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Analyse – Le poids des images

Le poids des images

Analyse

 

Choisir une image pour illustrer un sujet se rapportant aux violences sexistes est souvent un casse-tête. Dans certains cas, il faut faire avec les images présentes dans les bases de données, dans d’autres il faut illustrer l’invisible, la violence psychologique ou économique.

Bien choisir une image est pourtant essentiel. Une image trop réductrice peut biaiser l’imaginaire des lecteurs et lectrices, convoquer de fausses idées et réduire considérablement l’impact d’un article sensibilisant pourtant aux violences.

Mais qu’est-ce qu’est une bonne image de violence ? La réponse n’est ni unique ni simple.

Nous vous proposons ici 3 analyses d’image qui vous permettront d’aiguiser votre regard et vos choix.

#bonnepratique – montrer la violence physique par ces marques 

Une image peut choquer sans être sensationnaliste. C’est le cas ici par ce choix de l’Illustrer. Le magazine illustre la violence conjugale par les marques qu’ils restent. Les lunettes cassées, l’atèle au poignet sont des témoignages des violences physiques. Cette démarche permet de marquer et de montrer la récurrence des violences tout en préservant l’anonymat de la victime.

Petit bémol, elle montre uniquement la violence physique et non les autres formes.

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#bémol  – De la violence économique à la violence physique

Comment montrer l’invisible, comme la violence psychologique ou économique. La démarche est délicate et malheureusement ici Femina tombe dans le piège de la simplicité en choisissant de contourner le problème. Pour illustrer un très bon article sur la violence économique, le magazine choisit de montrer des armes et des personnages se confrontant dans l’édition papier de l’article. Un choix qui tend à réduire la violence conjugale à la violence physique.

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#mauvaise pratique – De la violence à l’amour

Un article parle d’emprise, de relation de pouvoir et de violence, il est pourtant illustré par une image humoristique avec un lit rose aux coussins en forme de cœur. Le choix de l’image dans cet article du 24 heures est loin de servir le propos et la sensibilisation aux violences sexistes. Au contraire, cette image mêle violence et amour. Elle minimise, voire romantise le propos et ainsi diffuse de nombreuses idées reçues.

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Antonio Hodgers: Croyez ce que je prétends, pas ce que je fais

Antonio Hodgers: Croyez ce que je prétends, pas ce que je fais


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Avec une interview dans l’Illustrée de la semaine du 20 novembre, le président du Conseil d’Etat genevois croit s’excuser pour des propos discriminants et redorer son image, mais produit en fait de nouvelles discriminations et instrumentalise sa femme et sa paternité. Analyse.

Dans les kiosques, la Une de l’Illustré ne passe pas inaperçue. Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat genevois, y pose avec sa femme enceinte. Passer cette première image qui questionne, on se rend compte de l’ampleur de la problématique : des images utilisées, au discours, jusqu’à la construction de la pensée et les mots choisis, la Une et les 6 pages d’interview sont exemplaires d’une stratégie discriminante entre instrumentalisation et victimisation.

Il faut d’abord souligner les photographies. Elles captent le regard, nous frappent et diffusent une image bien choisie, une image lisse, correspondant parfaitement aux normes de la société. Mais ce n’est pas le manque de subversion de l’image, qu’il s’agit de questionner ici, mais sa cohérence en tant que telle. Choisir de se mettre en avant avec sa femme enceinte pour répondre à des accusations de discriminations relève d’une instrumentalisation flagrante du corps de la femme et de la cause féminine. La construction même de l’image est stéréotypée : la femme ne regarde pas la caméra, elle a le regard baissé, la main sur son ventre. Plus encore, quelques pages plus loin, on retrouve la photo coupée, ne laissant voir plus que le ventre de la femme enceinte. Comme dans de nombreuses publicités, le corps est déshumanisé, objetisé.  Pourquoi d’ailleurs mettre tend en avant cette maternité future pour un article portant sur le discours discriminant de monsieur Hodgers ? Il aurait pu décider de poser à son bureau, dans un parc à côté d’un arbre ou en Valais. Le fait même d’avoir décidé de poser avec sa femme pour répondre à des accusations de discriminations sur plusieurs thématiques est symptomatique d’une stratégie d’instrumentalisation.

Mais l’image n’est que le haut de l’iceberg. Dans son discours monsieur Hodgers prétend être féministe, écologiste et lutter contre les discriminations. Pourtant il catégorise et use de stéréotypes à maintes reprises. Lorsqu’il dit « J’oublie parfois que Genève, c’est déjà un peu la France », il généralise et catégorise les Genevois-es ou lorsqu’il dit « Aujourd’hui, je me dis que les journalistes cèdent trop souvent au réflexe corporatiste ». Catégoriser les personnes, les mettre dans les cases est la première phase qui amène à la discrimination. Stéréotyper, généraliser, est la deuxième étape de ce processus. Monsieur Hodgers, là encore use de nombreux stéréotypes, lorsque par exemple il retourne ses dires à l’encontre de la journaliste du Temps, Laure Lugnon, en les requalifiant pour des hommes et en utilisant le foot : « il est amoureux de Maudet, comme un ado fan de foot est amoureux de Messi ». Un adolescent ne peut-il pas être fan de Justin Bieber. Cela remet-il à ce point sa masculinité en question que cet exemple n’est pas viable pour un homme ? La dernière étape de ce processus est le fait de poser des actes sur ces préjugées. Or, en tant que personnalité d’Etat, Antonio Hodgers a une responsabilité d’exemplarité. Ces propos, dans une telle interview, sont problématiques et relèvent d’une discrimination en soi. Les mots sont des actes, d’autant plus lorsqu’ils sont prononcés par une personnalité publique.

L’utilisation de l’argumentaire de l’humour est en effet une pirouette classique contre le discours féministe, dénonçant les propos sexistes et discriminants : « Je l’ai donnée sur elle sous la forme d’une boutade, dans le cadre d’une émission humoristique ». Les mots restent des mots, les insultes restent des insultes et les stéréotypes restent des stéréotypes. D’autant plus que Monsieur Hodgers n’est pas un humoriste,  mais un politique qui doit peser ses mots. A 4 jours de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, il est important de souligner que les blagues sexistes, ou tous propos discriminants, sont à la base du continuum des violences faites aux femmes. En assumant de tel propos par le bais de l’humour, le politique participe à ce continuum et à ce système qui fait qu’un féminicide a lieu toutes les deux semaines en Suisse. Il est important de mettre en évidence que les violences faites aux femmes sont le fruit non pas seulement d’actes individuels, mais d’un système qui justifie, invisibilise et permet les violences. Il suffit d’aller en page 43 du même magazine, pour prendre l’ampleur de ce système. Or Monsieur Hodgers, qui se dit pourtant féministe, ne semble pas en avoir conscience puisqu’à aucun moment ce niveau apparait dans l’interview. Ces excuses restent au niveau individuel « J’ai peut-être blessé des gens ». Bien sûr que ces propos ont eu un impact individuel, mais ils ont eu un impact beaucoup plus grand sur la construction de la société en générale, tout comme cette interview.

L’article dit ainsi tout et démontre le contraire. Cet interview et les propos, qu’Antonio Hodgers a tenu ces derniers mois, sont de vraies discriminations à l’encontre des femmes, mais aussi des hommes et de toute la population, qui sont catégorisés dans des rôles de genre stéréotypés. Il reproche à ses détracteurs et détractrices d’avoir un argumentaire bancal et de rester dans l’émotion. Mais que fait-il lorsqu’il prétend avoir « le sang chaud » ? Justifier son engagement en mettant en évidence les personnes qui l’entourent, comme sa mère, sa femme, son ami valaisan, est-il une manière de garantir son engagement contre les discriminations alors que la construction même de ses phrases dit le contraire ?

Pour finir, la stratégie de communication en elle-même est une instrumentalisation de la cause des femmes et de la paternité. D’un côté, il sur-valorise son engagement en tant que père et de l’autre, il se victimise en tant qu’homme et en tant que politicien. Deux stratégies qui montrent que Monsieur Hodgers n’a aucunement déconstruit le système dans lequel il vit et qu’au contraire il profite pleinement de tous ses privilèges. Son implication pour les tâches ménagères est « un engagement ». Il devrait pourtant être naturel pour l’homme féministe qu’il prétend être ? Eduquer un enfant et notamment s’occuper d’un nouveau-né est une tâche ardue qui demande un investissement total. De nombreuses femmes, laissée seule après la naissance de leur enfant, alors que leur corps est épuisé par la grossesse et le post-partum, font un burn-out maternel. Pourtant Antonio Hodgers se réjouit de « pouponner », si on lui laisse cette chance bien sûr. Son engagement politique semble passer avant sa paternité. « J’ai répondu que je laisse la porte entrouverte (…) c’est une candidate qu’il faut. Cela me permettrait de pouponner sereinement. » D’un autre côté, alors qu’il valorise sa paternité, il se pose lui-même en victime et renie ainsi complétement la gravité de ses propos et sa responsabilité : « Je suis constamment sous le feu de la critique et c’est dur. »

L’interview est ainsi à maintes reprises symptomatique de stratégies de victimisation et d’instrumentalisation. Elle montre en tous points que Monsieur Hodgers n’a à aucun moment pris la mesure de ses propos, qu’il ne s’excuse pas et pire encore elle produit en elle-même une nouvelle discrimination.

Retour sur l’affaire Adèle Haenel

Retour sur l’affaire Adèle Haenel


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Révélée la semaine passée par Médiapart, l’affaire Adèle Haenel est un cas exemplaire. Médiapart parvient à révéler les mécanismes d’emprise derrière les violences et les phénomènes systémiques qui les soutiennent. Le tout avec un travail d’enquête journalistique et l’écoute du témoignage d’Adèle Haenel.

Le 3 novembre 2019, Médiapart sort un dossier complet basé sur le témoignage de la comédienne Adèle Haenel à l’encontre du réalisateur Christophe Ruchia. L’accusatrice dénonce des faits de harcèlement sexuel et d’attouchements alors qu’elle était mineure survenus pendant et après le tournage du film « Les Diables ». Les accusations, mais aussi l’enquête de Médiapart ont un fort retentissement. On parle d’un #metoo français avec de nouvelles dénonciations et des appels à soutenir les comédiennes.

À l’inverse de nombreuses affaires dénoncées ces dernières années, la révélation des accusations de la comédienne a été pensée et préparée. Elles sont intervenues après une enquête questionnant les dénonciations et permettant de mettre les faits en perspective.

Ce qu’il faut tout d’abord souligner c’est le travail d’enquête qui a été mené. Médiapart ne s’est pas contenté de faire un article mettant en opposition la version du réalisateur et celle de la comédienne. La journaliste Marine Turchi a enquêté durant 7 mois. 36 personnes ont été interrogées. Témoignages complétés par des documents, lettres, photos, journal. Dans ces recommandations, DécadréE invite les journalistes à enquêter sur les affaires de violences sexistes afin de mettre en évidence les faits. En prenant le temps de l’enquête, la journaliste parvient sans prendre position à révéler les faits. Elle diffuse ainsi tant la version du réalisateur, que de la comédienne, ainsi que des personnes sur le tournage confirmant ou infirmant avoir eu le sentiment d’un malaise.

Prendre le temps de cette enquête, c’est aller à l’encontre de la temporalité actuelle qui veut que l’on publie une révélation dès qu’elle apparait. Au contraire, c’est retrouver la temporalité des révélations et des violences. En effet, Adèle Haenel raconte ses diverses tentatives pour sortir du silence, ses doutes, ses peurs, sa honte. Des années s’écoulent avant que la comédienne ne se sente prête pour révéler la vérité. Mettre en évidence cette temporalité, c’est respecter ce cheminement. Mais plus encore, en enquêtant l’article respecte également la temporalité des violences. En effet, grâce aux témoignages, le dossier illustre la construction de l’emprise qui se fait petit à petit.

En attendant 7 mois avant de révéler les faits, Marine Turchi évite ainsi le phénomène du feuilleton et propose un dossier complet qui révèle les violences dans toutes leurs complexités. A partir, d’un fait ponctuel : une révélation, elle reconstruit les phénomènes sociaux qui entourent les violences et les considère ainsi comme un fait de société à part entière. C’est son travail journalistique accompagné du témoignage d’Adèle Haenel qui permet cette reconstruction. En effet, en interrogeant les différents corps de métier présents sur le tournage. La journalistique met en évidence le système de silence et d’omerta qui laisse place aux violences et à l’emprise. En proposant cette analyse, elle permet ainsi de mettre en perspective les faits et de les comprendre comme des phénomènes sociétaux. L’article interroge ainsi déjà le contexte de la production cinématographique, les relations asymétriques, les huis clos et le silence qui le caractérise. C’est notamment grâce à ce travail que l’on peut aujourd’hui espérer que l’affaire Adèle Haenel fera date et qu’elle constitue un évènement dans le cinéma français. L’affaire n’est pas traitée comme un simple fait divers, mais au contraire comme un fait exemplaire du système, dont il provient.

L’enquête, couplée à cette juste mise en perspective des faits et de la temporalité permet de révéler les mécanismes des violences sexistes. Le dossier décrit ainsi avec précision les phénomènes d’emprise et de honte qu’a subis la comédienne. Il met également en évidence les phénomènes de silence et l’atmosphère qui permet les violences. Sans accuser personne, c’est bien le système dans lequel chaque acteur et actrice du tournage se trouve qui est révélé. Chacun et chacune aurait ainsi pu agir et empêcher les faits, comme le montre la culpabilité que beaucoup ressentent. Le phénomène est ainsi complexe, et s’il ne s’agit pas t’excuser l’auteur de violence, qui a toute responsabilité, mais de montrer que la réalité est complexe.

Cette complexité se ressent dans le portrait de l’auteur des violences. La journaliste ne rentre dans aucun mythe de la culture du viol, elle ne charge aucune excuse, ni la consommation d’alcool, ni la prise de drogue, ou la pathologisation n’interviennent pour décrire le réalisateur. Dans une interview en direct la comédienne va encore plus loin : » Les monstres ça n’existe pas, c’est la société, ce sont nos amis, nos pères…on ne veut pas les éliminer, mais les faire changer…mais il faut savoir se regarder ».

Cette enquête est ainsi exemplaire parce qu’elle parvient à faire un travail de fond sur les violences sexistes par le biais d’une révélation. Ceci grâce bien sûr au cheminement d’Adèle Haenel qui parvient avec recul à elle-même révéler ces mécanismes, mais aussi à l’implication de Marine Turchi.

#décryptage : procès pour viol et contraintes du 5 novembre

#décryptage : procès pour viol et contraintes du 5 novembre


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Le 5 novembre se déroulera un procès pour viol, tentatives de viol et contraintes sexuelles à Martigny. 

Nous vous recommandons de prêter attention aux mythes circulant autour des violences sexistes et nous nous permettons ainsi de vous rappeler quelques faits sur les violences sexistes.

1. Les violences sexistes sont présentes dans toutes les sphères de la société. Il n’y a pas de typologie des agresseurs ou des victimes.

2. Les victimes subissent un traumatisme suite aux violences qui peut altérer leur mémoire et la cohérence de leur discours.

3. Le consentement doit être libre et éclairé. Une victime sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue ne peut pas consentir.

4. La responsabilité d’éviter les violences ne doit pas tomber sur la victime mais sur l’agresseur.

Nous vous recommandons ainsi de ne pas déconstruire les mythes autour des violences et de participer à informer.

En cela, nous vous invitons à suivre nos recommandations ci-dessous. N’hésitez pas à faire intervenir une personne expert-es des violences sexistes pour les mettre en perspective, à citer des statistiques sur les violences sexuelles en Suisse ou encore à profiter de cet article pour informer sur les ressources d’aides pour les victimes.

Le voyeurisme est une violence, non un geste indélicat

Le voyeurisme est une violence, non un geste indélicat


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Il nous semble important de revenir sur l’article « La traque sans fin des pervers dans les bassins » du 10 octobre.

Dans son travail quotidien, DécadréE lutte pour un meilleur traitement médiatique des violences sexistes. Il est en effet important de lutter contre les idées reçues qui contribuent à perpétuer les violences et à accuser les victimes en lieu et place des auteurs.

Or pour déconstruire ces mythes, il faut tout d’abord les reconnaître. Non, filmer une personne à son insu n’est pas un « geste indélicat », il s’agit d’un acte qui viole le consentement de la victime. La diffusion des vidéos a des répercussions psychologiques et affecte la vie des victimes.

Les violences sexistes sont le fruit d’un système patriarcal, ancré dans les discours. Elles se produisent dans tous les milieux. Elles sont ainsi courantes, mais cette régularité devrait indigner et non pas amener à minimiser. En assimilant les violences aux incivilités, les institutions les minimisent et omettent leur caractère systémique et les rapports de domination qui les sous-tendent.

Les bains d’Yverdon ont le devoir de protéger les cibles en reconnaissant les violences, en sensibilisant et en proposant un accompagnement et non pas en mettant la responsabilité sur les cibles.

Les médias ont également un rôle à jouer dans cette prise de conscience, notamment en employant les bons termes. Ici, l’auteur des violences n’est pas un pervers, malade et isolé, mais un homme construit dans une société, objétisant le corps des femmes et niant leur consentement, qui utilise ses privilèges pour se satisfaire et asseoir sa domination.

Vuille Valérie, directrice de DécadréE

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