Femmes, espace public et politique
Décryptage
Dans la perspective des prochaines élections genevoises du Conseil d’état en 2023, décadréE propose une série de décryptages sur les représentations des femmes en politique dans les médias. Ce deuxième décryptage ne se concentre pas sur les biais d’écriture à proprement dit sinon sur l’euphémisation, voire la négation, du sexisme. L’effet ? Le sexisme en devient d’autant plus banalisé. Analysons pour cela le cas de la médiatisation d’une réaction sexiste, soit le refus de la féminisation du nom d’une rue.
Les femmes, grandes absentes de l’espace médiatique public
Les chiffres sont là. Les femmes ne sont mentionnées dans les médias qu’à hauteur de 28%, c’est dire si elles ne monopolisent pas l’espace médiatique. Même pas un article sur trois. Et si on y regarde de plus près, seuls 5% des contenus contribuent à remettre en question les stéréotypes (1).
Pour faire évoluer les idées, pour changer nos manières de penser, nos références doivent aussi évoluer. En d’autres termes, si nous sommes quotidiennement martelé-es de représentations sexistes ou inégalitaires, il est difficile de se remettre en question.
Voilà pourquoi les médias ont un rôle à jouer en défiant les stéréotypes, en traitant de manière égalitaire les personnes sur le papier, ou bien encore en questionnant les manifestations de sexisme.
Timide questionnement de l’absence, le cas de l’espace public
Récemment, Femina consacre un article sur les statues publiques et conclue que non seulement 90% des statues représentent des hommes mais aussi que les rares représentations féminines, bien souvent anonymes ou symboliques, sont dénudées (2).
Quant à nommer les avenues, selon la RTS, seules 5 à 7% des rues honorent des femmes en Suisse romande en 2019 (3). L’année suivante, Le Temps rapporte que « le législatif de la capitale valaisanne a refusé un postulat demandant d’augmenter le nombre de rues portant le nom d’une femme » (4). Conclusion, les femmes sont peu visibilisées sur les édifices des espaces publics et les médias remettent rarement en question cette invisibilisation, bien que l’information soit relayée.
Accès toujours refusé, l’exemple de la rue Julia-CHAMOREL
Tout le monde s’accorderait volontiers aujourd’hui sur le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Alors pourquoi tant de réticence à mettre en valeur des femmes dans les noms de rue ? Des habitant-es de quartiers concernés s’opposent parfois à ces changements de noms. C’est le cas au quartier genevois des Grottes, où la Rue du Midi se nomme désormais Rue Julia-CHAMOREL. La Tribune de Genève accorde au passage une Encre bleue (5) illustrant cette action militante sexiste par des photographies explicites. Malheureusement, sans aucun questionnement des stéréotypes véhiculés par le remplacement du nom de la rue par les opposant-es à la féminisation. Le résultat, l’action sexiste est légitimée.
Nous allons décrypter ce traitement médiatique. Rappelons d’abord que seuls 5% des contenus remettent en question les stéréotypes et que moins d’une rue sur 10 porte le nom d’une femme.
Lorsqu’elles sont nommées et visibilisées, les femmes sont renvoyées à leur rôle féminin (6). Dans cette manifestation d’opposition au changement de nom, de fausses plaques ont tapissé celles de la rue Julia-CHAMOREL. Sous couvert d’humour –une manifestation de sexisme comme nous le verrons plus bas- les femmes n’ont pas leur place dans la rue. « Katja Strov », « Aretha Connery », « Kim Fonchiez », ou encore « Théa Loueste » peut-on lire dans le billet. Elles sont « journaliste », « chanteuse », « mondialiste » et « politicienne », notant bien qu’elles n’ont rien à faire ni dans ces métiers, ni dans la rue. Dans ce cas, au lieu de leur attribuer des fonctions dites « féminines », elles sont ridiculisées.
Regrettons que l’humeur n’était pas au questionnement des stéréotypes sexistes véhiculés dans cette encre bleue. Notons aussi que 28% des articles de presse contiennent des éléments excusant les auteurs de violence sexiste (7), qui ont ici le « goût du jeu de mots ». L’humour invoqué dès le chapô excuse une action qui délégitime les femmes :
- dans l’espace public, elles n’ont rien à y dire ;
- à différentes fonctions sociales, elles sont décrédibilisées professionnellement ;
- en qualité d’actrices historiques, elles n’ont pas à recevoir l’honneur de nommer une rue.
Il arrive que, sous couvert de transmettre une information partiale, les phénomènes discriminants ne soient pas éclairés correctement et que les contenus médiatiques soulignent et reproduisent une forme de discrimination. Les représentations influencent le lectorat, surtout si elles sont répétées. Le sexisme étant largement banalisé dans les discours et les contenus, il est important que les rédactions se forment pour construire une presse plus égalitaire. Enfin, pour en savoir plus sur la rue Julia-CHAMOREL, rendez-vous sur la page qui lui est consacrée.
NOTES
(1) GMMP Global Media Monitoring Project 2020, Suisse, Résumé analytique.
(2) « Les statues publiques sont-elles sexistes? », Femina, 13.06.2022
(3) « Dans les rues de Sion, où sont les femmes? », Le Temps, 02.03.2020
(4) « Seules 7,1% des rues portant le nom de personnalités honorent les femmes », RTS, 21.03.2019
(5) « Midi fait de la résistance », Tribune de Genève, 15.10.2022
(6) Études décadréE, Genre et politique, 2020.
(7) Étude décadréE, Traitement médiatique des violences sexistes, rapport 2020.