Décryptage
Dans notre rapport de recherche publié en 2023, portant sur une veille médiatique entre juillet 2021 et novembre 2022, nous voyons que 369 sujets médiatiques sur 2’940 portent sur les questions d’identités de genre. Parmi ceux-ci, certains portent plus spécifiquement sur les jeunes trans* et non-binaires (moins de 18 ans). Nous proposons d’analyser ces sujets médiatiques pour mettre en évidence certaines formulations inadéquates pour un meilleur traitement médiatique de cette thématique.
Le traitement médiatique des jeunes trans* et non-binaires
Lorsqu’il est question de jeunes trans* et non-binaires, plusieurs des sujets médiatiques analysés dans la veille s’anglent sur la transition médicale, que ce soient des opérations chirurgicales ou des traitements hormonaux, malgré le temps d’attente moyenne de 2 ans pour débuter une hormonothérapie en Suisse(1).
Ainsi, les termes utilisés se concentrent sur l’aspect médical et non sur l’identité des jeunes, ce qui amène un aspect voyeuriste et sensationnaliste. Le traitement médiatique sur les jeunes trans* et non-binaires doit tenir compte de la diversité de leurs réalités et présenter des parcours variés. Il convient de ne pas le centrer uniquement sur les questions de transition médicale, alors que les questions de transidentités incluent également les transitions sociales et que les transitions médicales ne concernent pas forcément toutes les personnes, et ne concernent pas les enfants trans* et non binaires. En effet, une transition s’effectue souvent dans plusieurs sphères: familiale, scolaire, amicale, espaces de loisirs, espaces pré-professionnels – et peut concerner, selon l’âge et surtout le ressenti, un changement de prénom, de pronom, d’habits, un changement de genre à l’état civil, etc., outre les aspects médicaux tels que les bloqueurs de puberté ou l’accès à l’hormonothérapie.
Dans les sujets médiatiques analysés, les interviews sont effectués auprès de médecins, pédiatres et parents sous l’angle de la crainte des conséquences de la transition médicale. Si la diversité des points de vues fait partie de la culture journalistique, notre veille montre peu d’articles qui donnent la parole aux parents soutenants ni aux jeunes, pourtant directement concerné-e-xs par la thématique.
Il est par ailleurs rarement question de “jeunes trans” mais plutôt de “jeunes filles [qui] ont subi une ablation des seins”. Il y a ainsi du mégenrage (ne pas désigner les personnes selon leur genre ressenti) par exemple lorsqu’il est question de “jeunes filles” ou “fillette” pour parler de garçons trans.
De plus, il est important de noter que cette visiblité peut être compliquée pour les jeunes, qui sont une population vulnérable. Une enquête d’Unisanté sur la victimisation des jeunes a montré que les jeunes trans* et non-binaires étaient plus représenté-e-xs dans les victimes de racket, agressions sexuelles et harcèlement que les jeunes cisgenres. Les jeunes trans* et non-binaires ont également une moins bonne santé générale et annoncent plus de symptômes dépressifs que les jeunes cisgenres (2).
Globalement, les sujets médiatiques sur les questions LGBTIQ+ donnent peu la parole aux personnes LGBTIQ+ et/ou expertes. En effet, dans environ 70% des sujets analysés, celles-ci ne sont pas interrogées. Le traitement médiatique des jeunes trans* et non-binaires ne diffère ainsi pas : les jeunes sont très peu représenté-e-xs dans les médias. Iels n’y ont pas la parole même si cela les concerne directement. Il est pourtant important de les rendre visible, ainsi que leurs réalités, c’est ce qui sort de notre recherche auprès des jeunes LGBTIQ+, pour connaître leurs rapports aux médias. Il est ainsi important de leur donner la parole pour des représentations correspondant à leurs existences.
Sujets médiatiques analysés pour ce décryptage :
2023.02.19, Watson, « «Je suis un garçon, maman»: le nombre d’ados trans explose en Suisse »
2023.03.19, Le Matin Dimanche, « Les mineurs en transition sont de plus en plus opérés »
2023.11.08, La Télé, « Comprendre la transidentité pour l’accepter »
2023.12.11, Tamedia, « Des médecins ont été censurés après avoir exprimé leur inquiétude »
2023.12.11, 20 minutes, « Critiques de médecins peu écoutées »
2024.10.06, lematin.ch, Les bloqueurs de puberté sous le feu de la critique
DécadréE travaille sur le traitement médiatique des thématiques LGBTIQ+ depuis fin 2020 et fait une veille de 19 médias romands. Nous avons pris des exemples parlants, sans volonté de pointer une rédaction (ou des journalistes) plus qu’une autre. Nous souhaitons montrer le manque de sensibilisation qui existe sur ces questions et proposer des outils concrets pour aider les journalistes pour un traitement plus respectueux des identités non-binaires. Nous proposons ainsi un lexique et un livret de recommandations sur les questions LGBTIQ+.
Le travail de veille médiatique des thématiques LGBTIQ+ de décadréE est soutenu par le Canton du Valais, le LGBTI Youth Fund, et la fondation oak.