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Les candidates font-elles peur?

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Les candidates font-elles peur?


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Le traitement médiatique des candidates et candidats au Conseil d’Etat genevois

L’institut décadréE a suivi les élections genevoises au Conseil d’État et au Grand Conseil ainsi que la représentation dans les médias des candidates et des candidats. De manière générale, l’institut constate que les journalistes et les médias se préoccupent à ne pas reproduire de sexisme. Celui-ci se révèle pourtant à l’analyse du traitement médiatique des candidates et des candidats. Si les écueils sont rarement volontaires, ils se manifestent souvent par la reproduction des représentations sociales attendues selon le genre.

Est-ce que les candidates font peur? Du moins, les dernières élections qui ont eu lieu en Suisse romande se démarquent par un nombre de candidates plus élevé qu’auparavant. Pour le canton de Vaud, les élections du Grand Conseil de 2022 sont marquées par 39% de candidates, soit 5 points supplémentaires qu’en 2017 (1). A Genève en 2023, 39% de femmes figurent sur les listes de candidatures, pour 36,9% en 2018 (2). Or, si le taux de candidates progresse de quelques points à chaque élection, il est encore loin de la parité. De plus, cette progression est traitée par les médias comme une menace pour l’équilibre politique. Un vocabulaire guerrier ou infantilisant dépeint encore trop souvent les candidates en leur défaveur.

Après le monitorage des élections au Grand Conseil puis celui du Conseil d’État, voici l’analyse textuelle de la couverture des élections du Conseil d’État Genevois. Ce décryptage des portraits des candidat-es boucle le triptyque du monitorage des médias des élections genevoise de 2023. Cette étude est soutenue par le Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences du Canton de Genève.

Lire aussi : Les élections au Grand Conseil genevois et Élection du Conseil d’État genevois

Décryptage

Schématiquement dans les représentations médiatiques, les femmes sont définies par leur corporalité féminine, aussi les décrit-on physiquement beaucoup plus souvent. Les hommes sont définit par leurs actions, leurs expertises et réalisations étant mises en valeur. La publicité a depuis longtemps utilisé ces représentations, la presse aussi reprend ces stéréotypes.

Dans la publicité, les femmes montrent leurs corps, les hommes montrent le produit. (3)

Buvard Gaz / Eau chaude sur mesure (année inconnue)
Chaudières Pacific et Pierre Fix-Masseau (1958-1960)

Dans la presse, les femmes posent pour la photo, les hommes montrent leur travail.

Femina | édition du 29 août 2021
L’illustré | édition du 16 décembre 2020

De plus, la répétition de certains motifs reproduit des stéréotypes. A titre d’exemple, une interview de 2022 d’une journaliste télévisuelle revient sur ses tenues vestimentaires cinq fois dans l’article. Dès le chapô, à la légende d’une photographie puis trois des seize questions publiées, soit presque un cinquième des questions, abordent son apparence vestimentaire. Parler des vêtements de la personne interviewée n’est pas nécessairement sexiste mais l’insistance sur de telles thématiques peut le devenir, considérant que les femmes doivent forcément accorder plus d’importance à leur tenues que les hommes (4).

A cela s’ajoute l’utilisation de champs lexicaux spécifiques selon le genre représenté, qui peuvent également reproduire des stéréotypes. En 2020, décadréE analyse la couverture médiatique des élections du Conseil administratif de la Ville de Genève et constate que « 70% des articles portant sur des femmes contiennent un vocabulaire de l’émotion pouvant aller de la description d’émotions vives, voire incontrôlées « coup de sang », « passionaria », à la description d’émotions liées à l’amour. On parle ainsi de « coup de foudre » avec une région ou « d’épouser » un style, autant d’expressions absentes des articles représentant des hommes ».(5)

L’usage d’un vocabulaire genré, sexiste et dévalorisant est d’autant plus remarquable lorsque ce dernier est repris dans les titres, les mises en exergues et les chapôs. En effet, les passages mis en avant accentuent souvent les stéréotypes et jouent un rôle essentiel dans la reproduction du sexisme. Cette présente analyse permet donc de mettre en lumière les principaux phénomènes de discrimination liée au genre dans les représentations des candidates et des candidats.

Le traitement médiatique des candidates et candidats

Dans l’analyse des élections genevoises de 2023, plusieurs écueils sont retenus. Tout d’abord, le vocabulaire spécifiques au féminin ou au masculin est systématiquement recensé. Ensuite, l’institut de recherche a retenu toutes les citations de l’entourage : en les étudiant, il ressort qu’elles sont aussi fortement orientées par le genre. Enfin, les discriminations liées au genre touchent tout le monde et s’accompagnent d’autres forme de préjugés. Les hommes peuvent en être victimes, notamment s’ils ne correspondent pas aux critères attendus de la masculinité.

Pour réaliser cette analyse, vingt-cinq portraits, parfois suivis ou précédés d’un entretien, ont été décryptés.

Particularités des articles analysés

Vocabulaire orienté par le genre

Une représentation médiatique différenciée selon le genre renvoit les femmes et les hommes à des stéréotypes qui décrédibilisent en particulier les candidates. La distinction entre les hommes et les femmes assigne les personnes à des rôles genrés et les hiérarchise. Socialement, les hommes sont jugés plus nobles que les femmes, plus efficaces ainsi que plus légitimes en politique. C’est pourquoi, il est primordial de comprendre et détecter ces biais lexicaux afin de créer de nouveaux modèles en politique.

En 2020, l’étude de décadréE des représentations des candidat-es politiques dans les médias relève que le vocabulaire choisi diffère selon le genre des personnes portraiturées. Ainsi, 70% des portraits de candidates fait appel à un lexique émotionnel pour 36% des candidats et 50% des femmes sont décrites physiquement pour seulement 27% des portraits d’homme. Les mêmes schémas représentatifs se dessinent en 2023. Voyons de plus près les champs lexicaux les plus présents.

Les candidates sont plus concernées par un lexique infantilisant les renvoyant à une éternelle jeunesse professionnelle ou par la présence d’éléments adjuvants leur carrière. Le lexique infantilisant va même jusqu’à renvoyer une candidate à l’état de nourrisson, utilisant l’expression « biberonnée à la politique » pour parler de sa présence dans les sphères politiques. Par ailleurs, elles sont volontiers décrites comme de « jeunes femmes », leur scolarité étant également mentionnées, même lorsqu’elles ont une longue carrière derrière elles. Le terme « petite » remplace celui de « jeune », si ce second devient inadéquat à la situation. De leur côté, les candidats sont de « jeunes hommes » uniquement parce qu’ils ont moins de 30 ans et la mention de leurs études commence généralement à l’université.

Tant pour les hommes que pour les femmes la description de la « jeunesse » des candidat-es remet en question les compétences et capacités à exercer la fonction politique. Ce motif est largement accentué pour les candidates. La figure du « père » (ou d’autres personnes de l’entourage familial) représente un mentor essentiel ou un élément clé de leur carrière. Le mentor est également un élément narratif des carrière masculine mais bien moins prépondérant et, surtout, bien moins infantilisant.

Si les candidats ont aussi des mentors familiaux, ils sont toujours acteurs de leur carrière tandis qu’elles sont infantilisées.

Un bon nombre de portraits font par ailleurs allusion au caractère « belliqueux » des candidat-es, prêt-es à guerroyer pour un siège au Conseil d’Etat. Ce champs lexical était déjà présent dans 80% des portraits de candidates en 2020 contre 55% des portraits de candidats. Historiquement, la guerre est plutôt l’apanage des mâles. Dans ces cas de figures, des caractéristiques masculines sont empruntées pour décrire la compétitivité des candidates. Le vocabulaire du combat viril décrit ainsi désormais aussi des candidates. Or, son usage glisse parfois en leur défaveur : virilisées, elles en deviennent contre-natures, voire dangereuses pour l’équilibre politique. Ainsi, la candidate « fonceuse qui fait feu de tout bois » devient progressivement une « tueuse » et une « fossoyeuse ». Une autre est décrite comme la « combattante à l’assaut de l’exécutif ». Plus loin, on dit d’elle qu’elle « a de la peine à négocier ».

Taux de l’usage du vocabualire guerrier selon le genre de la personne.

Les femmes, dangereuses pour l’équilibre politique ? Un leitmotiv souvent repris par la presse quand il s’agit de couvrir des élections. Les femmes deviennent une menace pour les hommes en politique. La presse suisse en 2022 a largement véhiculé cette image de déferlante féminine menaçante pour les (hommes) politiques, les titres illustrant des femmes menaçant « les sièges masculins », allant jusqu’à craindre pour « leur existence politique ». Voici quelques exemples des titres couvrant l’actualité politique en matière d’égalité (6).

Exemple de titres parus lors de la couverture d’actualités politiques en 2022

Faire attention aux biais et aux clichés dans le vocabulaire utilisé. DécadréE recommande d’éviter les biais de genre dans l’écriture et d’utiliser un vocabulaire neutre ainsi que d’éviter de comparer les femmes avec les membres masculins de la famille et de ne pas l’utiliser afin d’interroger leur légitimité à prendre un poste de pouvoir.

Avis de l’entourage politique et professionnel

Afin de donner un caractère objectif, l’ajout d’avis externes permet de nuancer ou d’éclairer la narration des portraits et de sourcer leur parcours. Premier constat : seuls les hommes se passent de ces sources externes. Les journalistes insèrent dans tous les portraits de femmes un ou plusieurs avis. Second constat : si les avis sont bien souvent partagés et nuancés, le savoir-être des candidates est souligné dans 100% des articles, parfois modéré par la mention de leur expérience ou leur performance. A l’inverse, lorsqu’il s’agit de décrire les hommes, certaines sources se contentent d’énumérer leurs accomplissement et leurs réalisations sans un commentaire sur leur attitude.

Taux d’insertion d’avis de l’entourage et types de description

Les femmes sont perçues professionnellement au travers de leurs attitudes, soit leur savoir-être, et non au travers de leurs réalisations, un attribut très masculin. On définit les femmes pour leur nature féminine et non pour ce qu’elles font. Par ailleurs, « être femme » présuppose aussi que les thématiques « féminines » telles la conciliation des vies et l’engagement féministe soient inhérentes à leur nature. En d’autres termes, les questions d’interviews sont elles aussi orientées par le genre de la personne interviewée. Les thématiques « féminines » sont abordées de manière quasi systématique par les journalistes lors d’interview d’une femmes dirigeante ou de pouvoir (7).

Concernant le corpus analysé, sur les quatre entretiens de candidat-es (deux femmes et deux hommes), la thématique féministe est amenée dans deux d’entre eux. Interrogeant une candidate sortante, c’est la journaliste qui amène la thématique. Pour un autre entretien, c’est le candidat qui aborde spontanément dans sa réponse les questions d’égalité.

Si sept articles du corpus reproduisent de manière problématique des clichés sexistes, cinq concernent des portraits de femmes. A l’inverse, quatre articles seulement ne recensent aucune forme de problématique, soit deux portraits de femmes et deux portraits d’hommes. Pour considérer un article problématique parce qu’il reproduit du sexisme, il faut que :

  1. Plus de trois biais soient recensés;
  2. Un ou plusieurs biais soient répétés et soulignés ;
  3. Un biais ou plusieurs biais soient ouvertement sexistes ;
  4. La reprise de propos sexistes ne soit pas argumentée et remise en perspective.

Les biais, leur emplacement et leur récurrence dans les articles sont analysés selon une grille spécifique codée. Une fois recensés, les biais sont à nouveau analysées contextuellement, afin de détecter d’autres intentions narratives. A titre d’exemple, une métaphore vestimentaire revient dans plusieurs articles pour parler de manière figurée de la fonction de magistrat-e. Or, le vêtement n’est pas le même s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Les magistrats portent « le costume » tandis que les magistrates, « l’habit ». Simple coïncidence ou sexisme ordinaire ?

Toujours concernant la description de l’apparence des candidat-es, si elle a lieu, celle du physique des hommes se concentre sur les attributs masculins. Aussi mettra-t-on en avant une cravate, une stature imposante ou une « voix puissante ». Si l’accent descriptif des attributs physiques peut être sexiste ou dévalorisant pour les unes, il ne l’est pas forcément pour les autres, soulignant l’adéquation avec le milieu politique.

Visibiliser des femmes dans tous les domaines. DécadréE recommande de ne pas essentialiser l’expertise des femmes et des hommes et de prendre en compte la pluralité des domaines de compétences. Est-ce que l’article évite les stéréotypes de genre (associer les hommes avec un vocabulaire actif, les femmes avec un vocabulaire passif) ? Est-ce que la féminité est le focus central de l’article interrogeant une femme ?

Sexiste, mais pas que !

Les candidates ne sont pas les seules victimes de discriminations basées sur le genre car les représentations médiatiques genrées touchent aussi les candidats surtout si leur apparence physique ne correspond pas aux masculinités hégémoniques. Les mêmes écueils que pour les portraits de candidates se dressent : focus insistant sur l’apparence et valorisation du savoir-être. Si le sexisme n’épargne personne, en raison de la hiérarchie entre hommes et femmes qu’il crée, il n’est pas du tout valorisant d’être perçu avec les codes féminins pour un homme, notamment dans les milieux politiques. A l’inverse, il peut être gratifiant d’être décrite avec les codes masculins, pour autant qu’ils restent mesurés. D’où certainement l’abondance du langage guerrier pour certaines candidates.

A cela s’ajoute d’autres discriminations comme l’âgisme ou le classisme, par exemple, souvent entrecroisés. S’il semble raisonnable de questionner l’expérience d’un-e jeune candidat-e pour un poste de magistrat-e, la limite d’âge est cependant appréciée différemment selon le genre, mais également l’origine politique de la personne concernée. Il va de soi que la stratégie de communication des partis et des candidat-es a également un rôle non négligeable à jouer. Aussi la réitération de ces différenciations basées sur le genre réaffirme la présence encore contre-nature des femmes (et des moins de 30 ans) dans les sphères politiques et décisionnelles de l’État sans pour autant que l’article soit problématique en soi.

DécardéE recommande d’avoir conscience de l’importance des médias dans la construction des représentations. Réduire les femmes à leur genre, participe à effacer la diversité des vécus et des parcours et à invisibiliser les compétences de chaque femme. Lors de la description physique, demandez-vous si vous vous attardez sur des attributs soulignant le genre (cravate pour les hommes, couleur du rouge-à-lèvre pour les femmes) et demandez-vous si c’est essentiel au récit ?

Cette étude est possible grâce au soutien du Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences du Canton de Genève.

Lire aussi Les élections au Grand Conseil genevois et Élection du Conseil d’État genevois.

EN SAVOIR PLUS

(1) Les chiffres de l’égalité – Vaud 2022, Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH) et Statistique Vaud (StatVD)
(2) « Candidat, dis-moi d’où tu viens! », Tribune de Genève, 16.02.2018
(3) Le Sexisme dans la publicité française, Rapport de l’Observatoire de la publicité sexiste, 2019-2020, janvier 2021, Résistance à l’Agression Publicitaire.
(4) « Hannah Schlaepfer: «J’aimerais créer une émission politique au ton décalé» », L’Illustré, 10.03.2022.
(5) Étude décadréE, Genre et politique, représentation dans les médias, mars 2020.
(6) « Médiatisation des femmes politiques : grande absence ou surreprésentation?« , décadréE, 14.03.2023.
(7) Etude Mots-Clés pour SISTA X Mirova Forward sur Le traitement médiatique des entrepreneuses et dirigeantes, mars 2022.

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