, une femme sur deux est décrite physiquement pour moins de 1 sur 3 hommes (5). La description du physique comprend également l’âge, ou plutôt la jeunesse, des portraiturées.
Tableau du champs lexical de la jeunesse
Portrait masculin | Portrait féminin | |
Effet d’exceptionnalité
|
2 mentions : le plus jeune maire (titre et 1er paragraphe) | 7 mentions : la première maître ferblantière (2x), la seule maître ferblantière, la plus jeune femme, seule fille sur 30 élèves (2x), la première apprentie |
Jeunesse
|
5 occurrences « jeune- » |
3 occurrences « jeune- » |
Mentor |
Emmené par son ami (aujourd’hui député) |
L’amour de l’engagement qu’elle partage avec son père
|
La jeunesse, associée à l’inexpérience, est mentionnée deux fois pour la maire du Grand-Saconnex. Concernant le maire de Thônex, l’article titre sur sa jeunesse : associée également à l’inexpérience, elle est mentionnée trois fois. Or, la présence de mentor contribue à créer une sorte d’illégitimité ou d’inexpérience et est présente que chez le portrait féminin.
Lors d’une carrière, la présence de figure fondatrice, inspirante ou adjuvante revient souvent. Presque systématiquement des hommes, la présence de ces figures sont presque indispensables lors de carrière féminine. La personne inspirante pour le maire est à peine évoquée. Pour la maire, il s’agit de la figure paternelle, qui la guide tant en politique que pour son choix professionnel. De plus, la reprise du terme familier issu du langage enfantin « papa » renforce les liens d’autorité à la lecture.
Au delà de ces différences, ces stéréotypes sexistes induisent au lectorat une interprétation bien distincte de l’expérience et des compétences selon le genre de la personne portraiturée. Le choix des verbes, des images, des mots traitent différemment les personnes. Les femmes n’étant encore que peu présentes dans les médias, il est important d’éviter ces biais afin que leur parcours ne soit pas invisibilisé au travers de leur prétendue féminité mais bien qu’elles soient légitimes et leur compétence et expérience mises en avant.
NOTES
(1) GMMP Global Media Monitoring Project 2020, Suisse, Résumé analytique.
(2) Étude Mots-Clés pour SISTA x Mirova Forward sur le traitement médiatique des entrepreneuses et dirigeantes, mars 2022.
(3) GMMP, op. cit.
(4) Étude Mots-Clés, op. cit.
(5) Études décadréE, Genre et politique, représentation dans les médias, mars 2020.