Avec une interview dans l’Illustrée de la semaine du 20 novembre, le président du Conseil d’Etat genevois croit s’excuser pour des propos discriminants et redorer son image, mais produit en fait de nouvelles discriminations et instrumentalise sa femme et sa paternité. Analyse.
Dans les kiosques, la Une de l’Illustré ne passe pas inaperçue. Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat genevois, y pose avec sa femme enceinte. Passer cette première image qui questionne, on se rend compte de l’ampleur de la problématique : des images utilisées, au discours, jusqu’à la construction de la pensée et les mots choisis, la Une et les 6 pages d’interview sont exemplaires d’une stratégie discriminante entre instrumentalisation et victimisation.
Il faut d’abord souligner les photographies. Elles captent le regard, nous frappent et diffusent une image bien choisie, une image lisse, correspondant parfaitement aux normes de la société. Mais ce n’est pas le manque de subversion de l’image, qu’il s’agit de questionner ici, mais sa cohérence en tant que telle. Choisir de se mettre en avant avec sa femme enceinte pour répondre à des accusations de discriminations relève d’une instrumentalisation flagrante du corps de la femme et de la cause féminine. La construction même de l’image est stéréotypée : la femme ne regarde pas la caméra, elle a le regard baissé, la main sur son ventre. Plus encore, quelques pages plus loin, on retrouve la photo coupée, ne laissant voir plus que le ventre de la femme enceinte. Comme dans de nombreuses publicités, le corps est déshumanisé, objetisé. Pourquoi d’ailleurs mettre tend en avant cette maternité future pour un article portant sur le discours discriminant de monsieur Hodgers ? Il aurait pu décider de poser à son bureau, dans un parc à côté d’un arbre ou en Valais. Le fait même d’avoir décidé de poser avec sa femme pour répondre à des accusations de discriminations sur plusieurs thématiques est symptomatique d’une stratégie d’instrumentalisation.
Mais l’image n’est que le haut de l’iceberg. Dans son discours monsieur Hodgers prétend être féministe, écologiste et lutter contre les discriminations. Pourtant il catégorise et use de stéréotypes à maintes reprises. Lorsqu’il dit « J’oublie parfois que Genève, c’est déjà un peu la France », il généralise et catégorise les Genevois-es ou lorsqu’il dit « Aujourd’hui, je me dis que les journalistes cèdent trop souvent au réflexe corporatiste ». Catégoriser les personnes, les mettre dans les cases est la première phase qui amène à la discrimination. Stéréotyper, généraliser, est la deuxième étape de ce processus. Monsieur Hodgers, là encore use de nombreux stéréotypes, lorsque par exemple il retourne ses dires à l’encontre de la journaliste du Temps, Laure Lugnon, en les requalifiant pour des hommes et en utilisant le foot : « il est amoureux de Maudet, comme un ado fan de foot est amoureux de Messi ». Un adolescent ne peut-il pas être fan de Justin Bieber. Cela remet-il à ce point sa masculinité en question que cet exemple n’est pas viable pour un homme ? La dernière étape de ce processus est le fait de poser des actes sur ces préjugées. Or, en tant que personnalité d’Etat, Antonio Hodgers a une responsabilité d’exemplarité. Ces propos, dans une telle interview, sont problématiques et relèvent d’une discrimination en soi. Les mots sont des actes, d’autant plus lorsqu’ils sont prononcés par une personnalité publique.
L’utilisation de l’argumentaire de l’humour est en effet une pirouette classique contre le discours féministe, dénonçant les propos sexistes et discriminants : « Je l’ai donnée sur elle sous la forme d’une boutade, dans le cadre d’une émission humoristique ». Les mots restent des mots, les insultes restent des insultes et les stéréotypes restent des stéréotypes. D’autant plus que Monsieur Hodgers n’est pas un humoriste, mais un politique qui doit peser ses mots. A 4 jours de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, il est important de souligner que les blagues sexistes, ou tous propos discriminants, sont à la base du continuum des violences faites aux femmes. En assumant de tel propos par le bais de l’humour, le politique participe à ce continuum et à ce système qui fait qu’un féminicide a lieu toutes les deux semaines en Suisse. Il est important de mettre en évidence que les violences faites aux femmes sont le fruit non pas seulement d’actes individuels, mais d’un système qui justifie, invisibilise et permet les violences. Il suffit d’aller en page 43 du même magazine, pour prendre l’ampleur de ce système. Or Monsieur Hodgers, qui se dit pourtant féministe, ne semble pas en avoir conscience puisqu’à aucun moment ce niveau apparait dans l’interview. Ces excuses restent au niveau individuel « J’ai peut-être blessé des gens ». Bien sûr que ces propos ont eu un impact individuel, mais ils ont eu un impact beaucoup plus grand sur la construction de la société en générale, tout comme cette interview.
L’article dit ainsi tout et démontre le contraire. Cet interview et les propos, qu’Antonio Hodgers a tenu ces derniers mois, sont de vraies discriminations à l’encontre des femmes, mais aussi des hommes et de toute la population, qui sont catégorisés dans des rôles de genre stéréotypés. Il reproche à ses détracteurs et détractrices d’avoir un argumentaire bancal et de rester dans l’émotion. Mais que fait-il lorsqu’il prétend avoir « le sang chaud » ? Justifier son engagement en mettant en évidence les personnes qui l’entourent, comme sa mère, sa femme, son ami valaisan, est-il une manière de garantir son engagement contre les discriminations alors que la construction même de ses phrases dit le contraire ?
Pour finir, la stratégie de communication en elle-même est une instrumentalisation de la cause des femmes et de la paternité. D’un côté, il sur-valorise son engagement en tant que père et de l’autre, il se victimise en tant qu’homme et en tant que politicien. Deux stratégies qui montrent que Monsieur Hodgers n’a aucunement déconstruit le système dans lequel il vit et qu’au contraire il profite pleinement de tous ses privilèges. Son implication pour les tâches ménagères est « un engagement ». Il devrait pourtant être naturel pour l’homme féministe qu’il prétend être ? Eduquer un enfant et notamment s’occuper d’un nouveau-né est une tâche ardue qui demande un investissement total. De nombreuses femmes, laissée seule après la naissance de leur enfant, alors que leur corps est épuisé par la grossesse et le post-partum, font un burn-out maternel. Pourtant Antonio Hodgers se réjouit de « pouponner », si on lui laisse cette chance bien sûr. Son engagement politique semble passer avant sa paternité. « J’ai répondu que je laisse la porte entrouverte (…) c’est une candidate qu’il faut. Cela me permettrait de pouponner sereinement. » D’un autre côté, alors qu’il valorise sa paternité, il se pose lui-même en victime et renie ainsi complétement la gravité de ses propos et sa responsabilité : « Je suis constamment sous le feu de la critique et c’est dur. »
L’interview est ainsi à maintes reprises symptomatique de stratégies de victimisation et d’instrumentalisation. Elle montre en tous points que Monsieur Hodgers n’a à aucun moment pris la mesure de ses propos, qu’il ne s’excuse pas et pire encore elle produit en elle-même une nouvelle discrimination.