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Les élections au Grand Conseil genevois

Les élections au Grand Conseil genevois


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Quelle visibilité pour les candidates

Ça y est! Les élections du Grand Conseil genevois, c’était dimanche dernier. L’institut décadréE a suivi de près cet événement dans les médias.

Le travail des médias

Réaliser une représentations des candidat-es en prenant en compte toutes les diversités est un enjeux de taille. Concernant les candidats et candidates du Grand Conseil, l’institut de recherche a analysé deux médias locaux, la Tribune de Genève et Léman bleu. Au lendemain des élections, 84 portraits et interviews ont été sélectionnés. Au final, la représentation des femmes dans les médias s’élève à 40%. Un bon point quand on sait que 39 % de femmes figuraient sur les listes de candidatures.

Nombres de femmes élues au 2 avril 2023 par parti

Sources : Site web du canton de Genève

Les enjeux de médiatisation des partis

Toutefois, les partis et les candidat-es aussi ont des responsabilités. Le travail de communication est important : il ne suffit pas de proposer une liste paritaire. Visibiliser les candidates est tout aussi important. Aussi, l’institut décadréE s’est penché sur la différence entre le nombre de candidates par liste et leur représentation dans les médias. Un résultat est positif lorsque la représentation médiatique est égale ou supérieure au nombre de candidates inscrites sur la liste.

Par exemple, un parti qui présente une liste avec 50 % de femmes (40 femmes et 40 hommes) et dont le nombre d’apparitions médiatiques des candidates est de 60 % (6 interviews de femmes et 4 interviews d’hommes), obtiendra un score de +10 %.

Source pour le taux de femmes par liste : Tribune de Genève

Taux de représentation des femmes dans les médias par parti

Source : Étude décadréE 2023.

Ces résultats dépendent également du nombre de candidates, nous précisons ainsi les partis dont la représentation médiatique des candidates est supérieure à 50 % : les Vert-e-s, le PLR et le Centre avec 57 % de candidates et les Socialistes, avec 71 %.

Par ailleurs, rendre visible les candidates n’invisibilise pas les candidats. En effet :

  1. 28 % des personnes mentionnées dans les médias sont des femmes.
  2. 32 % de sièges au Grand Conseil de 2018 à 2023 sont occupés par des femmes.

Nous dévoilerons de prochaines analyses après le 2e tour des élections du Conseil d’État le 30 avril.

Cette étude est possible grâce au soutien du Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences du Canton de Genève.

Lire aussi Les élections au Conseil d’Etat genevois

Décryptage tuerie Yverdon

Décryptage tuerie Yverdon


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Le 9 mars 2023, au lendemain de de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, un homme tuait son épouse et ses 3 filles avant de brûler leur maison et de se suicider. C’est l’hypothèse actuellement privilégiée par la police. Au-delà des faits, que peut-on aujourd’hui dire sur le traitement médiatique de cette affaire? Retour sur les principaux éléments.

Le choix des mots

Le jour suivant l’émotion est vive. L’incendie et “ses victimes” sont relayées dans plusieurs médias. À ce moment-ci de l’affaire, on ne peut encore rien dire sur l’origine de l’incendie. Auteur présumé et victimes sont ainsi considérés à égal. C’est suite au communiqué de presse de la police du 11 mars que les choses basculent. La police mentionne l’hypothèse d’un “drame familial”. Plusieurs blessures par balle ont en effet été identifiées sur les victimes. Une arme à feu a quant à elle été retrouvée à proximité du père.

 

Alors que l’hypothèse d’un féminicide et d’infanticides se dessine, les mots utilisés continuent à représenter de manière égale les victimes et leur agresseur. Les termes “drame familial” ou “tragédie familiale” (Tribune de Genève), retrouvés dans plusieurs médias, invisibilisent l’acte de violence en le théâtralisant. Il réduit également ces violences au caractère systémique en les enfermant dans l’espace privé, “la famille”. Les faits seraient un “drame” tombant tragiquement sur une famille, sans signes avant-coureurs. Or les violences sexistes au sein du couple sont, sauf de rares exceptions, l’objet d’un cycle et d’une escalade de la violence. L’emprise, les violences psychologiques, physiques et sexuelles sont autant de signes qui peuvent annoncer un féminicide. Il ne s’agit donc pas d’un drame, mais bien d’un manque de prévention. Pire dans certains cas, c’est « le drame » lui-même qui est présenté comme acteur de violences “ Le drame qui a brisé la famille” (L’Illustré)

Parler de “drame familial” invisibilise les violences systémiques et les enferme dans l’espace privé

D’autres manières de faire sont pourtant possibles . Certains médias s’engagent et utilisent les termes “féminicides” et “infanticides”, d’autres éliminent le terme “drame” pour visibiliser la violence au sein de la famille : “tuerie familiale” ou “crime familial” apparaissent. Si ces termes diminuent la portée systémique des violences et tendent à les réduire à nouveau à l’espace privé, ils ont le mérite de remettre les violences au centre. Les termes “violences domestiques” pourraient également être sollicités à juste titre pour les mêmes raisons. Il est en effet primordial de ne pas minimiser les faits tout en prenant en compte l’avancée de l’enquête.

Le sens à tout prix

Petit à petit, l’enquête des journalistes remplace dans les médias celle de la police. On investigue, on interroge et on découvre des éléments complémentaires, mais surtout on tente de trouver du sens. On peut ainsi lire des titres comme “Incendie à Yverdon: Mais comment peut-on tuer ses propres enfants?” (Watson) ou encore “Avec en toile de fond une question: comment ce père a-t-il pu commettre de tels actes?” (Blick)

Interroger des témoins et relayer leur préoccupations permet de visibiliser les questionnements et réflexions que chacun-e peut avoir face à des situations aussi violentes et choquantes que celle-ci. Cependant cela fait aussi parfois ressortir des poncifs néfastes à la prévention de ces événements, comme cet article du Matin titré “Tuerie d’Yverdon : «Ces assassins n’ont pas le courage de se suicider seuls»”. Cette citation reprise en titre provient d’une personne venue sur les lieux pour se recueillir et rendre hommage aux victimes, elle fait donc cette déclaration dans un moment intense sur plan émotionnel. Elle exprime de la colère (légitime !) envers les auteurs de violence, mais ce faisant elle associe au geste suicidaire une connotation positive (le courage).

Véhiculer de tels jugements de valeur est néfaste car ils valorisent le suicide en lui associant un aspect positif et enviable, ce qui risque d’inciter d’autres personnes à passer à l’acte. C’est face à de telles informations que le travail de journaliste prend toute son importance : son rôle est-il simplement de faire passer l’information d’un « émetteur » à un « récepteur », ou a-t-il pour responsabilité de filtrer et recontextualiser ces propos ? Pour mieux comprendre ces situations, il est essentiel de mettre les faits en perspective avec la vision des expert-es

On peut interroger le caractère intrusif de ces enquêtes sur les réseaux sociaux et la pertinence des interviews aux passant-es. Elle permettent cependant sans le confirmer (seule la justice le fera) d’approfondir la piste du féminicide et infanticide. En effet, on sait que la période de la séparation est une période à hauts risques pour les victimes de violence. Dans certains anciens posts de l’épouse relayés dans les médias, elle parle de “contrôle” et de “subir des comportements”, des éléments qui montrent le caractère cyclique et systémique des violences. Pour permettre une bonne compréhension du phénomène, il est toutefois essentiel de mettre ces éléments en perspective avec la vision des expert-es du sujet.

Expliquer mais ne pas justifier

Ainsi petit à petit, l’idée d’une violence non pas ponctuelle mais répétée et systémique peut faire son chemin. Toutefois ces pistes d’explication sont utilisées pour excuser l’auteur ou justifier son crime. Il est déresponsabilisé car “désespéré”, “acculé”. On trouve alors d’autres coupables comme la séparation : “une séparation difficile pourrait être à l’origine de ce drame” (L’Illustré).

Or si les violences peuvent s’analyser et que des facteurs de risque et de protection peuvent être identifiés, aucun élément ne peut excuser les auteurs de violence. Sans juger les personnes, on peut ainsi juger et condamner les actes.

Chaque article portant sur les faits de violences sexistes ou de suicide peut être l’occasion de sensibiliser et d’informer. Expliquer les schémas récurrents des violences ou visibiliser les ressources d’aide sont autant d’outils à disposition. Il est ainsi conseillé de mettre des ressources d’aide portant à la fois sur le suicide et sur les violences sexistes. DécadréE et Stop Suicide ont pour cela élaboré un encadré spécifique:

Besoin d’aide ?
Si vous vous inquiétez pour vous ou un.e de vos proches, vous pouvez les contacter en toute confidentialité
violencequefaire.ch
service de conseils en ligne anonyme et gratuit (délais de 3 jours)
143
numéro de la Main Tendue, écoute et conseils 24h/7j
144
urgences médicales
117
police
D’autres ressources
santépsy.ch et decadree.com/recommandations

Médiatisation des femmes politiques : grande absence ou surreprésentation?

Médiatisation des femmes politiques : grande absence ou surreprésentation?


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Un traitement médiatique sans biais de genre, c’est pas aussi simple que ça ne paraît !

Faire le portrait d’une femme en politique ou celui d’un homme sans biais de genre ? C’est possible mais ça demande beaucoup d’attention. En effet, s’il est rare de lire un article ouvertement misogyne, le sexisme ordinaire se cache pourtant dans la narration et le vocabulaire de bon nombre de publications.

Aviez-vous remarqué que les femmes sont toujours des « jeunes femmes », quelque soit leur âge ? Que leur physique est presque toujours décrit, notamment les parties du corps renvoyant à la féminité comme la couleur du rouge-à-lèvre ou la « chevelure ».

L’institut décadréE développe en 2020 des recommandations pour les journalistes sur les représentations des politiques et les étoffes d’année en année, restant attentif aux pratiques actuelles et aux dernières recherches dans le domaine.

A l’approche des élections du canton de Genève mais également de celles de la Confédération, décadréE renforce ses actions de sensibilisation pour des représentations des politiques sans biais de genre ! Présentés sous la forme d’idées reçues, découvrez des préjugés malheureusement renforcés par un traitement médiatique biaisé.

« Les candidates débordent de l’actualité médiatique »

On entend tout le temps parler des femmes en politique et elles débordent de l’actualité, telles un véritable « tsunami ». Est-ce un préjugé ou pas ?

Oui, c’est un préjugé. Seuls 28% des contenus médiatiques en Suisse donnent la parole ou mentionnent des femmes. Ce qui signifie aussi que plus de 70% du contenu est réservé aux hommes. Parfois, on a l’impression qu’elles sont omniprésentes dans la presse et qu’on en parle tout le temps ; les préjugés nous empêche aussi de juger objectivement. Les titres, chapôs et textes en exergue sont aussi responsables de cette idée reçue.

La presse Suisse en 2022 à largement véhiculé cette image de déferlante féminine menaçante pour les hommes politiques. En voici quelques exemples.

DécadréE recommande de chercher la parité. Les femmes politiques sont moins mises en avant sur la scène médiatique. Vérifiez également que vous mettez en concurrence les individus et non les femmes contre les hommes.

« Les femmes en politiques parlent tout le temps de problématiques féminines »

Les problèmes de conciliation des vies sont systématiquement abordés par les candidates. Elles ne parlent que de ça ! Est-ce un préjugé ou pas ?

Oui… c’est un préjugé. Très souvent, les questions de conciliation des vies sont amenées par les journalistes et non par les femmes interviewées. Il en va de même pour les questions interrogeant leur présupposé féminisme.

Et non, ce n’est pas qu’un préjugé. En 2019, les femmes sont les responsables des tâches domestiques dans 94% des ménages de couples. Il s’agit effectivement de thématiques médiatiques typiquement féminines. Entre autres, parce que les femmes sont aujourd’hui encore tenues de garantir la bonne organisation de la vie privée et familiale.

DécadréE recommande de se demander si vous questionnez spontanément les femmes sur ces thématiques ou si se sont-elles qui les abordent. Demandez-vous si vous aborderiez le thème de l'égalité lors d'un portrait d'homme et si l'angle choisi contribue à défier les stéréotypes. Et si la question est pertinente, est-ce que vous interrogez sa légitimité à candidater à un poste de pouvoir?

« Les candidates ne répondent pas aux médias : elles sont moins nombreuses à accorder une interview »

Quand on mentionne le peu de femmes mentionnées dans les médias, on répond qu’elles ne veulent pas y être. Est-ce un préjugé ou pas ?

Non, ce n’est pas seulement un préjugé. De nombreuses femmes politiques témoignent de résistances internes telles le syndrome de l’imposture et le manque de confiance en soi. La prise de parole dans les médias demande de se sentir légitime. Une mauvaise expérience médiatique est également source de craintes et de refus de s’exposer.

De plus, prendre la parole dans les médias est une exposition qui comporte aussi des risques. Il suffit de lire les commentaires de certains articles pour comprendre les déferlantes de haine que certaines personnes subissent. Les femmes et les personnes minorisées sont particulièrement victimes de ces violences.

DécadréE recommande de prendre garde à référer à une personne concernée par le sujet et d'assurer un entretien en toute sécurité. Prenez du temps et prévenez les personnes à l'avance. Une demande d'interview pour le soir même à plus de chance d'être refusée, notamment pour des raisons de disponibilité.

« Les femmes politiques sont moins aptes à exercer le pourvoir »

Les femmes sont moins nombreuses que les hommes en politique et elles arrivent moins souvent en haut de l’échelle. Si les femmes sont moins présentes en politique, c’est qu’il y a bien une raison! Est-ce un préjugé ou pas?

C’est un préjugé. Un biais récurrent dans le traitement médiatique des femmes et des hommes est la mise en doute de ces premières à exercer le pouvoir. Qui n’a jamais entendu d’une femme en politique qu’elle n’était pas compétente? Cela arrive bien moins souvent pour un homme.

Les médias contribuent à véhiculer cette idée : un vocabulaire infantilisant réduit leurs compétences professionnelles et expertises. Par exemple, 8 fois sur 10, les médias s’attardent sur la jeunesse des femmes, et quel que soit leur âge. La présence d’un mentor masculin ou paternel est également quasi omniprésent dans les portraits féminins.

DécadréE recommande de vérifier que le vocabulaire utilisé n'infantilise pas les carrières féminines. Est-ce que la présence, dans le récit, d'un mentor aurait eu la même importance dans le portrait d'un homme?

POUR ALLER PLUS LOIN

Recommandations décadréE à l’attention des médias
Études décadréE, Genre et politique, représentation dans les médias, mars 2020
Projet Stop Hate Speech
Plateforme des expertes suisses She Knows.ch
GMMP, 6e Projet mondial de monitorage des médias, 2020
Etude Mots-Clés pour SISTA et Mirova Forward, mars 2022

Suicide forcé

Suicide forcé


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Tour d’horizon d’un nouveau concept

Depuis peu, le concept de “suicide forcé” apparait dans les médias et les discours de lutte contre les violences au sein du couple. En partenariat, décadréE et STOP SUICIDE vous propose une analyse de ce concept. C’est notamment à travers le suicide d’une Jurassienne en 2022 que le concept de suicide forcé s’est fait connaître en Suisse. Dans la lettre laissée à ses proches, la femme accuse son ex-compagnon de violences psychologiques. Ces mots sont sans équivoque: « Ma mort ne révèle pas ma fragilité mais témoigne de la violence que j’ai reçue et que je fuis à tout jamais. Mon acte est politique, ce n’est pas un renoncement ».

D’autres cas ont également mis en avant l’impact des violences psychologiques et de l’incitation directe au suicide, comme ces deux procès de 2021 et 2022 relatés dans le 24 heures. Dans les deux cas, des jeunes femmes ont tenté de se suicider suite à des violences répétées de la part de leur compagnon (et d’incitation au suicide directe dans la première affaire). Pour l’une comme pout l’autre, les tribunaux n’ont pas retenu le chef d’accusation d’incitation au suicide, mais ces affaires ont tout de même permis de mettre en lumière cette problématique auprès du public.

Vers une reconnaissance du concept

Le suicide forcé peut se définir comme un suicide suite à des violences sexistes, notamment psychologiques, répétées. Le suicide est ainsi perçu comme la conséquence directe de l’emprise et de la dépréciation de soi suite à ces violences. Une étude du mouvement Citoyenne féministe met en avant les mécanismes entrainant les victimes de violence au suicide. Dans certains cas, le suicide apparaitrait comme un moyen pour la victime de reprendre le contrôle sur sa vie, face à un auteur qui cherche à dominer par la violence. Dans d’autres, il s’agirait d’une conséquence de la dégradation de l’estime de soi due aux violences de l’auteur (« Tu ne mérites pas de vivre »), voire dans certains cas d’incitations directes au suicide.

Pour comprendre les mécanismes qui mènent au suicide forcé, il est important de prendre en compte les violences au sein du couple et leur fonctionnement. Elles commencent généralement par une emprise ainsi qu’un isolement, suivis du dénigrement de la victime. Ces violences psychologiques répétées enferment la victime dans un cycle passant de phases de violence, à des phases d’accusation et culpabilisation de la victime, où l’auteur attribue à celle-ci l’origine de ses comportements violents (« Regarde ce que tu me fais faire », « c’est de ta faute »…) et des phases de réconciliation, dites de « lune de miel », où l’auteur cherche à se faire pardonner pour que la relation perdure (« Excuse-moi, je ne recommencerai plus ».)

Le Cycle de la violence expliqué sur Violencequefaire.ch.

La violence psychologique peut se coupler à des formes de violences physiques, économiques et sexuelles. À chaque répétition du cycle, la violence se fait de plus en plus forte. Souvent dépendante financièrement, mais aussi socialement, voir juridiquement, la victime se retrouve comme piégée, incapable d’appréhender une porte de sortie.

Un rapport publié en janvier 2022 reconnait le phénomène. Dans une étude en 2017, plus de 1136 suicides forcés sont comptabilisés dans l’Union Européenne. Une autre étude menée par le mouvement Citoyenne féministe en 2019 estime que 76% des victimes de violences domestiques aurait des pensées suicidaires. L’enquête souligne l’ampleur des conséquences des violences psychologiques. Elle note notamment que 62% des répondantes se sentent coupables des violences qu’elles subissent.

Que dit la loi ?

Petit à petit le concept est débattu et se fait ainsi une place dans les lois. En France, l’article 222-33-2-1 du code pénal adopté en 2020 reconnait le suicide forcé comme une circonstance aggravante en cas de harcèlement moral. Dans le droit suisse, il n’existe actuellement pas d’article de loi qui inclut exactement la problématique présente derrière le concept de suicide forcé. En effet, l’Art. 115.1 CP sur l’incitation et l’assistance au suicide a un champ d’application très restreint : il se limite aux cas où une personne encourage activement une autre à se suicider, par exemples à travers des injonctions directes (« va te suicider ») ou indirectes (« tu ferais mieux d’en finir », « on se réjouit d’être débarrassés de toi » NDLR).

Le cas du suicide forcé est plus complexe. En effet, il ne s’agit pas nécessairement d’incitations directes, mais de la conséquence d’une situation de violences psychologiques. Or, celle-ci peine à être reconnue dans les tribunaux même en-dehors du contexte des violences conjugales. Premier signe d’une avancée en ce sens, le procès des ex-dirigeants de France Télécom en 2019, qui a abouti à leur condamnation, ainsi qu’à celle de l’entreprise, pour « harcèlement moral institutionnel ».Il aura fallu 19 suicides et 12 tentatives (et un nombre difficile à estimer d’individus vulnérabilisés par ce « management par la terreur ») pour en arriver à ce procès.

En 2020, un cas de cyberharcèlement ayant entraîné le suicide d’une fille de 13 ans s’est retrouvé devant la justice zurichoise. L’adolescent de 17 ans qui avait partagé la photo dénudée (à l’origine de la vague de harcèlement contre la jeune fille) a été reconnu coupable de contrainte et de pornographie, en revanche aucune condamnation n’a été prononcée pour incitation au suicide.

Le cas de Hilona et Julien

Récemment, l’ex-candidate de téléréalité Hilona Gos témoignait des violences perpétrées par son ex-compagnon Julien Bert. Dans ce témoignage attérant, on peut clairement identifier les mécanismes d’emprise propres aux violences sexistes au sein du couple. A plusieurs reprises, elle témoigne de l’état de tristesse et de dépression dans lequel les violences l’ont entrainée, prouvant ainsi l’impact des violences répétées, tant psychologiques, physiques, qu’économiques, sur sa santé mentale.

Plus encore, Hilona décrit également la manière dont elle a été dévalorisée et insultée sur les réseaux sociaux suite à leur rupture et aux soupçons de violence émises à l’encontre de Julien Bert. Là encore, c’est la victime déjà fragilisée qui est la proie des violences structurelles. Hilona supplie ainsi dans la vidéo qu’il n’y ait pas de réactions suite à son témoignage pour ne pas réactiver la violence.

Plus loin, Hilona aborde la situation précaire et stressante, tant du point de vue financier que juridique, dans laquelle ces événements l’ont entrainée, allant jusqu’à parler de suicide. « Et faut attendre quoi? Je me suicide pour qu’en fait on comprenne que c’est allé trop loin (…) il m’a gâché la vie » Ce témoignage montre ainsi avec beaucoup de clarté comment les violences, mais aussi les événements faisant suite impactent la santé mentale des victimes.

Quels risques psychologiques pour les victimes de violences ?

Le fait de subir des violences constitue un facteur de risque important pour la santé mentale, pouvant aller jusqu’à entraîner des pensées suicidaires. Différentes études se sont intéressées à ce phénomène et ont analysé de plus près les conséquences des violences sur le bien-être psychique. En France, les travaux de recherche montrent que suite à une relation violente, 35% à 65% des victimes ont souffert de dépression. Il a aussi été calculé que le risque de suicide est 4 fois plus élevé chez les femmes ayant subi des violences que chez celles qui n’en ont pas été victimes.

Une méta-analyse aux Etats-Unis réalisée en 1979 a révélé que la moitié (50%) des victimes de violences conjugales présentent des symptômes de dépression, et un près d’un tiers (29%) tentent de mettre fin à leur vie. Pour plus d’informations sur les liens entre violences et risque suicidaire, nous vous invitons à (re)lire l’article de STOP SUICIDE dédié à ce sujet.

Plus récemment, en 2022, une étude britannique basée sur 7000 entretiens individuels d’hommes et de femmes de tous âges et toutes catégories socio-démographiques a montré que la moitié (49,7%) des personnes qui avaient tenté de se suicider avaient également été victimes de violences conjugales.

Les violences conjugales ont donc des effets directs sur la santé mentale de la victime, mais elles aggravent aussi le risque de suicide de manière indirecte. En effet, l’emprise et les violences vont alimenter les facteurs de risque et affaiblir les facteurs de protection de la victime. Par exemple, en isolant la victime de son entourage, l’auteur la prive de contacts qui sont des ressources d’aide importantes et pourraient intervenir. Dans les situations où l’auteur contrôle les communications, la victime peut aussi craindre de subir des violences en représailles si elle demande de l’aide à ses proches ou à des professionnel.les. Il y a parfois une impossibilité matérielle d’échapper à la situation de violences quand l’auteur maintient également une forme de contrôle financier. Et à cela s’ajoute la crainte de subir encore plus de violences si l’on tente de sortir de la relation.

Au final, même s’il n’y a pas d’incitation au suicide directe de la part de l’auteur de violences, celui-ci crée toutes les conditions pour que la victime en vienne à envisager le suicide comme seule issue possible à la relation.

La bonne terminologie ?

Le suicide forcé est-il ainsi la bonne expression? Le concept a le mérite de visibiliser les conséquences multiples de l’emprise et des violences psychologiques.

On peut toutefois le questionner. Il tend tout d’abord à enlever tout pouvoir d’action à la victime elle-même. S’il est vrai que cela peut correspondre aux sentiments d’emprise extrême, la victime n’est jamais dépourvue de son libre-arbitre. Plus encore, le concept de suicide forcé pourrait tendre à simplifier les mécanismes de la crise suicidaire et la réduire à une conséquence unilatérale et directe d’une violence. Comme nous l’avons vu ci-dessus, la réalité des violences conjugales est bien plus complexe et celle du processus suicidaire l’est tout autant. En effet, un passage à l’acte suicidaire n’est jamais lié à une seule et unique cause : il s’agit de la conséquence d’une accumulation de facteurs de risque. Si ces problématiques s’installent dans la durée sans pouvoir y trouver de résolution ou de soulagement, elles génèrent un mal-être existentiel qui peut amener à ne plus percevoir d’autres options que le suicide. Cela concorde donc avec la situation dans laquelle peuvent se retrouver les victimes de violences conjugales : l’auteur fait peser sur elles une multitude de facteurs de risque, et leur emprise rend impossibles la plupart des solutions habituellement envisageables.

Pour finir, un terme existe déjà pour visibiliser la mort et le meurtre suite à des violences sexistes: Le féminicide. Le suicide forcé est ainsi une forme de féminicide et il est important de le reconnaitre en tant que tel et de comptabiliser les suicides forcés comme des féminicides. En Suisse et dans de nombreux pays, les statistiques officielles décomptant les féminicides manquent. L’ONU a pris position en mars 2022 en proposant un nouveau cadre mondial pour mesurer les féminicides malheureusement il ne se réfère qu’aux « féminicides intentionnels », incluant le meurtre d’une personne sur une autre personne. La catégorie omet donc les suicides forcés.

Dans le cadre judiciaire, le concept de suicide forcé permet de punir les violences psychologiques et a ainsi toute sa pertinence. Il doit cependant être utilisé avec conscience. Il ne représente que le haut de iceberg des violences et toutes les victimes de violence ne se suicident pas.

Pour conclure, dans le cadre de la sensibilisation, la notion de suicide forcé permet ainsi de questionner les conséquences des violences sur la santé mentale et de les visibiliser. Il serait par exemple intéressant de savoir, parmi les femmes qui se suicident, quelle proportion étaient victimes de violences, afin de mieux comprendre l’ampleur du phénomène et de mieux le prévenir. L’utilisation du concept de suicide forcé pose ainsi de nombreuses questions. S’il permet de mettre en lumières les mécanismes récurrents touchant aux violences et à la santé mentale, il s’agit de ne pas omettre sa portée sociétale et politique. Il est donc essentiel de le mettre en contexte sous l’angle du féminicide, pour ne pas invisibiliser le fait qu’il s’agit avant tout du résultat d’une violence de genre, qui elle-même génère du mal-être et alimente les facteurs de risque. Vous souhaitez aborder cette thématique à travers un article, un reportage ou un contenu pour les réseaux sociaux ? décadréE et STOP SUICIDE sont à votre disposition pour vous accompagner dans vos projets médias, n’hésitez pas à nous contacter !

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L’image des femmes en couverture

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Décryptage

Dans la perspective des prochaines élections genevoises du Conseil d’état en 2023, décadréE propose une série de décryptages sur les représentations des femmes en politique dans les médias. Ce troisième décryptage analyse des couvertures photographiques de la presse pour dénicher les biais qui s’y cachent.

Quand les images parlent d’elles-mêmes

Comment nous illustrons-nous ? Et quels sont les biais de représentation dans les photographies ? La couverture de presse a un impact majeur sur les habitudes et les choix du lectorat. Il influence son comportement, comme les publicités, en proposant des images chocs, des titres racoleurs ou des teasers vendeurs.

« Vais-je acheter ce numéro ? » – « Tiens ! Ça parle d’un sujet familier qui m’intéresse » – « Wouha, faut absolument que je vois ça ! ».

Ces photographies, accompagnées de textes, façonnent nos représentations autant qu’elles en sont les produits. Elles contribuent malheureusement aussi à invisibiliser d’autres réalités en reflétant une norme et contribuent à reproduire des clichés (1).

Le désir pour les femmes et l’économie pour les hommes

Commençons le décryptage par le hors-série du magazine Bilan (2), un magazine économique de Suisse romande s’adressant à un lectorat grand public. Tout d’abord, les couvertures 2022 du magazine sont des illustrations graphiques où la photographie a peu de place, ce qui n’est pas le cas de son hors-série Luxe. Les couvertures s’approchent plus de celles des magazines féminins.

Et la presse féminine est connue pour être un relai des stéréotypes : les représentations des femmes qui y sont dépeintes sont principalement belles, blanches et riches. Sur l’image de gauche, il a le regard droit et fait face à l’objectif tandis que sur les images de droite, soit le regard ne se dirige pas vers l’objectif, soit le corps est sensualisé. Cela induit l’idée stéréotypée que les femmes sont des aguiches tandis que les hommes sont valorisés pour leur expertise. A moins qu’il ne s’agisse uniquement d’exciter le regard d’un lectorat présupposé masculin ?

DécadréE recommande de représenter chaque personne sans sexualisation abusive (corps dénudé, position lascive) et de prendre conscience de l’impact des images. Les corps, notamment féminins, n’agissent-ils pas uniquement comme faire-valoir ou comme aguiche ? La photographie met-elle en valeur professionnellement la personne représentée ?

Pour en revenir au magazine économique, les deux numéros de 2022 offrant une place à la photographie stigmatisent également les hommes et les femmes graphiquement.

Quand on regarde à la loupe ces images, sur la couverture de gauche, le trait de crayon bleu ébauche un biberon, un ananas et une couronne sur des portraits féminins, une grue de levage, un symbole de bitcoin et une toque de chef-fe sur les portraits masculins. Sur la couverture de droite, les femmes y sont légendées « stars » ou « investisseuses stars », les hommes, bien plus nombreux et variés, « avocats », « geeks à l’État », « hommes d’affaires », « crypto-anarchistes » ou « pionniers ». De quoi se poser des questions quant au rôle brillant des femmes dans l’économie illustré par Bilan cette année ; un bel exemple de stéréotype de genre en couverture, où les femmes ne sont pas considérées dans les sphères technologiques et économiques.

DécadréE recommande de visibiliser les femmes dans tous les domaines. Lorsqu’elles sont nommées et visibilisées, les femmes sont souvent interrogées dans les domaines perçus comme typiquement féminin. Est-ce que les poses photographiques renvoient les personnes à leurs genre ? Est-ce que les femmes y sont sexualisées ou est-ce qu’elles illustrent leur compétence ou leur métier ?

Le plaisir des yeux

L’illustré(3), hebdomadaire romand, porte très bien son nom car il narre l’actualité en image. Presque toutes les couvertures illustrent des individus et un grand nombre portrait une ou plusieurs personnalités. Ces derniers mois et dans son ensemble, les femmes y sont bien représentées et les couvertures reflètent l’actualité. Mais pas seulement… Le 6e projet mondial de monitoring des médias rappelle qu’en 2020 les femmes sont encore largement objectifiées dans les médias que « les images les représentant ne sont incluses que pour attirer l’attention des lecteurs »(4).

Quand on s’attardent plus longuement sur les images, il est aisé de voir que malheureusement, de nombreux biais y figurent. Déjà en 2020, le rapport de recherche de décadréE sur les représentations genrées des politiques dans les médias dénonçait que les politiciennes étaient ramenées dès les premières lignes au registre de la famille et de l’émotion. « Dans 80% des articles représentant des femmes, on connaît la situation familiale de la politique, contre 36% des articles décrivant des hommes». « Lorsque la situation familiale des hommes est révélée, il s’agit d’une source de valorisation, voire un programme politique »(5).

Et les couvertures de l’Illustré, soulignent-elles les même biais ? Ici oui, renforcées par les titres et légendes, qui changent la lecture de l’image et apportent des informations orientées par le genre.

Côté féminin, tantôt on s’appuie sur leur rôle de mère pour Marie Robert et Christa Rigozzi, tantôt on la photographie avec le mari, dans le cadre privé. C’est le cas de Karin Keller-Sutter. Côté masculin, même quand la photographie reprend les codes de la mode, on n’oublie pas l’accessoire métier (le ballon) du footballeur Johan Djourou. L’hommage de la carrière sportive de Roger Federer (60 pages, médaillon doré et mention d’un numéro collector) est visuellement largement mieux honoré à ceux -posthumes- de la reine Elisabeth II (deux numéros mais pas de médaillon ni de mention collector) ou de l’icône médiatique Diana Spencer (20 pages).

Concernant les poses proposées, elles sont également stéréotypées, les hommes tantôt sérieux tantôt souriants sont contextualisés par leur expertise avec aplomb. Le choix des photos des femmes les revoie quasi systématiquement à leur féminité : sensualité capillaire, mains et regards délicats et même une pose érotisée et fantasmée pour Marilyn Monroe.

DécadréE recommande de choisir des photographies où les femmes sont invitées à prendre une pose assurée et représentative de leur responsabilité. Le regard de côté, la bouche ouverte, les mains délicatement posées sont autant de signes renvoyant à la douceur et à la féminité.

Et les femmes politiques ?

Les images, photographies et autres types d’illustration reflètent les même biais que les articles et titres. A cela s’ajoute malheureusement l’effet vendeur recherché par l’illustration d’un corps féminin. Les couvertures sont bien évidemment sujettes à ces biais, aussi lorsqu’il s’agit de visibiliser les femmes politiques.

Quand les médias ne critiquent pas inutilement les tenues, l’âge et les émotions des politiciennes, ils savent parfois être une tribune indispensable de leur carrière.

Et vous, que pensez-vous des couvertures suivantes ? Et pour allez un peu plus loin, n’hésitez pas à faire notre quiz.

NOTES

(1) Recherche-action décadréE, Genre et publicité en Ville de Genève, 2020.

(2) Magazine Bilan.

(3) Magazine l’Illustré.

(4) GMMP, 6e Projet mondial de monitorage des médias, 2020.

(5) Études décadréE, Genre et politique, représentation dans les médias, mars 2020.

Femmes, espace public et politique

Femmes, espace public et politique

Décryptage

Dans la perspective des prochaines élections genevoises du Conseil d’état en 2023, décadréE propose une série de décryptages sur les représentations des femmes en politique dans les médias. Ce deuxième décryptage ne se concentre pas sur les biais d’écriture à proprement dit sinon sur l’euphémisation, voire la négation, du sexisme. L’effet ? Le sexisme en devient d’autant plus banalisé. Analysons pour cela le cas de la médiatisation d’une réaction sexiste, soit le refus de la féminisation du nom d’une rue.

Les femmes, grandes absentes de l’espace médiatique public

Les chiffres sont là. Les femmes ne sont mentionnées dans les médias qu’à hauteur de 28%, c’est dire si elles ne monopolisent pas l’espace médiatique. Même pas un article sur trois. Et si on y regarde de plus près, seuls 5% des contenus contribuent à remettre en question les stéréotypes (1).

Pour faire évoluer les idées, pour changer nos manières de penser, nos références doivent aussi évoluer. En d’autres termes, si nous sommes quotidiennement martelé-es de représentations sexistes ou inégalitaires, il est difficile de se remettre en question.

Voilà pourquoi les médias ont un rôle à jouer en défiant les stéréotypes, en traitant de manière égalitaire les personnes sur le papier, ou bien encore en questionnant les manifestations de sexisme.

Timide questionnement de l’absence, le cas de l’espace public

Récemment, Femina consacre un article sur les statues publiques et conclue que non seulement 90% des statues représentent des hommes mais aussi que les rares représentations féminines, bien souvent anonymes ou symboliques, sont dénudées (2).

Quant à nommer les avenues, selon la RTS, seules 5 à 7% des rues honorent des femmes en Suisse romande en 2019 (3). L’année suivante, Le Temps rapporte que « le législatif de la capitale valaisanne a refusé un postulat demandant d’augmenter le nombre de rues portant le nom d’une femme » (4). Conclusion, les femmes sont peu visibilisées sur les édifices des espaces publics et les médias remettent rarement en question cette invisibilisation, bien que l’information soit relayée.

Accès toujours refusé, l’exemple de la rue Julia-CHAMOREL

Tout le monde s’accorderait volontiers aujourd’hui sur le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Alors pourquoi tant de réticence à mettre en valeur des femmes dans les noms de rue ? Des habitant-es de quartiers concernés s’opposent parfois à ces changements de noms. C’est le cas au quartier genevois des Grottes, où la Rue du Midi se nomme désormais Rue Julia-CHAMOREL. La Tribune de Genève accorde au passage une Encre bleue (5) illustrant cette action militante sexiste par des photographies explicites. Malheureusement, sans aucun questionnement des stéréotypes véhiculés par le remplacement du nom de la rue par les opposant-es à la féminisation. Le résultat, l’action sexiste est légitimée.

Nous allons décrypter ce traitement médiatique. Rappelons d’abord que seuls 5% des contenus remettent en question les stéréotypes et que moins d’une rue sur 10 porte le nom d’une femme.

DécardéE recommande d’avoir conscience de l’importance des médias dans la construction des représentations. Ne pas hésitez à discuter avec des personnes expertes pour éviter de reproduire des stéréotypes ou de les relayer sans les questionner.

Lorsqu’elles sont nommées et visibilisées, les femmes sont renvoyées à leur rôle féminin (6). Dans cette manifestation d’opposition au changement de nom, de fausses plaques ont tapissé celles de la rue Julia-CHAMOREL. Sous couvert d’humour –une manifestation de sexisme comme nous le verrons plus bas- les femmes n’ont pas leur place dans la rue. « Katja Strov », « Aretha Connery », « Kim Fonchiez », ou encore « Théa Loueste » peut-on lire dans le billet. Elles sont « journaliste », « chanteuse », « mondialiste » et « politicienne », notant bien qu’elles n’ont rien à faire ni dans ces métiers, ni dans la rue. Dans ce cas, au lieu de leur attribuer des fonctions dites « féminines », elles sont ridiculisées.

DécardéE recommande de ne pas relayer des informations décrédibilisant une partie de la population sans questionner cette même pratique. Parler du sexisme pour décrypter le phénomène et le comprendre est essentiel !

Regrettons que l’humeur n’était pas au questionnement des stéréotypes sexistes véhiculés dans cette encre bleue. Notons aussi que 28% des articles de presse contiennent des éléments excusant les auteurs de violence sexiste (7), qui ont ici le « goût du jeu de mots ». L’humour invoqué dès le chapô excuse une action qui délégitime les femmes :

  1. dans l’espace public, elles n’ont rien à y dire ;
  2. à différentes fonctions sociales, elles sont décrédibilisées professionnellement ;
  3. en qualité d’actrices historiques, elles n’ont pas à recevoir l’honneur de nommer une rue.
DécadréE recommande de faire attention aux biais et aux clichés dans le vocabulaire utilisé. De la répétition de ces mots et de l’association des champs lexicaux naissent des idées et des émotions contribuant à la représentation sexiste des femmes et des hommes. Leur mise en évidence les accentue doublement et rend l’information extraordinaire.

Il arrive que, sous couvert de transmettre une information partiale, les phénomènes discriminants ne soient pas éclairés correctement et que les contenus médiatiques soulignent et reproduisent une forme de discrimination. Les représentations influencent le lectorat, surtout si elles sont répétées. Le sexisme étant largement banalisé dans les discours et les contenus, il est important que les rédactions se forment pour construire une presse plus égalitaire. Enfin, pour en savoir plus sur la rue Julia-CHAMOREL, rendez-vous sur la page qui lui est consacrée.

Découvrir Julia Chamorel

NOTES

(1) GMMP Global Media Monitoring Project 2020, Suisse, Résumé analytique.

(2) « Les statues publiques sont-elles sexistes? », Femina, 13.06.2022

(3) « Dans les rues de Sion, où sont les femmes? », Le Temps, 02.03.2020

(4) « Seules 7,1% des rues portant le nom de personnalités honorent les femmes », RTS, 21.03.2019

(5) « Midi fait de la résistance », Tribune de Genève, 15.10.2022

(6) Études décadréE, Genre et politique, 2020.

(7) Étude décadréE, Traitement médiatique des violences sexistes, rapport 2020.

Femmes, médias et politique

Femmes, médias et politique

Décryptage

Dans la perspective des prochaines élections genevoises du Conseil d’état en 2023, décadréE propose une série de décryptages sur les représentations des femmes en politique dans les médias.

Deux portraits, un traitement médiatique orienté par le genre

Le choix des mots et des images crée un discours particulier et appuie la narration. Toutefois, la récurrence de biais dans les portraits de femmes crée des inégalités de traitement. Au début de l’été, la Tribune de Genève dessine le portrait de deux maires de communes genevoises. Deux parcours, deux personnalités, deux communes.

Ces portraits ont été choisis pour leurs similitudes : deux portraits de personnes politiques genevoises élues à la fonction de maire, deux publications proches dans le temps. De plus, un effet d’exceptionnalité est mis en avant dans les deux articles.

Comme vous l’aurez deviné, l’une des personnes portraiturées est un homme, maire de Thônex, l’autre une femme, maire du Grand-Saconnex.

Décryptons si des biais sexistes orientent la lecture selon le genre du sujet.

Seules les femmes politiques sont tiraillées entre le travail et la vie privée

La thématique de conciliation des vies n’est quasiment jamais abordée pour les hommes, rappelant bien que le rôle d’assumer les charges domestiques reste assigné aux femmes. Dans la presse suisse, le statut familial des femmes est mentionné presque 3 fois plus que pour les hommes (1). Souvent elles sont renvoyées à leur rôle de mère, d’épouse ou de compagne remettant en question (directement ou indirectement) leur légitimité à travailler à l’extérieur du foyer.

Côté vie privée, nous découvrons que seule celle de la maire est mentionnée : de son compagnon à la difficulté à concilier les vies, des thèmes récurrents dans les portraits de femmes. Voici le tableau de comparaison des mots-clés ou phrases clés décrivant les deux personnalités politiques : la description physique et la mention de la vie privée sont absentes du portrait masculin.

Tableau des mots-clés

Portrait masculin Portrait féminin
Descriptif de la personnalité Avec humilité
Sans plan de carrière
Volonté de s’engager
Volonté de mettre son énergie au service de sa commune
Ambition de « bien faire »
Sans ambition politique
Optimiste
 

Descriptif physique

 

/

 

Discret piercing à l’arcade

 

Vie privée

 

/

 

« Chéri »
En escapade avec son compagnon
Réorganiser son temps de travail, mettre entre parenthèses son activité d’enseignante
Les plages libres pour les loisirs ont diminué

DécadréE recommande d’éviter de mentionner la situation familiale des femmes. Si la mention est nécessaire, les thématiques métiers ou d’expertise professionnelle sont-elles invisibilisées ?

Une expertise professionnelle diluée ou renforcée selon le genre

Autre trace de sexisme ordinaire dans le cadrage médiatique : on décrit les accomplissements des femmes par des verbes de médiation ou avec des auxiliaires au passif, tandis que ceux des hommes sont décrits avec des verbes actifs et offensifs (2). Lorsqu’une femme prend un poste à responsabilité, on focalise sur son genre et non sur ses compétences. Invisibilisées, seuls 28% des personnes mentionnées dans les médias sont des femmes (3).

Par exemple, leur parcours ascensionnel n’est pas décrit de la même manière : d’un côté, il est acteur de ses accomplissements, les verbes utilisés pour décrire son parcours reflétant l’action. De l’autre, sa carrière politique la guide, les verbes utilisés reflétant une passivité. A cela s’ajoute un mentor paternel qui l’inspire, tandis qu’il s’est construit une carrière par sa propre « volonté de s’engager ».

Tableau d’analyse lexical

Portrait masculin Portrait féminin
Adversités Frilosité parentale
Origine familiale modeste
Âge
Genre
Maladie
 

Accomplissements

 

 

Prend les rênes
Gravit les échelons à vitesse grand V
Travaille depuis ses 15 ans
Obtient les dicastères qu’il voulait
Le développement du service sociale, […] de 2 à 6 collaborateurs sous son ère
Finit son master
Ne passe pas une semaine sans rencontrer des gens
Prouve que « même un segundo peut se faire appeler monsieur le maire »

 

Prend la tête
Est devenue maire
A baigné dans la politique depuis l’enfance
Met un pied au Collège
Passer huit mois en Angleterre dans un établissement de culture générale
Sa maîtrise et son talent sont récompensés par un prix au concours national
A décroché son brevet
Compte bien essayer de continuer à caser tout cela dans son agenda

DécadréE recommande de ne pas essentialiser l’expertise des femmes et des hommes et de prendre en compte la pluralité des domaines de compétences. Est-ce que l’article évite les stéréotypes de genre (associer les hommes avec un vocabulaire actif, les femmes avec un vocabulaire passif) ? Est-ce que la féminité est le focus central de l’article interrogeant une femme ?

Extraordinaire

Le choix des mots, notamment dans les titres, chapôs et mises en exergue des articles, a un impact particulier et guide la lecture. Leur mise en évidence par des superlatifs (le ou la plus jeune), par exemple, ou d’adjectifs numéraux (premier, deuxième…) construit un effet d’exceptionnalité réel ou supposé. Présent dans les deux articles, l’effet d’exceptionnalité ne se focalise pourtant pas de la même manière. L’effet de la maire du Grand-Saconnex souligne surtout son genre (7 occurrences) incluant une fois son âge. Concernant le maire de Thônex, seul son âge est souligné (2 occurrences). Globalement, les deux sont les plus jeunes mais ne jouent pas dans la même catégorie. Il y a la catégorie des maires de Genève et celle des femmes maires de Genève.

Par ailleurs, qu’elles soient patronnes de grandes entreprises ou entrepreneuses à leurs débuts, les femmes semblent renvoyées à une forme d’« éternelle jeunesse » professionnelle, quel que soit leur âge (4). Rappelons que le physique des femmes est plus souvent décrit et leur tenue commentée, ainsi que le montre le premier tableau. Par les médias, une femme sur deux est décrite physiquement pour moins de 1 sur 3 hommes (5). La description du physique comprend également l’âge, ou plutôt la jeunesse, des portraiturées.

Tableau du champs lexical de la jeunesse

Portrait masculin Portrait féminin
Effet d’exceptionnalité

 

2 mentions : le plus jeune maire (titre et 1er paragraphe) 7 mentions : la première maître ferblantière (2x), la seule maître ferblantière, la plus jeune femme, seule fille sur 30 élèves (2x), la première apprentie
 

Jeunesse

 

 

5 occurrences « jeune- »
6 mentions de l’âge ou comparaison des (in)expériences

 

3 occurrences « jeune- »
6 mentions de l’âge ou comparaison des (in)expériences

 

Mentor

 

Emmené par son ami (aujourd’hui député)

 

L’amour de l’engagement qu’elle partage avec son père
Elle a choisi la même profession
Elle fera comme « papa »

 

La jeunesse, associée à l’inexpérience, est mentionnée deux fois pour la maire du Grand-Saconnex. Concernant le maire de Thônex, l’article titre sur sa jeunesse : associée également à l’inexpérience, elle est mentionnée trois fois. Or, la présence de mentor contribue à créer une sorte d’illégitimité ou d’inexpérience et est présente que chez le portrait féminin.

Lors d’une carrière, la présence de figure fondatrice, inspirante ou adjuvante revient souvent. Presque systématiquement des hommes, la présence de ces figures sont presque indispensables lors de carrière féminine. La personne inspirante pour le maire est à peine évoquée. Pour la maire, il s’agit de la figure paternelle, qui la guide tant en politique que pour son choix professionnel. De plus, la reprise du terme familier issu du langage enfantin « papa » renforce les liens d’autorité à la lecture.

DécadréE recommande d’éviter les biais de genre dans l’écriture et d’utiliser un vocabulaire neutre ainsi que d’éviter de comparer les femmes avec les membres masculin de la famille et de ne pas l’utiliser afin d’interroger leur légitimité à prendre un poste de pouvoir.

Au delà de ces différences, ces stéréotypes sexistes induisent au lectorat une interprétation bien distincte de l’expérience et des compétences selon le genre de la personne portraiturée. Le choix des verbes, des images, des mots traitent différemment les personnes. Les femmes n’étant encore que peu présentes dans les médias, il est important d’éviter ces biais afin que leur parcours ne soit pas invisibilisé au travers de leur prétendue féminité mais bien qu’elles soient légitimes et leur compétence et expérience mises en avant.

NOTES

(1) GMMP Global Media Monitoring Project 2020, Suisse, Résumé analytique.

(2) Étude Mots-Clés pour SISTA x Mirova Forward sur le traitement médiatique des entrepreneuses et dirigeantes, mars 2022.

(3) GMMP, op. cit.

(4) Étude Mots-Clés, op. cit.

(5) Études décadréE, Genre et politique, représentation dans les médias, mars 2020.

Victimes de violences conjugales discréditées dans un article

« Le coup de la Russe » | Les victimes de violences conjugales discréditées dans un article hautement problématique

 

L’article « Le « coup de la Russe », un véritable cauchemar pour les hommes » paru le 13 septembre 2022 dans le Tages Anzeiger puis sur différentes plateformes de Tamedia présente une disposition de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) qui vise à protéger les femmes migrantes victimes de violences conjugales comme une « arme féminine en cas de divorce ». L’article en question monte en épingle un cas particulier pour affirmer que « certaines personnes d’origine extra-européenne invoquent des violences domestiques en cas de divorce uniquement pour éviter de se faire expulser. »

Le groupe de travail « Femmes migrantes & violences conjugales » (1) s’associe à l’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·ères, décadréE et Vivre Ensemble pour rappeler que ce type de situation – si elle est avérée, puisque la parole n’est donnée qu’au mari – reste exceptionnelle et ne reflète absolument pas la situation de la majorité des victimes de violences conjugales. Le procédé consistant à utiliser un cas particulier pour discréditer toute une catégorie de victimes est malheureusement classique. Combien de fois ne l’avons-nous pas vu à l’œuvre en matière de viol ou de harcèlement sexuel, lorsque certains invoquent un cas de fausse accusation pour discréditer l’ensemble des femmes qui osent dénoncer ce genre d’actes ?

De quoi parle-t-on ?

l’art. 50 LEI, une protection pour les femmes victimes de violences conjugales

La disposition légale dont il est question dans l’article précité, l’art. 50, al. 1, ch. b et al. 2 LEI permet de prolonger l’autorisation de séjour de victimes de violences conjugales étrangères lorsqu’il y a rupture de la vie commune en raison de ces violences. L’objectif concret du texte de loi est de permettre aux victimes de quitter le domicile conjugal et d’être protégées, sans courir le risque de perdre leur autorisation de séjour. Notons que le droit prévu à l’art. 50 LEI est uniquement accordé aux époux-ses de ressortissant-es suisses et de titulaires d’un permis C, et n’a donc rien à voir avec une procédure d’asile, ce que suggère l’article en question (2).

Rappelons aussi le contexte général dans laquelle s’insèrent ces dispositions légales. Selon les chiffres de l’Office fédéral des statistiques, les homicides perpétrés dans la sphère domestique représentent un bon tiers de l’ensemble des homicides commis en Suisse. Les homicides ont eu une issue fatale deux fois plus souvent que ceux commis hors du domicile. Les femmes sont victimes d’homicide ou de tentative d’homicide près de quatre fois plus souvent que les hommes ; la proportion de femmes décédées est sept fois plus élevée. En Suisse toujours, entre 2009 et 2016, 599 homicides et tentatives d’homicide ont été enregistrés dans le contexte domestique, soit 75 par année, qui se sont en moyenne soldés par la mort des victimes dans 34 % des cas (3).

Dans la pratique : une application de la loi très restrictive

Le renouvellement d’un permis obtenu par regroupement familial après dissolution de la famille ne va pas de soi. Tout d’abord, parce que la demande est examinée par plusieurs autorités. Elle doit être déposée auprès de l’Office des migrations du canton de résidence. En cas d’acceptation par le canton, le dossier est soumis au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour approbation. Les demandes rejetées par le canton peuvent faire l’objet d’un recours auprès du tribunal cantonal compétent – et dans certains cas auprès du Tribunal fédéral (TF) –, tandis que les demandes rejetées par le SEM peuvent faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).

En outre, le renouvellement de l’autorisation de séjour prévu à l’art. 50 LEU n’est pas accordé quiconque présenterait quelques égratignures sur le bras, comme ce qui semble ressortir de l’article. En effet, si la loi ne définit pas le degré de gravité de la violence à partir duquel la victime a le droit de rester en Suisse, la jurisprudence du Tribunal fédéral a introduit la notion de violence d’une « certaine intensité » (4) et a établi que les violences conjugales devaient correspondre à des « mauvais traitements systématiques dans le but d’exercer un pouvoir et un contrôle […] » (5).

Dans la pratique, les associations spécialisées constatent que ces critères – relativement vagues – sont évalués de manière très différente selon les autorités migratoires, et appliqués de manière souvent trop restrictive. Les autorités jouissent d’une large marge d’appréciation en la matière et sont insuffisamment formées et sensibilisées à la question des violences conjugales. Pour les victimes, il est souvent très difficile de prouver la violence domestique, car il s’agit dans la plupart des cas de délits commis dans l’intimité. Comme l’illustrent les cas concrets documentés par l’ODAE romand depuis plusieurs années, les exigences en matière de preuve sont souvent trop élevées et il arrive fréquemment que les violences ne soient pas admises comme « suffisamment graves » par les autorités administratives, malgré des attestations de psychologues, médecins et services spécialisés, ou même lorsque la personne a été reconnue comme victime au sens de la LAVI. De plus, toute une série d’actes de violence n’est souvent pas prise en compte, comme les violences psychiques ou les actes commis après la séparation du couple. Ceci contrairement à l’avis du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (6), du Conseil fédéral (7) et de ce que préconise la Convention d’Istanbul (art. 3 CI).

Amina* a obtenu un permis de séjour par mariage. Elle quitte le domicile conjugal à cause des violences de son mari, puis se voit menacée de renvoi. Après trois ans de procédure, le TF la reconnait enfin comme victime de violences conjugales et décide que son permis de séjour doit être renouvelé. Dans le cas d’Amina*, plusieurs documents attestaient des violences conjugales subies. Le SEM et le TAF jugeaient pourtant que l’intensité des violences physiques et psychiques était insuffisante (8).

Le mari de Nour* a un comportement violent, il la frappe, tente de l’étrangler et la menace, mais elle n’ose pas porter plainte. En 2016, alors qu’elle pense partir en vacances au Maroc, il confisque ses papiers et rentre sans elle. À son insu, il lance une procédure de divorce et annonce au SPOP qu’elle a quitté le pays. Lorsqu’elle revient, elle est suivie par un centre pour victimes de violences conjugales et d’autres services spécialisés. Elle demande la prolongation de son permis de séjour, mais le SEM refuse et prononce son renvoi, décision qu’elle conteste au TAF. Suite à un épisode particulièrement violent, elle porte plainte contre son ex-mari. Un jugement du Tribunal de police vaudois le condamne pour lésions corporelles simples qualifiées et injures. Le TAF puis le TF confirment la décision du SEM. Ils mettent en doute les faits invoqués par Nour* et les avis des spécialistes. Les juges estiment qu’elle avait exagéré les agissements de son ex-mari (9).

Une protection rarement utilisée et souvent insuffisante

Il n’existe à ce jour aucune statistique précise sur le nombre de victimes étrangères de violences conjugales dont la prolongation de l’autorisation de séjour a été refusée suite à une demande déposée auprès des autorités cantonales en vertu de l’article 50 LEI. Néanmoins, quelques données ressortent d’une étude du Bureau BASS, mandaté à la suite du postulat 15.3408 de mai 2015 de la conseillère nationale Yvonne Feri (10). Ce qui est sûr, c’est que ce type de protection ne concerne qu’un petit nombre de personnes. Selon le bureau BASS, entre 2014 et 2017, moins de 100 demandes par années ont été déposées auprès du SEM par les cantons. Sur un total de 335 en 4 ans, 48 ont été rejetées, avec comme principal motif l’insuffisance des preuves.

Dans ce contexte, la réalité que nous constatons est bien différente que celle relatée dans l’article du Tages Anzeiger : plutôt qu’« utiliser » l’art. 50 LEI « uniquement pour éviter de se faire expulser », de nombreuses victimes étrangères n’osent pas dénoncer ce qu’elles subissent, et encore moins quitter leur conjoint, par peur de perdre leur permis de séjour et de se faire expulser.

Mieux protéger plutôt que discréditer les victimes de violence

Aussi, il semble impératif d’œuvrer à ce que la protection des femmes migrantes victimes de violences conjugales soit renforcée. Plusieurs comités des Nations Unies se sont d’ailleurs saisis de cette problématique et ont recommandé à la Suisse d’adapter sa pratique, à l’instar du Comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD). En décembre 2021, ce Comité s’est déclaré préoccupé par « le fait que les dispositions de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration de 2019 qui établissent le droit des victimes de violence conjugale de demeurer en Suisse ne s’appliquent dans la pratique qu’à partir d’un seuil suffisamment grave ou lorsqu’il existe un caractère systématique de la violence subie, ce qui décourage les victimes étrangères de violence conjugale de porter plainte, par peur de perdre leur permis de séjour, et les laisse sans protection réelle et efficace, contrairement aux victimes de nationalité suisse ». Le CERD a donc recommandé à la Suisse de « veiller à ce que les victimes de violences conjugales puissent demeurer sur le territoire de l’État partie, en vertu de l’article 50 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, sans avoir à surmonter des obstacles de procédure excessifs qui, en pratique, les laisseraient sans protection réelle et effective » (11).

Raphaël Rey et Megane Lederrey, ODAE romand
Eva Kiss et Mariana Duarte, GT « Femmes migrantes & violences conjugales »

Rappels autour de la déontologie du journalisme

Traitement inapproprié du sujet : un article rempli de préjugés sexistes et racistes

La qualité de l’article et le traitement journalistique apporté à la thématique sont ici également à questionner. Selon notre analyse, la journaliste contrevient sur plusieurs aspects à la déontologie de la branche, exposée dans la Directive relative à la déclaration des droits et devoirs du/de la journaliste.

Dans son alinéa 2.3, intitulé « Distinction entre l’information et les appréciations » la directive rappelle que le/la journaliste doit veiller à rendre perceptible pour le public la distinction entre l’information proprement dite – soit l’énoncé des faits- et les appréciations relevant du commentaire ou de la critique.

Dans son alinéa 1.1., « Recherche de vérité » il est explicité : « la recherche de vérité » est au fondement de l’acte d’informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles.

  • Le titre ainsi que le chapeau de l’article donnent d’emblée le ton. Cette tonalité est maintenue dans le corps de l’article qui semble écrit pour choquer et non pour informer.
  • Tout au long de l’article, certaines des sources citées portent clairement une position politique dans le dossier. Or, celles-ci ne sont pas contrebalancées, comme le voudrait la neutralité journalistique. Au contraire, la journaliste semble accentuer leur légitimité, comme lorsqu’elle écrit « Cet homme de loi, qui n’a pas la réputation de dramatiser les choses ».

Les sources et les expertises sur la question ne manquent pourtant pas. De nombreuses associations et avocat·es accompagnent les victimes. Leur permettre d’exposer leur point de vue dans un tel article aurait permis de relativiser et de donner toutes les clefs de compréhension au lectorat.

  • À aucun moment la parole n’est accordée à l’ex-épouse dont il est question. C’est ainsi le seul et unique point de vue de l’ex-mari qui est mis en avant tout au long du récit.
  • L’article généralise et affirme sans preuve à plusieurs reprises. La journaliste nie par exemple clairement l’existence des décisions rendues en se substituant à la justice, à l’administration et aux expert·es.

Manquant ainsi de manière grave à la nécessité d’informer et de rendre claire la différence entre le commentaire et l’information, la journaliste accomplit un traitement défaillant de l’information selon notre analyse. À plusieurs endroits, les sources manquent et la journaliste glisse vers le commentaire. Des stéréotypes racistes et sexistes transparaissent alors nettement. On lit ainsi que « Tatjana est Russe et pleine de tempérament », ou encore qu’« il y a déjà eu des hommes africains qui ont accusé leur femme suisse de violence pour obtenir un permis B de cette manière. »

Pourtant, afin d’informer adéquatement, les journalistes doivent se tenir à un devoir de réserve et toujours garder une certaine distance par rapport aux sujets traités, en s’en tenant aux faits avérés, en utilisant un vocabulaire et des formulations neutres ou encore en croisant les sources.

Valérie Vuille, décadréE
Giada de Coulon, Vivre Ensemble

Notes

(1) Ce groupe de travail est composé de diverses organisations actives sur le terrain dans la défense des femmes migrantes victimes de violences conjugales. En font partie : le Centre de Contact Suisses-Immigrés (CCSI), le Centre Suisses-Immigrés Valais (CSI Valais), La Fraternité – service social pour les immigré·es du CSP Vaud et Camarada.

(2) Dans les autres cas de figure – pour les époux∙ses de titulaires de permis B par exemple – c’est l’art. 77 OASA qui s’applique, avec la différence notable qu’il ne s’agit que d’une simple possibilité de faire renouveler le permis et non d’un droit.

(3) OFS « Homicides enregistrés par la police 2009–2016. Dans la sphère domestique et hors de la sphère domestique », janvier 2018.

(4) ATF 136 II 1.

(5) ATF 2C_295/2012 du 5 septembre 2012.

(6) BFEG, « Feuille d’information 1 « Violence domestique : définition, formes et conséquence », septembre 2012.

(7) Conseil Fédéral, « Pratique suivie en matière de droit de séjour des victimes étrangères de violences conjugales », Rapport en réponse au postulat Feri 15.3408 du 5 mai 2015, avril 2018

(8) ODAE romand, « Après trois ans de procédure, le Tribunal fédéral la reconnait comme victime de violences conjugales », cas 355, 09.04.2020.

(9) ODAE romand, « Renvoi d’une survivante de violences conjugales, son mari jugé plus crédible », cas 341, 26.08.2019.

(19) Bureau BASS, « Bericht über die Praxis der Regelung des Aufenthaltsrechts von gewaltbetroffenen ausländischen Personen», rapport, juin 2017.

(11) Observations finales du CERD, 27 décembre 2021, paragraphes 25 b) et 26 c).

Analyse – Le poids des images

Le poids des images

Analyse

 

Choisir une image pour illustrer un sujet se rapportant aux violences sexistes est souvent un casse-tête. Dans certains cas, il faut faire avec les images présentes dans les bases de données, dans d’autres il faut illustrer l’invisible, la violence psychologique ou économique.

Bien choisir une image est pourtant essentiel. Une image trop réductrice peut biaiser l’imaginaire des lecteurs et lectrices, convoquer de fausses idées et réduire considérablement l’impact d’un article sensibilisant pourtant aux violences.

Mais qu’est-ce qu’est une bonne image de violence ? La réponse n’est ni unique ni simple.

Nous vous proposons ici 3 analyses d’image qui vous permettront d’aiguiser votre regard et vos choix.

#bonnepratique – montrer la violence physique par ces marques 

Une image peut choquer sans être sensationnaliste. C’est le cas ici par ce choix de l’Illustrer. Le magazine illustre la violence conjugale par les marques qu’ils restent. Les lunettes cassées, l’atèle au poignet sont des témoignages des violences physiques. Cette démarche permet de marquer et de montrer la récurrence des violences tout en préservant l’anonymat de la victime.

Petit bémol, elle montre uniquement la violence physique et non les autres formes.

Lien vers l’article

 

#bémol  – De la violence économique à la violence physique

Comment montrer l’invisible, comme la violence psychologique ou économique. La démarche est délicate et malheureusement ici Femina tombe dans le piège de la simplicité en choisissant de contourner le problème. Pour illustrer un très bon article sur la violence économique, le magazine choisit de montrer des armes et des personnages se confrontant dans l’édition papier de l’article. Un choix qui tend à réduire la violence conjugale à la violence physique.

Lien vers l’article

 

#mauvaise pratique – De la violence à l’amour

Un article parle d’emprise, de relation de pouvoir et de violence, il est pourtant illustré par une image humoristique avec un lit rose aux coussins en forme de cœur. Le choix de l’image dans cet article du 24 heures est loin de servir le propos et la sensibilisation aux violences sexistes. Au contraire, cette image mêle violence et amour. Elle minimise, voire romantise le propos et ainsi diffuse de nombreuses idées reçues.

Lien vers l’article

 

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